Chapitre 59 : dimanche 26 juin 2005

17 minutes de lecture

Maureen apporta une dernière touche à la composition qu'elle était en train de réaliser. Il ne lui restait plus beaucoup de fleurs en stock, elle vendait vraiment bien en cette saison et se dit que si cela continuait ainsi en juillet, elle pourrait se permettre de fermer la boutique deux semaines au mois d'août. Lawra devait la rappeler dans quelques jours, pour confirmer leurs dates de venue. Elle avait hâte de revoir son amie, de lui présenter Mickaël et de partir à la découverte de nouveaux endroits dans les Highlands. John et Lawra avaient prévu de rester une semaine. Si elle pouvait fermer durant une quinzaine, ils partiraient ensuite, Mickaël et elle, explorer un peu plus. Mickaël lui avait déjà fait part de son souhait de l'emmener sur les Hébrides. Il avait eu un tel air, à la fois rêveur et si enthousiaste, qu'elle avait elle aussi ressenti une grande curiosité pour ces îles lointaines.

Elle était en train de terminer sa matinée de travail. Sa cliente était visiblement très heureuse de la composition, la remercia chaleureusement. Maureen l'accompagna jusqu'à la porte qu'elle avait laissée ouverte. Il faisait très beau. Ils allaient avoir une belle journée et, elle l'espérait, de même pour le lendemain. Sam avait donc été emballé par la proposition de Mickaël d'aller sur Arran. Tous les deux avaient besoin de décompresser et rester à Glasgow n'était pas une bonne idée.

En rentrant dans le magasin, elle jeta un regard à sa montre. Il était midi et demi. Des clients pouvaient toujours passer. Elle se donna encore un quart d'heure avant de commencer à ranger ses fleurs sur le trottoir. Les plantes en pots se vendaient assez bien, elle allait devoir commander d'autres lavandes. Leur couleur, leur parfum donnaient envie aux passants. Elle avait remarqué que, s'il lui fallait avoir des grandes et belles potées, ce n'étaient pas elles qui se vendaient le mieux. Mais elles attiraient incontestablement l'œil. Parfois, cependant, un client pouvait en avoir envie. Non, c'étaient plutôt les potées de taille moyenne qui partaient bien. Pour d'autres fleurs, notamment celles du début du printemps, les primevères, les jonquilles, les jacinthes, les petites avaient eu du succès. Elle apprenait ainsi que les goûts des clients évoluaient au fil des saisons et se demanda comment elle vendrait à Noël. L'an passé, elle s'en était bien sortie, avait noté quelques manques qu'elle comptait bien combler cette année. A l'époque, elle n'avait pas encore fidélisé sa clientèle et se dit que les choses évolueraient sans doute encore.

Deux femmes entrèrent à ce moment-là et Maureen s'avança vers elles. C'était une dame d'une quarantaine d'années, accompagnée d'une jeune adolescente.

- Bonjour, Mesdames, les salua-t-elle. Vous auriez désiré quelque chose ?

- Oui, bonjour, répondit la femme en souriant doucement. Je voulais vous remercier... Maureen. Je suis Mary, l'épouse de Dan, et voici Kay, notre fille.

- Oh ! s'étonna Maureen en prenant la main tendue.

- C'était très gentil, le bouquet... Il était vraiment beau. Cela m'a beaucoup touchée, vous savez. Comme tous les messages de toute l'équipe.

- Comment va votre mari ? demanda Maureen.

- Doucement... répondit Mary. Il garde le moral. C'est une force de la nature. Il est plus solide que moi... Hier encore, il arrivait à me faire sourire, alors que je ne me sentais pas bien.

Maureen hocha doucement la tête. Pourtant, Mary ne lui donnait pas l'impression d'être une personne "faible". Mais elle comprenait ce qu'elle voulait dire. Mary poursuivit :

- Voilà, je me suis dit que c'était mieux de passer vous voir pour vous remercier. Nous allons à Edimbourg cet après-midi. Et je... J'aurais voulu prendre quelque chose aussi, c'est pour une voisine qui a hébergé Kay cette semaine.

- Vous voulez un bouquet ? demanda Maureen d'un ton un peu désolé. Hélas, à cette heure, je n'ai plus grand-chose à vous proposer... Peut-être une plante en pot vous plaira-t-elle mieux ?

- J'ai vu que vous aviez de jolies choses en effet, au-dehors, dit Mary.

