Chapitre 25 : lundi 18 avril 2005

9 minutes de lecture

Le matin était brumeux sur la capitale des Scotts. Le château émergeait à peine, là-haut, sur sa colline. Mais le vent se leva bien vite et chassa les nuages et, après un bon petit déjeuner, Maureen et Mickaël gagnèrent l'imposant monument et virent la forteresse luire sous les premiers rayons d'un soleil encore timide. Ils passèrent plusieurs heures à s'y promener, admirant la vue sur les vieux quartiers. Maureen avait tout de suite aimé Edimbourg lors de ses précédentes visites. Revoir la capitale, avec Mickaël qui l'entraînait d'un endroit à un autre, lui faisait grimper des collines, parcourir les ruelles anciennes, avec un enthousiasme indéfectible, c'était un bonheur qui la ravissait.

Le partage.

Un mot dont elle ignorait le sens profond. Partager des moments, des goûts, des couleurs, des parfums, avec un homme. C'était cela, sa réalité, aujourd'hui.

Dans une petite boutique touristique, elle acheta une carte postale, écrivit quelques mots au dos et la posta. C'était pour Lawra. Un petit clin d'œil et un souvenir de cette journée.

Un coucou d'Edimbourg que je découvre un peu plus avec Mickaël. Nous y passons deux jours. Il fait beau. C'est… génial ! Bises à Kev et John. Je t'embrasse. Maureen

Puis Mickaël l'entraîna vers la colline d'Arthur's Seat qui offrait une vue à couper le souffle sur la ville et ses alentours.

Alors qu'ils en faisaient le tour, se désignant un détail, profitant de la vue et du soleil printanier de ce beau lundi d'avril, le portable de Mickaël sonna. C'était sa sœur.

- T'es où, frangin ? On te voit plus !

- A Tombouctou.

- Déconne…

- Si, si, je te jure. Je regarde les gazelles parcourir la savane. Il fait... Hum... 42 degrés le matin. A l'ombre, bien entendu.

- Qu'est-ce que tu deviens ?

- Je te l'ai dit... Je bronze.

- Dis-moi, t'as pas oublié que vendredi, c'était l'anniversaire de ta nièce ?

- Bien sûr que non. J'ai pris un billet avec un vol express, direct pour rentrer.

- Comme tu bosses...

- ... faux...

- ... comme tu bosses et nous aussi, on fait ça dimanche, ok ?

- Ok.

- On s'invite chez toi ! Tu auras de quoi faire ?

- Hein ?

- Ben oui. Léony veut que son tonton lui prépare son gâteau préféré.

- Aucun souci pour le gâteau, le reste du repas par contre, j'aurai pas beaucoup de temps... A moins de ramener des noix de coco et de l'éléphant grillé.

- Depuis quand il y a des noix de coco à Tombouctou ?

- Depuis qu'on y a importé des cocotiers. Non, j'déconne, Véra. Ok, je lui fais son menu à la petiote. Vous faites venir Mummy ?

- Je lui en ai parlé... Elle ne veut pas bouger. Paraît qu'elle est occupée avec ses fleurs de printemps. Mais on ira la voir le week-end d'après. Le lundi sera férié.

- Hum, c'est vrai. Pour moi, ça compte pas.

- Bon, je te dis à dimanche ! Papa et maman seront là, bien entendu.

- Bien entendu... Bises.

Et il raccrocha.

- Ma frangine, expliqua-t-il simplement. Je suis réquisitionné dimanche prochain pour le menu d'anniversaire de ma nièce. Six ans déjà...

- Je croyais qu'elle avait cinq ans et demi ?

- Elle a cinq ans et demi, depuis... presque six mois. C'est comme ça qu'elle compte.

- Ha, ok ! dit Maureen en souriant. Je pourrai lui faire un petit bouquet ?

- Tu veux que je te présente ?

Elle se tut, soudain. A nouveau, ça accélérait. Il sentit son recul. Il lui prit la main, l'entraîna tranquillement à poursuivre la promenade.

- On n'est pas obligé, continua-t-il.

- Alors, je préfère. Mais je lui ferai un petit bouquet quand même.

Il lui sourit :

- Viens voir, par-là, maintenant.

**

Accoudés à un muret, ils regardaient le coucher de soleil sur la ville. Mickaël avait passé son bras autour des épaules de Maureen. De temps en temps, il déposait un baiser dans ses cheveux, respirant avec bonheur le parfum léger qui en émanait. Ils rentreraient à la nuit, il conduirait, ce n'était pas un problème.

