Le règne de la crasse

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Chapitre 5 - Le règne de la crasse


À Versailles si la tenue est de rigueur, il n'en est pas de même pour la propreté. Alors les apparences seraient-elles trompeuses ? Sous ces vêtements agrémentés de dentelles blanches, de fanfreluches, où la cravate nouée en rosette commence à faire de l'ombre au jabot, n'y aurait-il que de la crasse ? Peu importe, pourvu que les parties visibles soient irréprochables, on ne se soucie guère des parties intimes. Une affaire de sensibilité basée sur des considérations toutes relatives. Surtout lorsque l'on considère qu'il suffit de ne pas trop « puer du bec » et des pieds pour être considéré comme propre. Ne dit-on pas à l'époque : « Plus le bouc pue, plus la chèvre l'aime » ? Heureusement, le parfum existe déjà et asperger son mouchoir de fragrances capiteuses à base de musc, d'ambre ou de cannelle, permet dans une certaine mesure, de supporter les nombreuses effluves malodorantes de ses congénères. Chaque époque aurait donc le sentiment d'être propre à sa manière ?


À Versailles, point de salles de bains et d'ailleurs qui s'en soucis ? L'eau n'est-elle pas dangereuse pour la santé, surtout lorsqu'elle est chaude ? Et les étuves, ne sont-elles pas ces lieux inquiétants où sous l'effet de la chaleur, les pores de la peau se dilatent jusqu'à laisser entrer l'air et ses miasmes porteurs d'épidémies comme la peste ou de maladies comme la syphilis ? Un corps immergé ou qui prend l'eau n'est-il pas considéré comme vulnérable, susceptible de perdre sa substance vitale qualifiée « d'humeur », entrainant faiblesse du corps et de l'esprit ? On dit même que certains hésitent à sortir sous la pluie. Sait-on jamais...


L'eau n'a donc pas cette image positive de propreté, contrairement à la crasse sensée protéger des maladies. Vous aurez alors compris aisément pourquoi on se lave rarement à la Cour et si l'on se trempe c'est le plus souvent pour s'ébattre dans les rivières ou les étangs. Seul le Roi, s'autorise exceptionnellement à quelques « bains de chambre » dans sa baignoire en cuivre que l'on roule alors jusqu'à la pièce désirée. Le terme « d'hygiène » n'existe pas encore, on parle alors « du règne de la crasse ».


Mais cette relative propreté extérieure, ne doit pas faire oublier celle de l'intérieur. Louis XIV se soumet donc avec grâce aux recommandations de ses médecins qui lui prescrivent des saignées tous les quinze jours, des purges et des lavements, tout comme les personnages satiriques des pièces de Molière. 


Ces pratiques, considérées comme essentielles pour se maintenir en bonne santé, permettent dit-on d'épurer, de nettoyer l'intérieur du corps. Les lavements, sensés donner ce teint fleuri et frais sont également très prisés par la gente féminine. Une technique qui voit le jour sous l'Antiquité, consistant à introduire de l'eau ou un autre liquide par l'anus dans le rectum, puis dans la première partie du côlon. Les Égyptiens, se seraient inspirés d'un oiseau, l'ibis « qui se sentant constipé, s'introduisait le bec chargé d'eau du Nil dans le fondement ». Une opération qui ne pouvait avoir lieu sans le recours des domestiques, à moins qu'ils ne soient soudoyés en secret par certains « gentilshommes », tout émoustillés à l'idée de le faire à leur place, sans que la femme concernée n'en soit informée. Le voyeurisme ne date donc pas d'hier...


Lorsque Louis XIV décide de l'agrandissement du château de Versailles, il crée au rez-de-chaussée « l'appartement des bains », une pièce dédiée à la relaxation et à l'érotisme mais en aucun cas au nettoiement. En son centre trône une baignoire octogonale taillée dans un bloc de marbre, agrémentée de porphyre, commandée par le roi tout spécialement pour sa favorite, Madame de Montespan, qui aime le luxe et qu'il cherche avant tout à impressionner. Une marquise pourvue, selon Madame de Sévigné, de ce fameux « esprit de Mortemart " caractéristique des membres de cette famille, aux traits d'humour remarquables, brillants et caustiques, envié de tous. Un cadeau des plus somptueux, qui aurait coûté une petite fortune au Roi. Mais rien n'est trop beau pour s'attirer les bonnes grâces de sa maîtresse. 