- J'ai aussi quelques plantes d'intérieur, là-bas, dit-elle en la guidant vers le fond du magasin. J'en ai peu en cette saison, car ce ne sont pas elles que je vends le mieux.

- Maman ? intervint l'adolescente.

- Oui, Kay ? fit sa mère.

- Là, au mur, c'est original, ces petits cadres. Ca plairait à Patt, j'en suis certaine !

Mary fit un peu la moue. Elle aurait voulu prendre quelque chose d'un peu plus important, à la fois pour remercier sa voisine, mais aussi, indirectement, pour remercier Maureen. Celle-ci saisit son hésitation et suggéra :

- Il me reste une belle lavande. Votre voisine possède un jardin ? Ou un balcon ?

- Oui, une petite cour devant et un jardin sur l'arrière de sa maison, dit Mary.

- Bien ensoleillés ? demanda encore Maureen.

- Oui.

- Alors, la lavande, ça peut être une bonne idée. Elle peut la garder en pot, tant qu'elle fleurit. Une fois les fleurs fanées, elle pourra les récupérer pour parfumer le linge et replanter le pied. En le taillant bien. C'est résistant, même en hiver. Et vous pouvez prendre le petit cadre en plus, si vous l'aimez.

Mary hocha la tête. Elles sortirent pour voir la lavande. Elle regarda sa fille. Kay opina.

- C'est d'accord, dit-elle alors. Merci pour l'idée. J'avais tellement en tête un bouquet... mais la lavande durera plus longtemps et c'est une couleur que Patt aime bien, en plus...

Maureen prit le pot, l'emballa, puis demanda à Kay de choisir un des cadres. La jeune fille hésita, puis en désigna un dans les tons roses, assez doux. Maureen sourit intérieurement, en se disant que Kay devait être en pleine période "romantique". Elle prépara le paquet cadeau, puis calcula sa note. Elle avait déjà en tête de vendre les deux achats à prix coûtant. Cela, Mary ne put le deviner. Si elle avait vu le prix du petit cadre, en revanche, elle n'avait pas vu celui de la lavande et Maureen joua là-dessus.

- Je sais que Lisbeth, la femme d'Harris, a transmis mes remerciements à toute l'équipe, mais pourriez-vous encore saluer Mickaël de ma part ? fit Mary après avoir réglé.

- Je n'y manquerai pas, répondit Maureen. J'espère que votre mari se rétablira bien. Si vous dites que c'est une force de la nature, il tiendra le coup !

Mary sourit doucement.

- Oui, oui, j'en suis certaine. Merci encore, et bon après-midi à vous.

- C'est moi qui vous remercie. Faites bonne route jusqu'à Edimbourg.

Et Maureen les vit s'éloigner jusqu'à leur voiture, garée presque devant le pub, au coin de la rue. Lorsque la voiture passa devant elle, elle les salua d'un geste de la main. Puis, une fois qu'elles eurent disparu dans le bas de la côte, elle commença à ranger ses pots. Une dernière cliente se présenta : la jeune femme très sportive qui faisait son jogging, un casque sur les oreilles, tous les dimanches matins quel que soit le temps, s'arrêta rapidement pour lui prendre le petit bouquet de roses habituel. Maureen lui en gardait toujours un. La jeune femme ne s'attarda pas et Maureen put enfin songer à fermer sa boutique.

**

Elle repassa chez elle, prépara rapidement un petit sac de voyage pour les deux jours pour leur sortie, boucla tout et alla chercher sa voiture. En chemin, elle se demanda si Sam était déjà arrivé ou s'ils allaient devoir passer le chercher chez lui. En ouvrant la porte de l'appartement de Mickaël, elle entendit sa voix toujours rieuse :

- Alors, Princesse ! Tu fais attendre tes chevaliers servants ! Ah, les femmes... Il faut toujours qu'elles jouent avec notre patience...

- Salut, Sam ! dit-elle en déposant deux baisers sonores sur ses joues.

Il était assis, une bière devant lui, à la table de la cuisine. En face de lui, Mickaël, pas très frais, remuait machinalement sa cuillère dans sa tasse de thé.

- Figure-toi, Princesse, que ton preux prince charmant dormait encore à poings fermés quand je suis arrivé ! Une vraie souche ! Vous avez fait des folies de vos corps cette nuit, pour qu'il soit aussi épuisé que ça ? Regarde-moi ça ! Même pas rasé et douché pour ton arrivée... Quel phénomène !