- Je trouve toujours amusant de regarder les gens de loin, dit Maureen, rompant leur silence contemplateur. Toutes ces petites fourmis. Dire que nous retournerons parmi elles, tout à l'heure.

- Oui, c'est vrai, fit Mickaël. Et qu'eux nous voient comme deux petits oiseaux perchés sur la colline.

- Tu ne voulais ramener aucun whisky et aucun thé d'ici ?

- Je n'y ai pas pensé... Et il est trop tard, sauf peut-être pour le whisky.

Elle sourit de sa réponse.

- Le plus important, c'était de ramener de beaux souvenirs, ajouta-t-il.

- Oui, parce que le thé et le whisky, finalement, tu as de quoi faire... dit-elle amusée.

- Tttt, je t'arrête. Il n'y a pas le thé et le whisky. Il y a les thés et les whiskys.

- Oups, pardon, rit-elle légèrement avant de continuer : Les thés et les whiskys. Les épices et les aromates. Les couleurs et les parfums.

- Les saisons et les paysages. Les arbres et les fleurs, continua Mickaël, amusé lui aussi par le tour que prenait leur conversation.

- Les pays et les langues. Les hommes et les femmes...

- Non, l'arrêta-t-il à nouveau. Pas les femmes. Une femme.

Maureen frémit, lui jeta un coup d'œil. Il avait ce sourire charmeur et envoûtant, les yeux qui pétillaient. Et cet éclat de bleu qui s'alluma soudain dans son regard, dont elle ne put se détacher, qui la retenait, l'attachant à lui. Mais la joie presque enfantine du regard de Mickaël ne pouvait parvenir à masquer son sérieux. Il la tourna vers lui, glissa ses mains derrière son dos, la tint tout contre lui. Les cheveux de Maureen étaient soulevés par un vent léger.

- Oui, dit-il d'une voix grave qui contrastait avec son regard. Il y a une femme. Une vraie femme dont je suis tombé amoureux.

Et il ne lui laissa pas le temps de répondre, l'embrassa longuement, profondément, ne s'arrêtant pas malgré le goût salé que ses lèvres prirent tout d'un coup. Elle pleurait. "Tant pis", songea-t-il. "Je voulais qu'elle le sache."

Quand ils rompirent leur baiser, elle baissa aussitôt les yeux et appuya son visage contre l'épaule de Mickaël, répondant à son étreinte en le serrant à son tour contre elle. Elle ne voulait pas lui montrer ses larmes, même si elle se doutait qu'il les avait devinées. Les mots lui déchiraient le cœur, elle aurait voulu parler, simplement, exprimer vraiment ce qu'elle ressentait. Elle eut une pensée pour Lawra, pour les nombreuses discussions qu'elles avaient eues, quand celle-ci la poussait dans ses moindres retranchements, l'obligeait à raconter... Cela lui avait pris du temps, avant de pouvoir le faire. Mais cela l'avait libérée. Du moins, le pensait-elle, car aujourd'hui, alors qu'elle était blottie contre Mickaël, elle avait l'impression d'être à nouveau coincée. Non par lui, mais par quelque chose en-dedans d'elle-même.

Le jeune homme la serra tendrement dans ses bras. Il n'osait pas dire autre chose, remontant simplement ses mains dans son dos, en une douce caresse, comme pour la réconforter. Ils restèrent longtemps ainsi, enlacés, dans la lumière du soleil couchant qui nimbait la ville de ses rayons dorés.

**

Quand ils récupérèrent la voiture de Maureen, il faisait déjà nuit. Un temps, Mickaël avait hésité à rester dîner à Edimbourg, dans un pub, puis il s'était dit qu'il valait mieux rentrer. Demain, il devait se lever tôt et Maureen travaillait aussi. Il avait pris le volant pour conduire dans la nuit. Maureen lui donnait l'impression d'être pelotonnée sur son siège. Ils en avaient pour une petite heure à rentrer.

Alors que les faubourgs de la ville s'effaçaient derrière eux, il mit la radio, changea de station, claqua des doigts de satisfaction en entendant un morceau qui lui plaisait.

What you don't have you don't need it now / Ce que tu n'as pas, tu n'en as pas besoin maintenant

What you don't know you can feel it somehow / Ce que tu ne connais pas, tu peux quand même le ressentir

What you don't have you don't need it now / Ce que tu n'as pas, tu n'en as pas besoin maintenant

Don't need it now / Tu n'en as pas besoin maintenant

Was a beautiful day / C'était une belle journée

(U2, Beautiful day)

- Quel est le plus grand groupe de rock du monde ? lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.

