Chapitre 14 : lundi 21 mars 2005 (1ère partie)
Mickaël avait tourné en rond toute la matinée. La soirée avait été longue ; il avait, pour une fois, lézardé devant la télévision et un programme dont il avait tout oublié. Sa nuit avait été agitée. Il se noyait dans le regard de Maureen. Quand il se réveillait, il revivait chaque instant, chaque échange. Et surtout, bien entendu, les derniers. Et les questions revenaient, surtout LA question : que devait-il faire maintenant ?
Au-dehors, l'averse n'avait pas cessé depuis la veille. Le crachin était devenu pluie soutenue et les gouttes s'écrasaient les unes après les autres dans les flaques creusées dans les défauts du bitume, résonnant sur les toits ou formant une goutte plus grosse, plus charnue, qui s'échappait du rebord de la gouttière de la maison d'en face et s'écrasait au milieu de ses congénères en une éclaboussure d'écume.
Il tournait dans l'appartement, sans savoir quoi faire.
Maureen, Maureen, Maureen.
Maureen...
Il se décida, au plus fort de l'averse, l'imperméable jeté sur les épaules, le vélo à bout de bras. La pluie battait fort sur son visage, mais qu'importe. Il ne tiendrait pas sans la voir aujourd'hui. Demain était trop lointain. Comme inaccessible. En quelques tours de pédales, il tourna à l'angle de sa rue, devant le pub. Puis s'arrêta d'un coup de frein devant la boutique, fermée ce jour-là. La petite voiture était stationnée un peu plus loin. Elle était chez elle, il en était certain. Il frappa à la porte voisine, là où elle lui était apparue, la veille, quand il était venu la chercher. Puis il recula sur le trottoir, levant les yeux et fixant les fenêtres de l'étage.
Il fallut un petit moment avant que sa silhouette ne se dessine derrière le voile des rideaux d'une des fenêtres. Il riva son regard au sien. Elle ne put s'en détacher. Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Mickaël n'avait plus conscience de la pluie qui tombait, du ruissellement de l'eau sur ses vêtements. Autour de lui, tout était gris. Le ciel, la pluie, la rue. Tout sauf le regard de Maureen. Ce bleu qui, soudainement, prenait le dessus sur le gris, s'y mêlant encore en un mélange plus profond, plus... envoûtant. Et harmonieux.
Gris-bleu ou bleu-gris ? A cet instant, alors qu'elle ouvrait la fenêtre, il aurait affirmé avec assurance que c'était bleu-gris. Mais quand elle la referma et qu'il resta seul, se demandant si elle le laisserait entrer, il douta. Vert et bleu-gris pouvaient-ils s'harmoniser ?
**
Maureen était debout devant la fenêtre de sa chambre qui donnait sur la rue. Il pleuvait. Les gouttes ruisselaient sur le carreau, formant d'étranges méandres, comme une dentelle vaporeuse. Tout était gris. Le ciel était gris. La pluie était grise. La rue était grise. Les voitures étaient grises. Les gens, les parapluies, le mur en face...
Tout, sauf un regard vert qui la fixait, là, depuis le trottoir.
Sa main trembla, en se posant sur la poignée de la fenêtre, dont la peinture s'écaillait un peu.
Qu'est-ce qu'il faisait là ? Sous la pluie ? Appuyé à son vélo ? A la regarder ainsi ?
Bien sûr qu'il la voyait. Bien sûr qu'il savait qu'elle était à la fenêtre. C'était idiot. Il allait finir trempé, malgré le long imperméable qui lui descendait aux genoux. Mais si elle le faisait entrer... Si elle le faisait entrer, elle savait très bien comment cela finirait.
Dans son lit.
Et pourquoi pas ? Et pourquoi non ?
Ce petit mot : Non. Il était si difficile à dire. Elle avait tant lutté pour réussir à le dire. Et, maintenant, il faudrait qu'elle y renonce ? Qu'elle dise oui ? Est-ce que ce n'était pas trop risqué ? Est-ce qu'elle n'allait pas perdre... tout ce qu'elle avait pu gagner ?
Elle ferma les yeux, appuya son front contre la vitre. Quand elle les rouvrit, elle vit que Mickaël était toujours là, la tête légèrement levée. Immobile.
"De quoi t'as envie, là, maintenant ? Main-te-nant.
- Juste d'être dans ses bras..."
Elle avait pensé trouver la paix, et c'était un autre combat qui l'attendait. Encore combattre. Encore lutter... Mais qu'est-ce que c'était que ce courant d'air froid qui descendait le long de ses jambes ? Qu'est-ce que c'était que cette pluie qui frappait son visage et dont quelques gouttes s'écrasaient déjà sur son chemisier ? Pourquoi la fenêtre était-elle ouverte ? Qui l'avait ouverte ?