- C'est toi, le phénomène, Sam, répondit-elle en souriant et en déposant un baiser léger sur le front de Mickaël qui passa aussitôt la main autour de sa taille et l'embrassa dans le cou en fermant les yeux.

- Vous êtes dégoûtants, dit Sam en secouant la tête d'un air dépité. Vous devriez avoir pitié d'un pauvre célibataire qui a eu l'étrange idée de vouloir accompagner deux tourtereaux sur une île déserte.

- C'est pas désert, Arran, fit Maureen.

- Ca dépend où, répliqua Sam.

- Bon, Sam, arrête tes conneries... grogna Mickaël. Mets la table, donc ! Moi, chuis pas réveillé et Maureen a bossé ce matin, je te le rappelle. Bouge un peu tes fesses !

- Surtout qu'elles sont quelconques, alors rends-les au moins utiles ! compléta Maureen.

- Et bien, mes amis, ça promet si ça démarre comme ça ! répondit Sam en leur faisant un clin d'œil.

**

Ils prirent la route après le repas et la douche de Mickaël. Maureen conduisait. Sam avait réussi à glisser sa longue carcasse à l'arrière de la petite voiture. Ils mirent une heure environ à rejoindre le port d'Ardrossan avant d'embarquer sur le ferry pour rallier l'île d'Arran.

- T'as pensé à prendre ton maillot de bain, Maureen, au moins ? l'interpella Sam alors qu'ils étaient sur la route.

- Oui, oui. Vous êtes sûrs qu'on pourra se baigner ? s'inquiéta-t-elle.

- Mais oui... Pour qui a plongé dans le Loch Linnhe en plein mois d'avril...

- On était mômes, intervint Mickaël. A cet âge, on n'a peur de rien...

- Au nôtre, on n'a toujours peur de rien ! affirma Sam.

- Si... répondit Mickaël qui rêvassait un peu.

Il ressentait encore la fatigue de la fin de semaine. Ils avaient assuré, mais les trois dernières journées avaient quand même été dures. Il espérait qu'Harris trouverait quelqu'un pour la semaine prochaine, sinon, ils ne tiendraient pas, physiquement, très longtemps.

- Et de quoi ? renchérit Sam en s'accoudant sur les dossiers des sièges avant, pour passer la tête entre eux deux.

- De perdre Maureen, répondit Mickaël tout à trac.

Sam soupira, retomba en arrière et dit :

- Je vais vraiment regretter d'être parti avec vous ! Vous vouliez vous la jouer week-end en amoureux et vous allez vous retrouver à traîner une vieille bique comme moi !

- Pour une vieille bique, tu as encore de beaux restes ! plaisanta Maureen.

Elle, elle était parfaitement dans le coup et ne voulait pas laisser le monopole des traits d'humour à Sam.

Ils arrivèrent peu après et se dirigèrent vers l'embarcadère. Ils avaient une petite demi-heure devant eux avant le prochain départ et décidèrent d'aller marcher un peu le long du front de mer. En face, les reliefs d'Arran se découpaient sur le ciel où de longs nuages blancs s'étiraient. Il faisait bon, un vent léger rendait l'air très agréable.

La traversée pour Arran durait une heure pour atteindre le port de Brodick, au fond d'une large baie qui portait le même nom. De se retrouver sur le pont du bateau, en plein air, fit du bien à Mickaël et le vent marin acheva de le réveiller. Accoudés au bastingage, ils regardaient l'île se découper, ainsi que les montagnes, celles de l'île, et aussi, au-delà, celles de la péninsule de Kintyre. La petite ville de Brodick et sa baie étaient dominées par le mont Goatfell, un sommet dénudé et pelé.

Il n'existait que deux routes sur l'île, celle qui en faisait le tour, et une autre, qui la coupait en son milieu, reliant Brodick à Machrie Bay. Ils avaient prévu de dormir à Lochranza, tout au nord de l'île, où se trouvait aussi la distillerie. Maureen avait bien compris l'intérêt de ne pas faire plus de route pour l'après-midi, déjà bien avancé. La route côtière passait au pied du Goatfell, avant d'obliquer dans les terres en direction de Lochranza.