- Les Beatles... ? répondit-elle, un peu intriguée.

- Nan... D'une part, les Beatles ne jouaient pas du rock, mais de la soupe indigeste en bons Anglais pas frais, ensuite, c'était hier. Pour aujourd'hui ?

- Ah... Euh... AC/DC ? tenta-t-elle en se souvenant de l'affiche dans sa chambre.

- Pas mal. Mais peux mieux faire.

Elle porta un doigt à ses lèvres, réfléchit :

- Les Stones, tu vas me dire que c'était hier, même s'ils jouent encore... Police, ils sont séparés, Genesis aussi... Queen, le chanteur est mort...

- Cherche, encore.

- Peut-être Deep Purple ?

- T'y es pas. Je t'aide : le meilleur groupe de rock du monde n'est pas anglais.

- Ah. Alors, U2 !

- Bien. C'est en effet le meilleur groupe de rock du monde à l'heure actuelle. Même si ce n'est pas mon groupe préféré, mais j'aime bien.

- C'est AC/DC, ton groupe préféré ?

- J'aime aussi, ils me font marrer, mais ce n'est pas mon préféré. J'aime mieux Scorpions et Iron Maiden. Et puis un groupe français aussi, qui s'appelle Noir Désir. Mais les paroles ne sont pas faciles à comprendre. C'est du français "chiadé".

- Connais pas.

- Normal, les groupes français ne passent jamais à la radio en Grande-Bretagne. J'ai découvert une vraie culture musicale en France, quand j'y ai fait mes études. J'avais des amis qui écoutaient des tas de trucs différents. Ca allait du rock alternatif au jazz, en passant par le punk, la chanson française "traditionnelle"... Les Anglais pensent qu'ils ont tout inventé avec le rock, la pop et le punk, et qu'il n'existe rien d'autre. Oui, ils ont inventé le punk. La pop, ils auraient pu s'en passer, quant au rock... Ils oublient trop souvent qu'il est né dans les champs de coton, qu'il est fils du blues...

Elle l'écoutait avec attention, vivement intéressée. Elle n'aurait pas imaginé les choses ainsi.

- En Irlande, U2 est une vraie institution, reprit-elle. Tout le monde a au moins un disque de U2 chez soi. Et à Dublin, c'est encore pire...

- C'est normal d'en être fier aussi, dit-il, en songeant que c'était pratiquement la première fois qu'elle parlait d'elle-même de l'Irlande.

Il aimerait qu'elle continue, mais n'osait pas lui poser trop de questions.

- J'écoutais U2, forcément, quand j'étais adolescente, mais je n'avais pas fait le lien entre cette chanson, pas très connue, et ta question...

- J'aime bien écouter cette radio, car ils passent des chansons peu connues de groupes connus...

Elle sourit. Encore une des facettes de la personnalité de Mickaël.

- Ca fait plusieurs fois que je t'entends critiquer les Anglais. Tu ne les aimes pas ?

- Disons que le fait d'être Ecossais, d'avoir aussi des racines françaises, d'avoir passé quelques années en France, ça donne une autre vision du monde. La cuisine aussi, ça ouvre des perspectives, et désolé, mais la cuisine et les Anglais... Les Anglais ont conquis le monde, mais qu'en ont-ils fait ? Ils ont ramené le thé, à part ça... Ils ont été incapables de faire quoi que ce soit avec les épices. Ils ont fait la guerre pour elles, pour s'emparer de ces richesses et tout ça pour quoi ? Pour ne même pas être capables de cuire un beefsteak correctement...

- Les Français aussi ont été des conquérants...

- Tout à fait, et ils ne valaient guère mieux pour ce qui est des massacres, des destructions. Mais tiens, peux-tu me citer le plat national français ?

- Heu... steak-frites ? suggéra-t-elle.

- Va encore pour le steak, les frites, elles, sont belges.

- Ah oui, les fameuses moules-frites !

- On y est. Plat national belge : moules-frites. Plat national allemand : saucisse-chou-pommes de terre. Plat national québécois : la poutine. Mais plat national anglais, hum ?

- C'est vrai que vu sous cet angle...

- Alors que les Français... Ils n'ont pas un plat national, mais plusieurs ! Sans compter la variété des fromages, des vins, les viandes, les poissons...

"Hum, hum...", songea-t-elle en fixant une des petites lumières du tableau de bord, "Il y a les viandes et les poissons, les fromages et les desserts, les fruits et les légumes, les couleurs et les parfums, les femmes et les hommes. Ou plutôt non, une femme et un homme ?"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0