Toi, Maureen. C'était toi.
**
Ils étaient face à face dans le couloir. Ils n'avaient pas échangé un seul mot, mais les regards en disaient plus long que toutes les phrases qui auraient pu leur venir à l'esprit. Elle hésitait encore, pourtant, c'était inévitable. Un jour ou l'autre, cela serait arrivé. Il n'y avait pas que Brian au monde. Et tous les hommes n'étaient pas des salauds. Ses frères, surtout Kenneth, et puis John, le mari de Lawra, et Philip, celui de Tara, sa jeune sœur. Alors, pourquoi pas elle ? Et si elle avait fait une erreur, cela ne voulait pas dire que cela se reproduirait.
Mickaël perçut son hésitation, sa retenue. Elle lui plaisait. Elle l'attirait, irrésistiblement. Il se connaissait bien et savait parfaitement qu'il n'allait pas lui falloir grand-chose pour en tomber amoureux. Même s'il avait bien l'intention de ne pas s'emballer autant que lors de sa précédente relation. Enfin... Entre ce qu'on voulait faire et ce qui survenait...
Pour l'heure, il était bien décidé à abattre les murailles qui pourraient se dresser entre elle et lui. Il était bien décidé à franchir toutes les distances. Il se sentait du courage à revendre, et du désir aussi, puissant, déjà brûlant.
Elle lui tourna le dos pour entrer dans la cuisine et, d'une voix plus assurée qu'elle ne le ressentait, elle lui demanda :
- Veux-tu prendre quelque chose ?
Alors, il la retint doucement par le bras, avant qu'elle n'en franchisse la porte, l'attira vers lui et répondit, avec audace, d'une voix un peu plus grave que celle qu'elle connaissait déjà, en la fixant droit dans les yeux :
- Je veux goûter à tes lèvres. Je veux tout goûter de toi.
Et il l'embrassa sans attendre sa réponse.
Ses lèvres.
Enfin.
Si... Soyeuses.
Elle se raidit entre ses bras, sans chercher lui échapper. Le baiser que lui donnait Mickaël n'était en rien violent ou même passionné. C'était au contraire un baiser très doux, qui commença par un frôlement léger. Elle en fut presque surprise, elle s'était attendue à quelque chose de plus marqué. Cela la rassura et elle sentit que la tension en elle se relâchait. Il vint alors tout aussi lentement parcourir ses lèvres du bout de sa langue, avant de les faire s'entrouvrir. A cet instant, quelque chose craqua en elle et elle lui répondit. Leurs langues s'enroulèrent, se caressèrent, d'abord lentement, doucement, puis plus étroitement. Et Maureen osa poser sa main droite sur l'épaule de Mickaël, alors qu'il prenait son autre main pour enlacer leurs doigts.
Quand il s'écarta, avec l'envie de retrouver son regard, d'y plonger comme s'il plongeait dans les eaux claires près d'Ardgour, il osa murmurer :
- Maureen... Si... tu veux... Je...
Elle l'interrompit, en posant délicatement un doigt sur ses lèvres.
- Chut... Ne dis rien... Viens...
Et elle l'entraîna dans la pièce voisine, sa petite chambre, là où elle s'était tenue il y avait encore quelques minutes, debout, devant la fenêtre. Quelques gouttes de pluie avaient marqué le plancher, quand elle l'avait ouverte, mais elle n'en eut cure. Car bien autre chose était en jeu. Un combat terrible se levait en elle. Le oui face au non, le non face au oui, la peur face à l'envie, le désir face aux souvenirs.
Le présent face au passé.
**
Mickaël prit délicatement son visage entre ses mains, il avait bien perçu son hésitation et un voile craintif dans son regard. Mais il y avait lu aussi l'éclat du désir et une espérance inconnue. Il glissa ses doigts sous ses cheveux, les soulevant avec douceur. La caresse était si tendre qu'elle en ferma les yeux. Alors il déposa deux baisers légers, un sur chacune de ses paupières, puis remonta pour dessiner de ses lèvres l'arche fine de ses sourcils. Elle avait posé ses mains sur ses hanches, comme pour se retenir à lui. Il reprit sa bouche, en retrouva le velouté qui l'avait tant ému l'instant d'avant. Et, déjà, il songea qu'il n'avait rien goûté d'aussi particulier. A la fois doux, frais, soyeux... Oui ses lèvres étaient tout simplement soyeuses.
L'une de ses mains descendit dans son cou, longea le col de son chemisier, en chercha l'ouverture. Le premier bouton s'ouvrit sans forcer et il devina la peau tendre de ses seins. Sa main se fraya un passage sous le tissu, découvrit vite un dessin de dentelle. Il l'embrassa un peu plus profondément. Dieu qu'il avait envie d'elle !