En ce XVII ème siècle à la Cour point de bains, mais alors me direz-vous, comment les courtisans parviennent-ils à garder ce semblant de propreté ? Tout simplement en s'en tenant à la toilette sèche. En se frottant la peau au moyen de tissus blancs imbibés d'eau « à l'esprit de vin » l'équivalent aujourd'hui de l'alcool à 90° et en se rinçant ensuite, fort heureusement, à l'eau claire. Mais la première illusion de la propreté vient du maquillage. Se farder, c'est tromper. Il faut camoufler les faces vérolées, grimer son visage. Car sous ce siècle, la vue prévaut sur tous les autres sens, il faut conserver les apparences, quitte à se dissimuler sous les fards, peu importe la realité. D'où l'expression « sans fard » synonyme de vérité. Le maquillage est alors l'apanage d'une élite. 


Un maquillage blanc, qui exprime la pureté, en couche suffisamment épaisse pour ne laisser dans l'ombre aucune expression du visage, semblable aux gens de théâtre. Une couleur également symbole de condition sociale et pour obtenir ce blanchiment tant convoité, on n'hésite pas à utiliser le blanc de Céruse, à haute teneur en plomb qui abîme la vue mais aussi la poitrine et les poumons et qui dessèche la peau, participant ainsi à son vieillissement prématuré. Les pommettes sont maquillées de rouge afin de faire ressortir la blancheur du teint. Les mouches servent dans un premier temps, à cacher les ravages de ce produit toxique. C'est ainsi que certains n'hésiteront pas à en mettre plus de dix-huit, à la fois, sur leur visage. Mais d'artifice, elle deviendra bientôt code de séduction. Les cheveux, quant à eux, sont poudrés, jamais lavés, la crasse leur donnant soit disant, vigueur et beauté... Mais ces perruques peuvent être lourdes et causer de sérieuses migraines ainsi que des maladies, surtout lorsqu'elles sont rongées par la vermine.


Ainsi, certains courtisans mettent plus de trois heures à se préparer le matin et trouvent sur leur table de toilette tout le nécessaire : boîte à onguents mais aussi boîte à mouches et parfum. Et durant la journée les courtisanes, quant à elles, se refont une beauté grâce à leurs petits coffrets miniatures munis de poudre, de fards mais aussi de sels. En effet, à cette époque et en raison du port du corset, il n'est pas rare de ressentir une sensation d'étouffement et de s'évanouir, même en public. Heureusement les sels que l'on respire aussitôt, permettent de reprendre pied rapidement. 


Mais surtout, l'on parvient à conserver cette apparente propreté en changeant de vêtements plusieurs fois par jour. Mais personne n'est dupe, les odeurs corporelles bien qu'amoindries, ne disparaissent pas pour autant. Montaigne disait d'ailleurs ne pas supporter sa propre sueur. D'où le recours aux nombreux onguents ainsi qu'aux parfums entêtants et voluptueux sans oublier les pastilles d'anis pour parfumer l'haleine. L'hygiène buccale étant inexistante, il n'était pas rare de se voir édenté à cinquante ans, de devenir un « sans dent » à l'image de Louis XIV, qui pendant les vingt dernières années de son règne dut se contenter de bouillies. 


Outil de la mode ainsi que de la propreté, le linge est donc l'élément central du paraître et l'aristocrate qui porte du blanc s'imagine sûrement être plus propre que le paysan qui porte du chanvre. Dans ce château où l'on rivalise d'élégance, le nombre de chemises possédées, on en comptera jusqu'à une douzaine pour certains courtisans, devient alors un gage de richesses, un trésor dont on prend le plus grand soin. Souvent en lin ou en coton, faites d'étoffes précieuses, elles coûtent souvent plus cher qu'un meuble ou un tableau. C'est pour cette raison qu'on les retrouve mentionnées dans les inventaires après décès. Certaines servent de sous-vêtements aux hommes comme aux femmes. Épousant alors les courbes du corps dans une intimité parfaite, au point de voir naître cette expression : « Être comme cul et chemise ».


Les robes de Cour, quant à elles, ne se lavent pas, on les frotte et on les brosse avec beaucoup d'égards, contrairement aux chemises, qui passent entre les mains des blanchisseuses et lavandières pour y être nettoyées, comme le menu et le gros linge. 


À la Cour, en ce Grand Siècle, rien n'est laissé au hasard. Ainsi de petits livres intitulés  « Les traités de civilités » indiquent-ils aux courtisans la bonne manière de se moucher, donnent des recettes pour s'armer contre une haleine fétide ou des pieds malodorants. Les apothicaires font des sachets de senteur pour les habits, le linge et les perruques. On place de petits sacs parfumés sous les aisselles, sur les hanches, dans les plis des robes ou les revers des pourpoints. Se parfumer est un signe de distinction sociale. Il en existe de trois sortes  : le parfum royal, le bourgeois et celui du pauvre. 


Les senteurs sont tellement à la mode que Louis XIV n'oublie jamais de faire embaumer ses fontaines d'essence de fleurs d'oranger ou de jasmin lors des fêtes qu'il tient en ses jardins. 









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