Chapitre 31 : dimanche 1er mai 2005
Ce dimanche, en début d'après-midi, Mickaël rejoignit Maureen chez elle. Comme chaque samedi soir, il était rentré chez lui pour profiter de sa matinée dominicale pour dormir et récupérer, sans être réveillé par elle qui devait se lever pour ouvrir sa boutique. Il la trouva à la table de la cuisine, en train de faire ses comptes de la semaine. Dès qu'il entra dans la pièce, il identifia aussitôt les odeurs, même si elle avait terminé son repas et que la vaisselle était faite et rangée. Il y avait là les parfums d'un petit bouquet rond un peu fatigué qu'elle n'avait pas vendu, ceux du gratin de lotte qu'il avait ramené pour elle la veille et qu'elle s'était réchauffé comme repas pour ce midi. Il y avait aussi le parfum de Subtil qu'elle dégustait tout en alignant les chiffres sur son grand cahier. Il y avait encore une odeur sucrée de pommes et il se dit qu'elle avait dû se préparer un peu de compote.
- Ca va ? demanda-t-il en l'embrassant dans le cou.
- Oui, j'ai presque terminé, fit-elle.
- Ta semaine a été bonne ?
- Je pense...
Il se tut, pour ne pas la déconcentrer, se servit lui aussi une tasse de thé. Il venait de prendre son petit déjeuner, mais il appréciait toujours une tasse supplémentaire.
Enfin, il la vit se redresser, le sourire aux lèvres.
- Alors ?
- Presque 1800 livres de chiffre d'affaire pour cette semaine. C'est beaucoup. Je n'avais pas refait un tel chiffre depuis la semaine de Noël. Si je retire les frais, cela me fait un peu plus de 400 livres de salaire. Je vais mettre un peu de côté.
- C'est bien ! fit Mickaël. Et je pense que ça va continuer : avec la belle saison.
- Oui, j'ai déjà deux commandes pour la semaine prochaine, une pour un baptême et une pour un mariage. Et c'est une grosse commande pour ce dernier. La plus importante que j'ai eue. Les mariés veulent décorer toutes les tables avec des petites compositions centrales et que chaque invité ait aussi une fleur à côté de son assiette. Quand ils ont vu ce que je proposais, cela leur a tout de suite plu. Je ferai des choses plus petites, mais dans le même esprit. J'ai déjà préparé ma commande de fleurs pour vendredi en conséquence. Cela va me demander beaucoup de travail, je me coucherai certainement tard vendredi soir. J'aimerais avoir terminé toutes ces petites compositions, ainsi que celles pour les tables vendredi. Et samedi matin, il ne me resterait ainsi à réaliser que le panier fleuri que porteront les enfants et le bouquet de la mariée.
- Je suis certain que tu feras de très jolies choses, fit Mickaël. Alors dimanche, on se reposera, si tu veux. On n'ira pas loin.
- D'accord. Et aujourd'hui ? Que proposes-tu ? J'avais envie d'aller au bord de la mer...
- On pourrait faire cela demain, si tu es d'accord, car aujourd'hui, j'avais autre chose à te suggérer.
- Oui ? fit-elle.
- Est-ce que cela te plairait de faire la connaissance de Sam et de Willy, mes deux meilleurs amis ? On pourrait se retrouver dans un pub.
- Je veux bien, sourit-elle. Je suis assez curieuse de les connaître ! Tu m'as déjà beaucoup parlé d'eux...
- Ok, j'envoie un message à Sam. Si cela se trouve, à cette heure, il dort encore...
Il s'exécuta, puis téléphona à Willy et ils convinrent d'un endroit où se retrouver.
**
Lorsque Mickaël poussa la porte du pub où il avait ses habitudes de longue date avec Sam et Willy, il constata bien vite que ses deux amis n'étaient pas arrivés. L'endroit était encore calme à cette heure et s'animerait certainement en fin de journée. Ils s'installèrent, Maureen et lui, à une grande table, et il passa leur commande, une demie pinte d'une bière rousse pour l'un comme pour l'autre.
Quand Mickaël lui avait proposé cette rencontre, Maureen n'avait pas hésité un seul instant. D'une part, elle était effectivement curieuse de faire connaissance avec Sam et Willy, mais, en plus, elle ne voulait surtout pas couper Mickaël de ses amis, elle-même ayant bien trop souffert de l'isolement que Brian lui avait imposé. Elle attendait donc, sereine, une main nouée à celle de Mickaël.