Sa main descendait toujours, trouvant le bouton suivant, puis l'autre, encore l'autre... Tout cela sans cesser de l'embrasser. Le cœur de Maureen battait fort. Jamais Brian n'avait pris le temps de la dévêtir. Il se contentait de soulever sa chemise de nuit, voire il lui demandait de l'enlever. Mais être déshabillée... Non, jamais cela ne lui était encore arrivé. Et cela lui plaisait, alors elle laissa faire Mickaël. Bien entendu, il n'avait aucune idée de ce qu'elle avait vécu, hier, mais, soudain, cela sembla secondaire à la jeune femme. Le présent était en train de vaincre le passé. Lawra serait fière d'elle.
Les gestes du jeune homme étaient lents, mesurés. Attentif à ce qu'il provoquait autant qu'à ce qu'il ressentait. Le chemisier tomba au sol, Mickaël rompit leur baiser pour la regarder. Regarder sa poitrine qui se soulevait un peu vite, regarder ce soutien-gorge, un des plus jolis qu'elle possédait, tout en dentelle blanche, simple, qui épousait si bien les formes rondes et chaudes de ses seins. La main du jeune homme remonta le long de son bras, l'autre était toujours en train de caresser lentement la naissance de ses cheveux, entre sa nuque et son oreille.
Maureen osa le fixer, plonger dans l'inconnu, l'inattendu de ce regard vert profond, de ces paillettes dorées mystérieuses. Et de cet éclat bleuté qui venait de surgir, tel un trésor, du fond de son iris. Mais cet inconnu n'était pas dangereux : et si le désir était présent, palpable, la tendresse l'était aussi. Elle entrouvrit légèrement les lèvres et Mickaël perçut le souffle qui s'en échappait sur sa propre peau, dans son cou. Rien que cela le fit frémir.
D'un geste rapide, il ôta son t-shirt, il voulait être à égalité avec elle. Ne pas se retrouver avec elle nue et lui... encore habillé. Ni l'inverse. C'était une découverte. Ils devaient la mener ensemble, comme un marin menant sa barque jusqu'au port. A eux simplement d'inventer le chemin pour y parvenir. Et ce chemin commençait par ce souffle léger, sur sa peau.
A le voir ainsi, torse nu, le sang se mit à battre un peu plus vite dans les veines de Maureen. Une émotion étrange la saisit : elle le trouvait beau.
Elle n'avait pas encore osé vraiment le toucher, même si elle répondait à ses baisers. La main de Mickaël explorait maintenant son ventre, puis caressa ses hanches, son dos. Il l'attira un peu plus près de lui. Il voulait la sentir contre lui. Il l'embrassa dans le cou, s'aventurant vers le lobe de son oreille, le long de sa mâchoire, jusque sur ses épaules. A travers la dentelle blanche, il sentit pointer le bout durci de ses tétons. Alors, il alla chercher dans son dos l'attache du soutien-gorge et la dégrafa d'un geste précis et sûr. Le joli petit morceau de dentelle rejoignit leurs premiers vêtements, au sol.
A cet instant, un fin rayon de soleil perça à travers les nuages, apportant une lumière dorée dans la chambre. Il caressa délicatement le sein de Maureen, soulignant sa pointe tendue et l'arrondi sur lequel Mickaël vint naturellement poser sa paume. Ils se regardèrent, heureux. Simplement heureux.
Il le savait. Déjà. Il n'oublierait jamais ce rayon de soleil, inattendu, merveilleux. Non, il le savait, il ne l'oublierait jamais. Jusqu'à son dernier souffle.
Puis un nuage s'avança dans le ciel, couvrant le rayon de soleil qui s'estompa lentement. Ils se sourirent, comme étonnés de ce cadeau de la nature. Rien qu'un rayon lumineux, chaud et doré, venu éclairer leur première fois.
La main de Mickaël n'avait pas bougé, le temps du sourire. Maureen retrouva la sensation éprouvée lorsqu'il l'avait posée sur son poignet, la veille. Chaude, douce. Envoûtante. Il avait des mains vraiment très douces. Et elle se souvint de la façon dont il avait touché les pétales. Il fit de même avec la pointe de son sein qu'il effleura du pouce. De légers picotements s'emparèrent d'elle et un premier frisson courut de son sein au bas de son dos, communiquant la chaleur de la main de Mickaël jusqu'à ses reins, par un chemin secret des fibres de son corps. Elle ne put retenir sa première plainte.
L'autre main de Mickaël cherchait maintenant l'attache de la jupe de Maureen, hésitait, frôlait, ne la trouvait pas.
- Où ? demanda-t-il à son oreille.