Mickaël avait pris le volant en débarquant, afin que Maureen puisse profiter des paysages. Ils marquèrent une petite étape à Sannox Bay pour se dégourdir les jambes. Puis la route abandonna à nouveau la côte pour plonger au cœur des pointes rocheuses qui couvraient l'intérieur de l'île. Serpentant le long des flancs montagneux, ils atteignirent ainsi Lochranza, petit village tout en longueur, au fond d'une jolie baie abritée où se nichait un château en ruines. Ils déposèrent d'abord leurs affaires à l'hôtel. L'endroit était coquet, avec un beau jardin et une vue magnifique sur la mer et il plut tout de suite à Maureen. L'accueil y était chaleureux et après avoir déposé leurs sacs, ils filèrent sans tarder jusqu'à la distillerie.

Maureen s'attendait à une belle démonstration de dégustation entre Sam et Mickaël et elle ne fut pas déçue. Elle sentait bien que les deux amis avaient besoin de décompresser, de se défouler peut-être un peu aussi et, surtout, d'évacuer l'inquiétude et la tension suscitées par l'accident de Dan, une semaine plus tôt. Elle remarqua cependant que l'un comme l'autre restèrent sobres, tout en s'en donnant à cœur joie pour décrire les subtilités des divers crus proposés.

Ils étaient les derniers clients du jour ou presque, seuls quelques touristes et vacanciers s'attardaient encore à la boutique. Le vendeur - le même que celui que Mickaël avait rencontré l'année précédente quand il était venu avec Betty - s'occupa d'eux. Il reconnut d'emblée Mickaël et le salua avec grand plaisir :

- Ravi de vous revoir, dit-il en lui tendant la main que Mickaël saisit avec chaleur. Vous souhaitez déguster ?

- Oui, si possible, répondit Mickaël. J'espère que nous n'arrivons pas trop tard, nous n'avons pu quitter Glasgow qu'en début d'après-midi.

- Aucun souci, répondit le vendeur. Venez, installez-vous.

Un petit salon avec deux tables de dégustation se trouvait dans un recoin de la boutique. De grandes fenêtres donnaient sur le parking et une belle lumière y entrait. L'atmosphère était totalement différente de celle de la distillerie d'Al ou encore de celle de Stirling où Maureen avait eu l'occasion de se rendre avec Mickaël. Elle était vraiment curieuse de la façon dont les choses allaient se dérouler : après tout, c'était la première fois qu'elle allait voir Sam et Mickaël déguster différents whiskys. Et ce serait encore autre chose, elle s'en doutait, que la soirée qu'ils avaient passée ensemble à leur retour de Fort William. Là, il ne serait pas question de Jenn, simplement, de se faire plaisir.

- Combien de verres ? demanda le vendeur.

- Trois, répondit Mickaël avant que Maureen ait pu dire le moindre mot, mais avec un pichet d'eau, s'il vous plaît.

- Très bien.

Le vendeur apporta trois verres, l'eau, puis revint avec plusieurs bouteilles.

- Je vous propose un dix ans d'âge pour commencer, puis nous avons un quatorze ans et un vingt ans.

Sam hocha la tête d'un air appréciateur. Le vendeur poursuivit :

- Ensuite, nous avons quelques crus particuliers, avec des parfums. Ce ne sont pas de purs malts, mais ils ont leur originalité. Néanmoins, je vous conseille de les goûter, après les traditionnels, du moins, si vous le souhaitez.

- Ce sera possible de juste les sentir ? demanda Sam.

- Oui, bien sûr. Je comprends que vous puissiez être un peu réticents...

- Disons que si les "classiques" sont bons, il sera difficile de casser leur saveur...

Le vendeur hocha la tête : il avait affaire à des amateurs et pas à des touristes en quête d'originalité. Il se souvenait aussi de sa discussion avec Mickaël et cela ne l'étonna pas.

- Juste un doigt dans ce verre, demanda Mickaël, s'il vous plaît.

Le vendeur acquiesça et Maureen se retrouva avec un tout petit fond de whisky. C'était le dix ans d'âge. Sam porta le verre à son nez, Mickaël, lui, le regardait. Il observa le liquide délicatement ambré, la façon dont il accrochait au verre, puis le respira. Les parfums étaient délicats, relativement subtils. Il se souvenait de sa précédente dégustation et retrouva là bien des similitudes. Même s'il connaissait ce cru, il fut content d'y goûter à nouveau. Avant de porter le verre à ses lèvres, il regarda Maureen.