Au-dehors, Sam fumait rapidement sa cigarette, un peu bousculé par Willy.
- Je croyais que t'avais hâte de rencontrer Maureen, lui lançait son ami. Et voilà que tu t'en grilles une !
- C'est parce qu'après, je ne vais pas pouvoir ressortir avant un moment ! Je vais être en manque !
- Parfois, tu es vraiment trop stupide, Sam ! s'amusa Willy.
- Bon, lui répliqua Sam, et toi, je te rappelle la consigne : Maureen est Irlandaise, mais faut pas y faire allusion ! Ordre express de Micky !
- Je sais, je sais. Il me l'a dit. Et tu sais pourquoi ?
- Non, j'ai pas réussi à savoir, soupira Sam en tirant une bouffée. Il est sacrément secret à son sujet... J'ai mis des semaines à le cuisiner avant de pouvoir obtenir ne serait-ce que son prénom... Ca doit être un vrai trésor, cette fille... Déjà, il nous la cache pendant une éternité et, en plus, il en fait de ces mystères...
- Bon, allez, écrase ta clope, et allons voir à quoi elle ressemble ! fit Willy.
- Ok... dit Sam en tirant une dernière bouffée avant d'écraser sa cigarette sous son talon et de jeter le mégot dans le cendrier prévu à cet effet.
Et ils franchirent la porte du pub.
En voyant Maureen, la première réaction de Sam fut de se demander ce qui avait bien pu passer dans l'esprit de Micky. Elle n'avait rien d'une de ces filles "canon" avec lesquelles il avait parfois vu son ami. Mais il remarqua d'emblée ses yeux et son sourire. Et sa seconde réaction fut de se dire qu'elle ne ressemblait pas du tout, mais alors pas du tout, du moins physiquement, à Betty. Ce qui eut plutôt tendance à le rassurer. Et au bout d'un quart d'heure, il était conquis.
Willy avait récupéré leur commande, Sam et lui attaquant directement avec une pinte d'une bière brune, proche de la Guiness. Puis ils discutèrent, jusqu'à ce que Willy fasse remarquer :
- On va se faire un bowling ? suggéra-t-il en jetant un coup d'œil à sa montre. C'est ça ou le match dont la retransmission va débuter dans moins d'un quart d'heure. Ca commence déjà à devenir bruyant, ici...
- Alors, le bowling, dit d'emblée Mickaël.
- Moi, je voulais voir le match ! lança Sam par esprit de contradiction.
- Depuis quand tu aimes le foot ? le tacla Willy.
- Depuis tout à l'heure. Je perds toujours au bowling. Par contre un billard... Je vous aligne quand je veux ! Tu aimes cela, Maureen ? demanda-t-il, se rappelant soudain qu'il s'était promis de ne pas effrayer la jeune femme dès leur première rencontre.
- Ca fait longtemps que je n'ai pas joué, répondit-elle, je suis partante !
Et elle-même de se surprendre encore de ce qu'elle trouvait ou retrouvait plaisir à faire, depuis qu'elle connaissait Mickaël. Comme boire une bière dans un pub entre amis, ou prendre le temps de regarder un coucher de soleil. Alors, un bowling, cela faisait si longtemps... La dernière fois, c'était juste avant le départ de Lawra pour l'Angleterre. Avant qu'elle-même ne rencontre Brian. Elle s'y était rendue avec Lawra et Jane, une autre amie qu'elle avait perdue de vue. A cause de Brian.
Ils sortirent dans la rue, Mickaël avait passé son bras autour de la taille de Maureen. Willy marchait à côté d'elle, Sam était un peu en arrière, car il avait ressorti son paquet de cigarettes.
Le bowling n'était pas très loin, à un quart d'heure de marche. Malgré une pluie fine et douce, une de ces petites pluies de printemps, ils s'y rendirent à pied. Il y avait déjà du monde, de l'ambiance, quand ils arrivèrent. C'était un des endroits où la jeunesse de Glasgow passait souvent son dimanche. Cela ne coûtait pas cher et l'ambiance y était festive. C'était aussi un endroit où filles et garçons se retrouvaient, sans que cela soit un lieu plus "féminin" ou "masculin". Et donc, forcément, un bon endroit pour draguer.
