La simple folie pastorale

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Il faisait bon vivre à la ferme des Duménil.

— Mais fais quelque chose, enfin ! aboya son autoritaire mais néanmoins charmante femme.

— Ouais ouais, râla-t-il du fond de sa chaise délicatement rembourrée, la main gauche garnie d'une bière et l'autre se grattant l'entrejambe. C'est bientôt fini, de toute façon. Fous moi la paix.

— Toujours assis devant l'âtre ! ajouta-t-elle, véhémente. Si j'étais pas là, t'y passerait la journée devant c’t’âtre ! j'vois pas l'intérêt, moi...

— Il m'aide à oublier les tracas que tu me causes ! clama-t-il du haut de sa demi-biture.

— Quels tracas ? réagit-elle, outrée. Ah ça, c'est la meilleure ! Qui s'occupe des gosses, qui trait les bestiaux, les nourris, qui leur chante des contines et les bercent la nuit quand ils dorment pas ?

— Qui ? Les bestiaux ?

— Non les gosses, gros malin ! Si monsieur daignait être là, plutôt qu'à la taverne pour rentrer à pas d'heure ! Il verrait les nuits qu'on passe ici, avec son maudit blé !

— Qu'est ce qu'il a mon blé ? explosa-t-il en se relevant.

D'un geste hargneux, il éteignit l'âtre, il n'avait de toute façon plus rien suivi depuis la remarque de sa femme et de toute façon après trois bonnes heures à contempler la lucarne, ses pauvres yeux s'épuisaient.

— Ah, enfin ! Tu te décides à bouger ? Il te reste un bon demi-milliard de choses à faire !

— C'est bon, j'ai compris ! cria-t-il en filant vers la cuisine, passant derrière sa chère et tendre qui touillait dans la tambouille.

Les portes des placards se mirent à claquer les unes après les autres, comme s'il s'essayait à un furieux solo de percussions.

— On peut savoir ce que tu fais ? interrogea sa femme entre deux portes fracassées.

— J't'ai rien demandé ! C'est aussi ma cuisine !

— Si tu cherches les souris crevées, elles sont au même endroit que d'habitude...

— Je sais très bien où elles sont ! gronda-t-il en shootant dans la dernière armoire.

— Alors pourquoi tu réveilles les petits avec ton concert de grosses caisses ?

En soutien de leur mère, trois pleurs retentirent dans la pièce voisine. Mr Duménil grimaça sous la stridence.

— Ma très chère épouse, dévouée, aimante et – par-dessus tout – respectueuse, susurra-t-il avec une ironie crasse. Je cherche mes... mes... Ah les voilà !

— On peut savoir pourquoi tes sabots se trouvent dans le placard à légumes ?

— Pour les purifier de leurs odeurs, mégère ! Maintenant répond à ton mari ! Où sont les souris ?

Elle lui répondit d’un soupir prolongé :

— La cabane... près du champ...

— Pfff... Je le savais, fit-il en claquant cette fois la porte d'entrée, redoublant les pleurs de ses cadets.

En sortant, le Duménil se prit les pieds dans deux de ces enfants qui trainaient par terre. Ceux-ci culbutèrent comme des fagots.

« Et surveille tes gosses ! Ils trainent n'importe où ! »

Étouffé, le mot « connaaaaard » traversa poussivement la porte qu'il venait de refermer.

— Toi-même ! Et vous, bougez-vous, fit-il, charmant, à ses encombrants enfants.

Il se lança ensuite, non sans maugréer, vers la cabane. Pendant qu'il longeait les épis flamboyants il avait l'impression que les végétaux le regardaient.

— C'est bon, me regardez pas comme ça, vous ! lança-t-il aux plantations. Ça vient !

D'un coup de pied bien placé, il fit sauter la porte de la masure mal entretenue. Une odeur de mort s'en déversa.

« Oups, plus très frais, tout ça, s'exclama-t-il en empoignant un sac de jute qui empestait le cadavre. À la bouffe ! »

Il s'enfonça alors dans le champ qui avait des yeux.

Si un curieux se prenait à passer sur la route qui longeait l'endroit, il aurait entendu, émergeant de l'étendue plantée : « Oui oui, ça vient » « Ah ! toi, reste là où tu te trouves » « Hep, toi ! bas les... euh... pattes » « Aïe ! Mais c'est ma cuisse ça » « Hé non, pas là, c'est mon... »

Assurément, ledit curieux auraient été fort troublé d'entendre ce que proférait le faucheur en parcourant son champs. Sans conteste, il l’aurait cru habité par quelques créatures taquineuses et gourmandes. Il n'en était pourtant rien, seuls des plantes baignées de soleil s'y tenaient.

Soufflant comme un bœuf, Duménil escalada le promontoire en bois qui perçait son champ comme une fleur hasardeuse.

— Tenez, la vla votre bouffe ! cria-t-il aux épis dressés.

Lesquels parurent presque enjoués à cette annonce. S'ils n'avaient pas été plantés là, ils auraient sûrement sautillé de joie en voyant le fermier leur lancer de pleines poignées de souris claquées.

« Mangez donc, grossissez ! hurla-t-il, le regard empreint de folie. Devenez de bons gros épis bien gras, que ma mise soit enfin amortie ! »

Il partit dans un rire tonitruant que le marcheur de tantôt – l'hypothétique curieux, encore – aurait trouvé bien inquiétant...

— Oh là, l'ami ! appela quelqu'un depuis la route.

Le rire déglingué du fermier devint couinement.

— Ah ah ah... ahrgll... Oui ? fit-il, retrouvant contenance.

— Je ne suis qu'un promeneur curieux, cherchant sa route et quelques conseils, pourriez-vous nous aider, moi et mon équipée ?

Le personnage affable qui tenait son cheval à l'encolure était suivi d'une charrette bien remplie. À l'avant, deux dames – l'une à la noble mise et l'autre aux allures de servante – tiraient des mines boudeuses aux côtés d'un personnage au sourire forcé, faussement gaillard, qui s'efforçait de siffler, en produisant d'épouvantables grincements.

— Etrange équipée, en effet, commenta le faucheur, les yeux écarquillés en voyant qu’à l'arrière du chargement se trouvait un centaure accidenté infligeant des pichenettes à un chevalier à la mine lugubre. Le tout encadré par un chien minuscule et éberlué qui, de loin, semblait commenter l'affaire. « Très très étrange » conclut-il enfin, oubliant qu'en dessous son blé trépignait encore.

— Alors ? Nous aiderez-vous ?

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