Oh, oh, oh, vers quels accords secrets, ce charmant va les emporter ?
Un piège est une chose sournoise. Songez à la souris qui, gourmande, convoite le fromage ; plus grand : imaginez une croquatif se dirigeant, caquetant, vers un symposium de barbiers et coiffeurs ; plus grand encore : rêvez au mammouth rabougri, se mourant de froid sur la banquise, à qui l'on désignerait un foyer bien chaud.
Le piège est chose terrible. Il promet fromage, toisons drues et chaleur ; il promet plaisir, réconfort et rondeur.
Quand soudain, alors qu'on pense être enfin récompensé, heureux, apaisé : PAF ! Tout s'arrête. GNAP ! la souris se retrouve décapitée par une cruelle barre de métal. SPROTCHL, la coquette se voit écrabouillée par un mammouth passant par-là, lui-même terrassé – PLERGH – violement percé de lances rescapées de l'ère cénozoïque ! Oui, car le piège procède parfois en cascade. Vous savez dire quand ça commence, mais jamais quand ça finit...
Un piège. Voilà ce à quoi Fringard aurai pu penser en voyant ce bellâtre musclé et à demi nu pousser son trésor devant le piédestal de la friquée duchesse ; mais le chevalier était pour le moins déconcentré, le fric justement, voilà vers quoi allaient ses réflexions. Quand pourrait-il réclamer son flouze à cette bonne femme perchée ? Il trépignait.
Un piège. Voilà ce à quoi Piroulette aurait pu dédier ode, geste ou chant ; mais à la place, ses yeux et sa voix n'allaient qu'à l'éphèbe, si beau qu'il semblait illuminer alentour. Déjà le barde pondait nouvel alexandrin : « Ô héros sans devise, Calicoba radieux, ce matin je t'avise dans un fief malheureux », déclamait-il en son for, fort heureux.
Un piège. Voilà ce qui aurait en soi mérité une citation d'Ésope, Parménide ou Socrate ; mais Thrasybule n'en menait pas assez large pour causer, ses belles phrases mouraient dans sa gorge malmenée depuis sa récente bataille homérique.
En revanche : Un piège. C'est bien ce à quoi la duchesse de Maravut-pied-des-monts-glaviots-et-rack-sur-mer pensait. Malgré la joliesse du nouveau venu, malgré la prestance cérémonieuse du has-been qui l'annonçait, malgré que cette malle flairât l'or à la manière des lavandes embaumant ses jardins ; la noble dame sur son Olympe se méfiait, mais n'allait pas pour autant risquer de perdre aussi beau parti. Aussi reprit-elle, enjôleuse :
— Cher invité, ma prestance naturelle m'empêche de moi-même venir ouvrir cette boîte, et je serais bien en peine de m'approcher. Peut-être vous, avec vos puissants bras dorés – ou quelque autre assistant musclé – pourriez m'en dévoiler le contenu ?
— L'or est chose intime, même privée, chanta la gravure vivante, faisant virevolter sa mèche dorée. Du coup, il ne peut être exhibé ainsi, publiquement, à moins de choquer...
Était-ce de la chaleur que la duchesse sentait monter à ses joues ? Était-ce le rouge qui les prenait ?
— Alors, décida-t-elle abruptement, autant pour couper son échauffement que pour reprendre le dessus. Laissez-le donc là, en plein milieu, et parlez, jeune prince venu de loin !
— Je suis Calicoba – et je vous passe mes innombrables titres –, vous l'aurez compris, je serai direct : je viens vous proposer une alliance, tout simplement ! déclara-t-il, sans ambages et sans once de diplomatie. Nous savons, malgré la distance qui nous sépare de vos terres, que votre désir le plus ardent est de gagner la couronne et, du coup, d'ériger votre duché en mode : royaume ! Mais pour cela, il vous faut des armes, des forces et de l'or. On va pas se mentir, duchesse, c'est ce que je suis venu vous offrir.
