Soir de match
Ce soir, c'est la grande finale !
L'équipe est présente, les supporters également.
Qui, du lion, ou du loup, aura la victoire ?
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Le bus s'enfonça dans un tunnel et plongea l'habitacle dans la pénombre. À l’abri sous mon large manteau noir, je me concentrais. Sous mes paupières closes, chaque mouvement, chaque pas de notre chorégraphie défilait comme un film.
Trois filles se tenaient à mes côtés, habillées de la même manière, de sorte à ne pas attirer les regards. Lisa, à mes côtés, essayait de me faire chanter et j’arrivais de moins en moins à l’ignorer. Je devais être parfaite ce soir !
« Allez, Éléanore ! » me suppliait-elle, tapotant du pied en rythme. « Avec moi : Un bisou d’enfer à ceux qui sont à Rantière, vous faites pas les fiers, vous finirez au cimetière. Les lions de Jeanne secouent leur crinière et rugissent de concert. Fuyez, fuyez tant que vous le pouvez ! Graou !! »
Je finis par ouvrir un œil et lui grognai dessus . « Fiche moi la paix ! Faut que je visualise tout, pas envie de trébucher, comme à la dernière répèt. »
Lisa ne se démonta pas et insista d’autant plus. « C’est mou ce rugissement. Allez ! »
Nos cris fusaient d’un bout à l'autre du bus et finirent par faire se retourner Julie, notre meneuse qui affichait une expression calme et douce. Elle ne cessait de m’impressionner par son aptitude à garder son sang-froid en toute situation.
« Tu es tendue comme un arc, Éléanore . Respire un bon coup. On est prêtes, les filles. Tout va bien se passer. » dit-elle en nous observant tour à tour.
Ces quelques mots suffirent à nous calmer, lorsqu’un brusque coup de frein me fit sursauter. Le chauffeur poussa une série d’insultes à l’encontre d’un chauffard, tandis que le sac d’un passager manqua de tomber sur Lisa, la faisant dangereusement basculer.
« Hé ! Fais attention ! » grogna l’étudiante, le regard noir, prête à mordre. Le garçon auquel appartenait le sac se rétracta timidement.
Je ne pus m'empêcher de pouffer de rire. « Un lion ? On dirait un chat quand tu grognes. Miaou. » lançai-je, moqueuse.
La dernière de la bande, Chloé, prit la défense de Lisa et me taquina également, sale traîtresse !
« Je crois que notre petite Éléanore est plus stressée par autre chose, non ? » glissa-t-elle d'une voix basse.
Je lui rabattis vivement la capuche sur la tête. « Chut ! On n'en parle pas. »
Le bus sortit enfin du tunnel sous la lumière des lampadaires. Je sentis un frisson d'excitation me parcourir. Plus qu’une poignée de minutes avant le prochain arrêt sur la salle omni-sport recevant l'événement de ce soir, de l’année même.
o . O . o
Le gymnase où se déroulait la finale sportive inter-école était un fourmillement de corps en mouvement. Une marée humaine criarde et colorée qui ondulait au rythme des chants. Toute la partie gauche avait été envahie par les étudiants du lycée Marie Curie, déguisés de nombreux habits aux couleurs bleu de leur équipe de volley-ball. Les gradins tremblaient sous leurs sauts conjugués. Nous rejoignîmes nos propres supporters, plus désunis que ceux d’en face, bien décidées à leur montrer de quoi nous étions capables.
Julie, l’œil aiguisé, balayait la foule. « C’est le bazar. » lança-t-elle comme si ce n’était pas une évidence. « On va devoir se faire entendre. Bon, restez groupées, ça va bientôt être à nous. »
Hélas pour elle, j’avais déjà disparu dans la mêlée. Mes yeux scrutaient l’endroit, à la recherche d’un visage précis. Et là, je l’ai vu. Étienne bondissait sur le terrain, une concentration farouche dans le regard. J’essayais d’attirer son attention, de lui faire un signe, mais il était trop absorbé par le match. Le score était serré, chaque point se gagnait difficilement.
« Éléanore ! » La voix de Julie me tira de ma rêverie. Je la rejoignis, ainsi que Lisa et Chloé, qui étaient déjà en train d’enlever leurs manteaux. Sous nos vêtements, se cachaient des tenues de pom-pom girls typiques des states dans les tons rouge et or aux emblèmes de notre école. Lisa rayonnait de fierté, tout comme Julie, un peu moins Chloé cependant qui croisait les bras sur sa poitrine largement apparente. Pour ma part, c’était la jupe courte qui me titillait, n’aimant pas l’idée que tous puissent voir ma culotte au plus petit mouvement des jambes. Mais Julie avait su trouver les mots pour nous convaincre de mettre notre pudeur de côté.
Après un échauffement rapide, nous nous sommes avancées au bord du terrain de part et d’autre d’un étudiant jouant le rôle de chef d’orchestre. Les tambours battaient la mesure, la foule rugissait. Nous avons entamé notre chorégraphie, secouant nos pompons rouges et dorés au rythme des chants lancés par le garçon entre nous. Les cris redoublèrent d’intensité, les spectateurs reprenaient les chansons. J’avais mal aux oreilles, une énergie folle me submergeait. À chaque point marqué par notre équipe, l’ambiance montait d’un cran. Ma poitrine vibrait sur la cadence du brouhaha et des chants des supporters.
Le match était tendu comme un fil de violon. Chaque point se gagnait difficilement. Après une attaque particulièrement agressive de notre équipe, les adversaires, acculés, demandèrent un temps mort. Le public en profita pour reprendre son souffle, tout comme nous quatre. Julie devait maintenant contenir la timide Chloé, devenue inarrêtable, aidée d’une Lisa en sueur. Quant à moi, je n’avais d’yeux que pour le beau Étienne. Mon cœur bondit lorsque je le vis s’approcher du banc sur lequel se trouvait sa gourde d’eau, que j’avais rapproché l’air de rien de notre zone de danse.
C'était mon moment, notre moment. Nos regards se croisèrent. Le sien, habituellement si concentré, s'adoucit. Je lui souris, fière de moi tout autant que de lui. Il rougit jusqu'aux oreilles en mesurant la légèreté de ma tenue. Enhardie, je lui envoya un baiser, le dos cambré et une main sur la hanche. C’en était trop, il prit la fuite et rejoignit ses coéquipiers. J'étais aux anges.
Le match reprit. Les derniers points furent acharnés. Les loups du lycée Curie ne se rendaient pas sans combattre. Mais nous étions plus forts. Plus unis. Et puis, le coup de sifflet final retentit. Nous avions gagné !
La foule envahit le terrain. Les joueurs furent soulevés dans les airs, le chaos était total. Je cherchais Étienne du regard et le vit se frayer un chemin à travers la foule. Son visage rayonnait. Il me prit dans ses bras et m'embrassa sans attendre.
C’était le plus beau moment de ma vie.
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