**
Ils s'installèrent, commencèrent à jouer. Sam et Willy contre Maureen et Mickaël. Bien vite, d'autres joueurs arrivèrent et tous les quatre ne formèrent plus qu'une seule et même équipe, face à un autre groupe, composé d'un jeune homme et de trois jeunes filles. Si Sam se lança aussitôt dans une grande discussion, Maureen ne se sentait que moyennement à l'aise face à l'une des filles. Un peu trop maquillée, un pull moulant offrant un décolleté plongeant sur une poitrine généreuse, elle se penchait souvent un peu plus que nécessaire, dévoilant le haut de ses bas, sous une jupe courte. Elle lançait aussi de fréquentes œillades à Mickaël.
Sam, lui, se sentait emballé par une des deux autres filles, la troisième étant visiblement avec le jeune homme et ils formaient un couple plutôt sympathique.
- Miranda ! Tu joues encore plus mal que moi, lança cette dernière à son amie à la jupe courte, qui venait de manquer un tir pourtant facile.
- J'ai soif. Je jouerais bien mieux avec une bière. Quelqu'un en veut une ?
- Je vais les chercher, dit Sam. Willy ? Micky ? Maureen ?
- Non, merci, pas pour l'instant, Sam. On n'a pas encore fini la nôtre, dit Mickaël en désignant la bouteille qu'il avait prise pour Maureen et lui.
- Je suis partant, dit Willy qui venait de terminer la sienne. Mais ce sera la dernière.
Miranda lança un nouveau regard appuyé à Mickaël, alors qu'il s'avançait vers le jeu. Elle était au bord de la piste, à minauder, faisant tourner sa jupe et riant à gorge déployée, alors qu'il visait. Quand il se redressa, elle lui adressa un sourire enjôleur et fit battre rapidement ses cils.
- Joli tir ! commenta-t-elle.
Cela laissa Mickaël indifférent et sans lui répondre, il s'écarta pour laisser Willy lancer à son tour et retourna auprès de Maureen. Elle avait envie de partir. Mais s'efforçait de garder le sourire. Elle ne voulait pas priver Mickaël du plaisir d'être avec ses amis, en-dehors du travail. Sauf que cette fille l'agaçait vraiment. Pourtant, Mickaël l'ignorait. Il perçut cependant très vite que Maureen n'était plus dans le coup, alors qu'elle jouait avec plaisir au début, se moquant aisément de son manque d'habileté. Là, quand vint son tour, elle tira sans entrain, avant de reprendre sa place, un peu à l'écart.
Sam revint avec les boissons, tendit la sienne à Maureen.
- Tu me la gardes au chaud pendant que je joue ?
- Ok, dit-elle simplement en s'éloignant encore un peu de la piste.
Mickaël s'était approché d'elle, lui passa la main dans le dos. Ensemble, ils regardèrent Sam faire son fanfaron. Un léger sourire s'afficha sur le visage de Mickaël. Maureen restait sérieuse. Sam se baissa pour tirer, se releva, se déplaça sur le côté, se pencha à nouveau, lança une blague, hésita. Mickaël murmura quelques mots à l'oreille de Maureen qui partit soudain d'un grand éclat de rire.
Sam se retourna, les regarda.
- Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? demanda-t-il, étonné.
- Tire, on te dira après, dit Mickaël avant de prendre une gorgée.
Sam haussa les épaules, tira enfin, puis revint vers eux. Maureen lui rendit sa bière et lui lança, avec un regard malicieux :
- Vraiment quelconques.
- Hein ?
Il s'arrêta de boire, regarda son ami qui se retint à grand-peine de rire. Miranda s'était approchée, alors que ses deux amies tiraient à leur tour. Mickaël tendit leur bouteille à moitié vide à Sam et répéta :
- Oui, quelconques. Allez, nous, on rentre. On a mieux à faire que regarder tes fesses. Et celles de ta voisine.
Et il entraîna Maureen vers la sortie, sans ajouter un autre mot qu'un bref salut en direction de Willy qui avait tout compris et se tapait sur la cuisse devant l'air totalement ahuri de Sam.
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