Elle ne lui répondit pas, alla d'elle-même chercher la petite fermeture éclair, sur le côté, la fit descendre. La jupe tomba en caressant doucement ses jambes, s'étalant à ses pieds comme les corolles d'une fleur. Elle ne portait plus qu'un petit slip de dentelle blanche et ses bas clairs. Les mains de Mickaël s'aventurèrent le long de la dentelle, d'abord dans le creux de ses reins, puis sous ses fesses, remontant ensuite vers sa hanche. Partout où il posait les mains, la peau était douce, veloutée. Et il lui vint vraiment le désir de la parcourir toute entière, de ses doigts, de ses paumes, de ses lèvres.
Il la caressa longuement, cherchant déjà les points sensibles, les endroits plus doux que doux, ceux dont un simple effleurement pouvait provoquer un frisson, un gémissement, un cri. Il espérait secrètement qu'elle finirait ce qu'il avait commencé, qu'elle lui ôterait son pantalon. Mais elle n'en fit rien. Elle caressait cependant ses épaules, son torse, s'aventurait dans son cou, mais guère plus. "Intimidée ? Coincée ? Gênée ?", se demanda-t-il. Il se dit que c'était à lui de faire, alors.
La boucle de sa ceinture claqua quand il l'ouvrit. Il fit tomber rapidement son pantalon, secoua les pieds pour les dégager et le repousser sur le côté, puis, sans hésiter, il entraîna Maureen vers le lit, juste le temps qu'elle s'y étende et la rejoignit après avoir enlevé son boxer, s'allongeant nu contre elle.
**
Son visage tout près du sien, son regard bleu-gris encore hésitant. Mickaël entendit cogner le cœur de la jeune femme quand il approcha ses lèvres de ses seins. Le rose prononcé de ses tétons l'attirait, il déposa un baiser sur chacun, s'arrêta un peu plus longuement sur celui de gauche, pour mieux sentir battre son cœur. Ses mains se promenèrent, sur son ventre, sur ses bras. Ses lèvres descendirent vers son aisselle. Il voulait goûter à tout. Au parfum de sa sueur comme à la douceur de sa peau. Il voulait apprécier le battement du sang dans la veine bleutée de son cou. Il voulait respirer sa chair parcourue par un frisson. Il voulait déguster les saveurs de chaque recoin secret.
Mais il ne voulait pas d'une étreinte trop rapide et tempéra le désir qui enflammait ses reins, alors qu'il lui enlevait ses bas. Le doux bruissement sur la cuisse, la jambe, jusqu'à l'arrondi de sa cheville. Le premier bas tomba en boule sur le sol, le deuxième alla gésir, étalé, de l'autre côté du lit.
- Attends, souffla-t-elle.
Mickaël la fixa alors qu'il venait de poser ses mains sur les hanches de la jeune femme et qu'il s'apprêtait à lui retirer le dernier petit morceau de tissu qui l'habillait encore. Elle posa doucement ses propres mains sur les siennes. Elle en perçut la chaleur, l'énergie. Il en ressentit la douceur, la grâce. Lentement, elle glissa ses doigts sous les siens, puis sous l'élastique qui enserrait sa taille. Et ce fut elle qui se dévêtit de ce dernier vêtement, unique rempart à sa nudité, à leur étreinte.
Le regard de Mickaël se fit sombre, quand il la parcourut des yeux, découvrant ainsi ses formes, cherchant déjà à percevoir ses mystères, mais il ne parviendrait pas à ouvrir la porte secrète de ses yeux. Et pas encore celle de son cœur. Mais elle lui offrait son corps et, pour elle, c'était déjà beaucoup.
Oui, c'était beaucoup pour Maureen. Même si son regard semblait toujours hésiter, dire : non... dire : oui... dire : je ne sais pas... dire : j'ose ou j'ose pas ? Dire : je te laisse faire ou pas ?
Maureen.
Hésitante et pourtant volontaire. Curieuse et troublée. Troublante et envoûtante.
"Je suis perdu...", songea-t-il en un dernier éclair de lucidité, avant de s'abandonner aux caresses, avant de partir à la découverte de ce corps qui s'offrait à lui, dans ce mélange surprenant de timidité et de courage. Etait-elle vierge ? Il en doutait. Mais il pensa : "Dis-le moi, si c'est la première fois pour toi... Dis-le moi..."
Ce n'était pas la première fois. Il le comprit vite. Mais c'était quand même une première fois, pour elle, et cela, il ne le comprit pas. Pas d'emblée. Pas clairement. Mais, instinctivement, il sut. Il sut qu'il ouvrait les portes d'un monde nouveau pour elle, et pour lui aussi. Un monde qui serait elle et lui. Un monde dont il commença à bâtir les esquisses, à dévoiler les premières richesses, à goûter aux premières saveurs.
Un monde en harmonie.
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