Crash test horsies 

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Fringard regardait les champs baignés de soleil. Eux aussi le regardaient.

Là-dessus, l'affreux bambin qu'on lui avait assigné comme gardien tapa à grand coup dans sa poitrine.

Il eut envie de lui crier que ce n'était pas nécessaire, qu'il respirait de son plein gré. Il aurait aussi bien voulu lui filer une torgnole de tous les diables, jusqu'à l'envoyer à l'autre bout de la ferme, ce sale gosse timbré. Mais il n'avait guère la force ni de crier ni de claquer qui que ce soit. Cette foutue servante bizarre l'avait mis à terre, laissé à demi-mourant, et incapable de parler ou même de bouger. On n’avait jamais vu pareille étreinte de toute l'histoire des étreintes, jugea-t-il, du fond de son corps échoué.

— Pauvre héros... regrettèrent les pieds de celui qui venait de se poster juste à côté. Vous étiez si fier, si beau. Naguère, vous et votre fidèle trouvère, combattiez dragons, cabots et créatures de l'enfer. Vos yeux, sacrebleu – même s'ils sont verts – perçaient l'horizon et entamaient les profondeurs de l'univers. Ah... Il faut que je note ça !

Un son venu de très loin (mais pas des profondeurs de l'univers) sortit péniblement de sa gorge.

— Ta... g....

Mais la suite – ... gueule saloperie de lettré ! – ne put franchir le reste du chemin.

— Ma parole ! vous avez parlé, mon beau ! L'espoir n'est pas perdu, alors ! s'écria-t-il, guilleret comme un mineur qui, en tombant dans une fosse, trouve un nouveau filon d'or. Duménil ! Il est vivant !

L'intéressé – qui ne l'était pas du tout – répondit d'un « Oui-oui, formidable » en hasardant un œil dans l'embrasure de sa grange-boucherie. Ses filles avaient hissé le truc-cheval au-dessus du hachoir pour qu'il y soit broyé. Ça en fera de la bouffe, et pour des semaines ! jubila-t-il, en pensant au goût de la viande de cheval. Et des ventes à gogo ! Hé hé.

Une bonne affaire, tout ça ! Jugea-t-il, en se tournant vers son champ gourmand qui regardait Piroulette et son pote le cadavre d'un air affamé, tandis que ses fils préparaient la cariole pour s'aventurer en forêt. Sauf que ces quatre empotés ne torchaient rien de bon, comme d'habitude ! Le fermier décida d'aller leur apprendre comment on monte un attelage !

(Derrière lui, un petit chien sortit prestement par la porte et fila en diagonal pour finir sa course dans un tas de foin surpris)

— Bon ! Comptoir, Plumard, Kurt et Michellien ! Les gars, ça ne va pas. Presque à croire que vous n'êtes pas mes fils ! (Michellien leva doucement la main pour l'interrompre) Silence ! Ce n'est pas comme ça qu'on prépare un attelage ! C'est quoi cette mise en voiture ? Vous essayez de faire reculer les chevaux ? Vous voulez aussi les faires chanter, tant qu'on y est ?

— Quelqu'un a dit chanter ? intervint Piroulette en arrivant d'un seul coup. J'ai justement une...

— Nooooooooon... brillant ami, pas de ça, s'exclama Duménil. Ne fait pas plaisir aux oreilles de ces gamins peu consciencieux ! Euh... Va donc t'occuper de ton bonhomme là, avant qu'il ne moisisse.

—Fringard ? Oui ! Tu as raison, j'y cours.

Pendant cet entracte mal venu, les quatre empotés avaient tout de même essayé de faire reculer les bêtes, et quand le fermier se tourna vers leurs bricolages, il vit ses deux chevaux mécontents de l’opération violement ruer dans les brancards avant de se barrer droit dans les champs.

— Non ! pas les champs ! s'exclama Duménil en grimaçant.

Mais il était trop tard. On entendit les pauvres bêtes hennir de terreur sous les assauts répétés des blés affamés ; on vit du sang gicler par-dessus l'or de leur épis hérissés.

Terrassé, Duménil laissa ses épaules descendre et ses bras tomber. Clairement, il était affublé d'une armée, certes nombreuse, mais composée uniquement de débiles. Il aurait voulu en pleurer, leur tirer les poils du nez, les condamner à l'exil ! Mais Piroulette les regardait, et par la fenêtre entrouverte, la marquise aussi. Alors, place au théâtre, Duménil !

— Ah ! Mais que ces chevaux sont farceurs ! Ah ah ! Et par là même fêtards ! Ils sont allés s'amuser dans les champs ! Sans blague, leurs sabots dansants, leur charivari bondissant, leurs charmants hennissements, sont autant d'espiègleries, d'amusement ! rigola-t-il, comme devant un spectacle drolatique. Je ne veux point les tourmenter, ce n'est rien, laissons... Allons, mes fils ! Vous êtes quatre, nous avons l'attelage, c'est simple : vous tirerez !

Les quatre jeunes gens en restèrent coi quelques instants, avant de se dire qu'il serait bon de se révolter, tout de même. Un attelage, c'est lourd. Or, au moment où ils s'apprêtaient à réclamer, Madame Duménil claqua derrière elle la porte de la maison. Ils eurent presque l'impression d'entendre le sol trembler. Son regard, qui en disait tant, proclamait « Vous avez intérêt à bouger vos fesses si vous voulez encore rentrer dans cette maison et manger de not ‘saucisson. Vot'père est sur un coup, vous l'aidez, et puis c'est bon ! ». Puis reclaqua ensuite la porte en sens inverse, les laissant à leur hébétude.

— Allez, magnez-vous, bande de trouffions, meugla Duménil, prenant le relais. Chargez le chevalier à l'arrière et ensuite vous nous tirerez ! Quant à toi, cher Piroulette, tu iras prendre soin de ton ami, pendant que je conduis. Prière de ne pas chanter, car ces bois, très jolis, sont en réalité hantés !

— D'accord, fit le trouvère virevoltant. Des fantômes ! Comme c'est excitant !

Les fringuant jeunes gens empoignèrent le halage, tout en ronchonnant en silence. Piroulette émit quelques poésies lascives tout aussi discrètement, tandis que Fringard n'en finissait pas de mourir sans bruit...

Dans la ferme, émergeant du foin, le petit toutou au regard Est-Ouest hésita entre le nord, où disparaissait le chevalier presque mort, et le sud, où, dans la grange, allait mourir le cheval étrange. Thrasybule voulait les dévorer tous les deux. Le premier, car il avait tranché le visage de son maître à penser et le second parce qu'il avait couru devant ses frères affamés. Et quand quelqu'un court, Thrasybule, ça l'excite ! Impossible de ne pas le prendre en chasse tout en aboyant du Sophocle ou du Pythagore.

Sauf qu'à présent, il ne désirait plus leur manger les intestins, leur briser les mollets ou encore leur susurrer Esope avant de leur grignoter les oreilles. Non, en fait, le petit chien commençait à les trouver sympas. Ils étaient comme sa nouvelle meute. Moins bavarde, sans doute. Moins intellectuelle, certes. Mais, surtout, elle n'errait pas à longueur de temps dans des forêts froides, en ratant chaque fois les meilleures prises à force de gloser sur l'éthique fondamentale.

Ils avaient de bons côtés. Alors comment choisir ?

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