Comme eux, elle n'avait pas encore goûté, s'imprégnait déjà de ce que son verre dégageait, que ce soit en parfums ou en couleurs. Il vit la lueur de curiosité s'allumer dans son regard quand elle porta le verre à ses narines, devina le chemin emprunté par la légère fragrance.

- Tu veux que je te le coupe à l'eau ? demanda-t-il doucement.

- Non, je vais essayer de le goûter comme ça. Il me paraît assez doux, dit-elle.

- Oui, les autres auront des goûts plus prononcés.

- Alors, je tente nature pour ce premier, décida-t-elle.

Il lui sourit. Sam, assis face à eux, n'avait rien perdu de la scène, même s'il avait l'air plus intéressé par son verre que par l'échange entre ses amis. A chaque fois qu'il avait vu Maureen, elle l'avait épaté. Et à chaque fois, il se disait que Mickaël avait fait là une belle rencontre et que tous les deux s'accordaient très bien. Aucune des filles que son ami avait fréquentées n'avait su déguster le whisky. Soit Mickaël n'avait pas eu le temps de partager ce genre de moment avec elles, car la rencontre avait été trop brève, soit il s'était agi de Betty et cela ne l'intéressait pas du tout. Alors que Maureen...

Sam avait bien compris, et depuis longtemps, que la jeune femme n'appréciait que très modérément l'alcool et qu'elle n'avait pas du tout été habituée à en déguster, à en apprécier les différentes richesses, qu'il s'agisse de vins ou d'alcools forts. Mais elle montrait une vraie curiosité et une vraie envie d'apprendre et cela était, aux yeux de Sam, à la fois réjouissant et agréable. Réjouissant parce que cela signifiait que Mickaël avait enfin rencontré une jeune femme avec laquelle il pouvait s'accorder pleinement, et agréable parce que lorsque lui-même se trouvait en leur compagnie, elle était souriante et appréciait d'être avec lui. Et il savait qu'il en allait de même avec Willy.

Sam fut le premier à porter son verre à ses lèvres. Il goûta une bonne rasade, laissa l'alcool tourner dans sa bouche, imprégner ses papilles, avant de l'avaler. Puis il laissa passer quelques secondes avant de livrer son verdict :

- Pas mal du tout. Vraiment pas mal du tout. Même s'il est un peu léger pour moi, mais très prometteur pour la suite.

Par "la suite", il entendait les deux autres bouteilles à découvrir.

A son tour, Mickaël le goûta. Comme à chaque fois qu'il dégustait un whisky dans la distillerie-même où il était fabriqué, il pensait à ce qu'il y avait tout autour. Les lieux, les gens, les paysages, l'atmosphère de l'endroit, voire son histoire. C'était un voyage à la fois géographique et temporel pour mesurer, dans une simple gorgée, le travail que cela représentait, l'histoire dont il pouvait être chargé.

Maureen attendit qu'il livre ses impressions, semblables à celle de Sam, pour goûter à son tour. C'était fort et cela lui rappela un peu le Dalwhinnie que Mickaël lui avait proposé, chez lui, après leur petite escapade à Stirling. Néanmoins, elle nota des différences.

- Je ne peux pas comparer avec grand-chose, commença-t-elle. Il est moins doux que le Dalwhinnie. C'est vrai que tu me l'avais fait goûter avec de l'eau. Là, il est... Tu vas rire, dit-elle en s'adressant à Mickaël.

- Non, vas-y, sourit-il.

- Je lui trouve comme une pointe de Marin. Un petit quelque chose d'iodé.

Mickaël lui lança un regard appréciateur et le vendeur dit :

- Vous avez raison, Miss... Il y a un peu de l'océan dans ce whisky. C'est quelque chose que vous retrouverez aisément parmi les crus des îles, beaucoup moins dans ceux des terres. Vous avez un bon palais.

- Merci, dit Maureen, un peu intimidée par le compliment. Mais je commence tout juste à apprendre...

- T'inquiète, Princesse, dit Sam en se penchant vers elle et en lui tapotant amicalement le genou, t'as le meilleur professeur possible pour faire ton éducation.

- Sam... fit Mickaël en levant les yeux au plafond.

- Arrête de faire ton modeste, Micky. Tu sais très bien que j'ai raison.