Sur son promontoire nacré, la féroce faillit s'étrangler. Comment ce freluquet, certes joli, pouvait oser se pointer et déclarer publiquement ce dont elle rêvait chaque soir ? Comment savait-il ? Elle se sentait mise à nue, déshabillée, sa pudeur percée !
— L'erreur est grossière, cher prince d'au-delà des mers ! s'éleva-t-elle. Des billevesées ! Cet homme, fit-elle, en pointant du doigt le sorcier Anatole qui souriait de plus belle. Cet homme vous a menti !
Un silence à peu près assourdissant décapa l'ambiance vaguement réjouissante qui régnait jusqu'à présent. On savait que quand la duchesse était contrariée, les têtes tombaient, voire les mains ou les pieds. Ses yeux dévoraient l'assemblée, avant de retomber sur l'Apollon galbé.
— Néanmoins... susurra-t-elle, presque trop bas pour qu'on puisse l'entendre. Néanmoins une alliance n'est jamais de refus. Une alliance directe, comme vous le préconisez, me parait être un risque d'insulter la couronne, que nous chérissons, bien entendu, acheva-t-elle, d'une voix si hypocrite qu'elle grinçait à toutes les oreilles. Or, j'ai autre chose à vous proposer, jeune prince.
Elle se tourna vers son chambellan, qui récitait ses tables sans trop suivre :
— Duflouzier ! Lâchez... La bête...
On amena, en à peine un quart d'heure – car la cheffe était pressée – ladite bête.
Celle-ci avait un regard si terrible qu'elle semblait mépriser toute chose, on la sentait capable même de piétiner les rois du monde, tant son dédain paraissait cinglant. Ses yeux, si terribles, si foudroyants réduisaient les volontés en charpies. On avait dû y placer un foulard bien épais, afin d'éviter la pétrification que, sans détour, cette gorgone promettait à tous les naïfs qui croiseraient sa route.
— Enlevez lui donc son bâillon ! chuchota abruptement la duchesse, en accueillant, bien hypocrite, la jeune femme tendue comme une trique. Voici mon échantillon à marier !
Le silence racla à nouveau les crânes effrayés de l'assemblée. Tous avaient reconnu la marquise Louise de Carbon, et tous savaient qu'elle demeurait prisonnière sous le couvert d'être l'invitée. Et voilà que la duchesse, se croyant tout permis, la donnait à marier, sans aucune consultation de son beau-frère. Quelques idées de révolution commençaient à naitre dans les chefs assemblés, mais les piques des soldats hérissées en tuaient déjà toute velléité dans l'œuf. Louise n'était bien sûr qu'une invitée, juste un peu contrariée - et vive la duchesse !
— Allez, Louise, ma belle enfant, ne fait pas la tête, minauda Grissendre. Ce jeune homme est charmant, et prince de surcroit. N'y vois-tu pas parfait parti ?
La marquise fit tomber son regard d'émeraude sur la gravure de mode qui bandait ses muscles en contrebas. Lequel lui lança une œillade telle l'arbalète.
— Un mariage, du coup ? pérora-t-il, en se pavanant. Je dois consulter mon père, mais aussi la dame pressentie. On va pas se mentir, duchesse, la romance ça compte de nos jours.
Louise s'adoucit à ces mots, avant de se rembrunir. Encore un beau parleur, décida-t-elle, en le voyant faire quelques pas chassés, tel le coureur voulant s'entraîner. Combien de fois ne lui avait-on pas présenté des bellâtres intéressés ou des freluquets fortunés. Le sort faisait qu'il n'y avait jamais de beaux jeunes hommes amoureux et pourvus d'héritage, qui plus est aimables et prompts au partage, à lui être présenté. Jamais !
Mais que pouvait-elle faire ? Comment se sortir de ce guêpier. C'est là qu'elle vit la trogne patibulaire du chevalier Fringard, perdu dans l'assemblée, le regard noir. Il tenait une baudruche vulgaire, une trainée. Une haine étonnante grandit alors, une rage inattendue qui fit choir l'âme déjà torturée de Louise.
Elle avisa sa tante, cette diablesse, et lui asséna, déterminée :
— J'y consens !
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