- Bon, j'en conviens que je suis très amateur. Mais j'estime qu'il me faudra encore quelques années avant de pouvoir mériter un titre. Il faut du temps, pour affiner son palais, même quand on le travaille de longue date.

- N'empêche que Maureen a un bon potentiel, je n'en démordrai pas, dit Sam d'un ton péremptoire.

- Je te l'accorde... Ce n'est pas moi qui dirais le contraire, fit Mickaël.

Puis il regarda le vendeur et ce dernier comprit qu'il était temps de proposer le quatorze ans d'âge.

- Ah, Roberto ! fit Sam en voyant l'étiquette.

Une reproduction d'un portrait du poète Robert Burns l'illustrait en effet. Le vendeur ne releva pas la remarque de Sam, servit les trois amis. Après avoir senti leur verre, Maureen tendit le sien à Mickaël et dit :

- Je préfère que tu le coupes pour moi. Je sens déjà qu'il est beaucoup plus fort.

- Autant commencer ainsi, dit Mickaël. Tu le goûtes coupé, et si tu penses pouvoir le boire pur, tu goûteras dans mon verre.

Elle hocha la tête. Sam avait déjà longuement senti son propre verre, et s'apprêtait à le goûter, mais il attendit que Mickaël ait mesuré avec justesse l'eau à rajouter dans le verre de Maureen. Alors, seulement, il dégusta.

- Très riche, dit Mickaël. Vraiment très riche. La variété des parfums du précédent, avec plus de force encore. Il est supérieur à celui que vous m'aviez proposé l'année dernière.

- Cela fera plaisir à notre assembleur, dit le vendeur. Vous avez raison. Enfin, je veux dire... Je partage votre avis. Je pense qu'on tient là une cuvée assez exceptionnelle, sans vouloir nous vanter, bien entendu...

Sam sourit. Mickaël regarda Maureen. Elle avait goûté elle aussi et partageait leur avis.

- Veux-tu essayer pur, ma douce ?

- Non, cela ira comme ça. Et le dernier... je le sentirai juste, dit-elle en s'adressant au vendeur. Ce n'est pas la peine de me servir...

- Tu sais, Princesse, il y aura toujours un amateur pour finir ton verre... plaisanta Sam.

- Je m'en doute, lui répondit-elle.

Le vendeur servit donc seulement Sam et Mickaël. Ce dernier présenta son verre à Maureen, sans même l'avoir senti, à peine il avait été rempli. Elle le prit délicatement et en apprécia beaucoup les parfums, renonça à le goûter. Cependant, elle en profita pour regarder les deux jeunes gens se livrer à une dernière petite exploration.

- Celui-là, dit Sam, c'est du costaud, mais il demeure une certaine légèreté. Je le trouve très agréable, à déguster seulement dans certaines occasions. Ce n'est pas un qu'on boira tous les jours, surtout à cause de sa richesse, plus que de sa force, précisa-t-il encore.

Mickaël était d'accord avec son ami et dit :

- Personnellement, je préfère le quatorze ans. Vraiment. Mais je partage l'avis de Sam.

- Voulez-vous goûter les "extras" ?

- Pas pour moi, dit Mickaël. Je préfère rester sur les traditionnels. Sam ? Fais-toi plaisir si tu veux... Ce n'est pas toi qui conduis.

- Si tu commences par me prendre par les sentiments... On mange où ce soir ?

- Au pub, sur le port, c'est aussi simple.

- Ok... Bon, non, je vais être raisonnable pour une fois, néanmoins, je serais curieux de sentir juste celui au sherry...

Le vendeur lui présenta la bouteille, servit un petit verre. Sam dit :

- Intéressant. Original. Au nez, du moins. Bon, ce sera pour une autre fois.

- Aucun souci, Messieurs, Miss... Voulez-vous reprendre un petit verre de l'un des trois que vous avez goûtés ?

- Un verre, non, dit Sam, mais quelques bouteilles, oui !

Tous rirent à cette saillie et ils quittèrent le petit coin salon pour gagner le comptoir. Sam repartit avec une bouteille de chaque et Mickaël acheta deux bouteilles du quatorze ans. Il avait apprécié le plus ancien des whiskys, mais il possédait déjà quelques whiskys de vingt ans d'âge, voire plus, et il estimait que celui d'Arran n'offrait pas assez de variétés et de différences avec ceux qu'il avait dans son bar. En revanche, il trouvait les deux autres vraiment très bons.

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