Chapitre 67 : jeudi 7 juillet 2005
Mickaël poussa un soupir de soulagement. Il resta un moment appuyé, les bras tendus, contre l'une des tables de la cuisine. Ca y était, c'était terminé. Il releva la tête, regarda la pendule qui lui annonçait qu'il était presque minuit. Les deux services s'étaient vite enchaînés, et il fut surpris qu'il soit finalement si tôt. Il se redressa, s'étira un peu pour dénouer les muscles de ses épaules.
- Bon, dit-il, bravo à tous. On a bien assuré. Ca va, Alisson ?
- Oui, oui, chef, ça s'est bien passé.
- Un dernier verre, chef ? demanda Sam.
- Non, je rentre direct. Demain, il faut que je passe à la criée. Harris doit voir un fournisseur dans la matinée, il ne peut y aller.
Il quitta la cuisine, passa au vestiaire, se changea rapidement. En cuisine, Harry et Sam s'activaient à nettoyer. Jonathan achevait le rangement.
- Allez ! A demain ! Bonne nuit à tous ! les salua-t-il au passage.
- Bonne nuit, chef !
Il sortit dans la ruelle, récupéra son vélo. Il avait beau sentir la fatigue lui tomber dessus ce soir, il apprécia cependant de rentrer tranquillement, sans forcer. C'était toujours ainsi qu'il parvenait le mieux à se détendre. Bien vite, il arriva sur le pont qui franchissait la Clyde, puis se retrouva sur l'autre quai.
Pendant ce temps, en cuisine, tout était rangé. Sam s'était emparé d'une bouteille qui n'avait pas été terminée, c'était un vin blanc sec.
- Mouais. Pas terrible pour finir la soirée. Et ça pourra servir pour une sauce, demain. Au frais !
Et il la rangea. Tony lui fit un petit signe.
- Qu'est-ce qu'il y a, Tony ? fit-il.
- Il reste du Saint-Emilion si tu veux... lui souffla Tony avec un air de conspirateur.
- Ah, ah ! fit-il avec un sourire ravi. Ca, ça me va beaucoup mieux... Oh, mais il en reste pas mal... T'en veux un peu ?
- Un petit fond...
Sam servit un petit verre à Tony, puis s'en prit un aussi. Il laissa la bouteille sur le plan de travail et sortit. Il était temps qu'il fume. Et avec un bon vin comme celui-là, ce serait un moment agréable.
Au-dehors, Alisson faisait quelques pas pour se détendre aussi. Elle portait encore son tablier.
- Ca va, Alisson ? demanda-t-il.
- Oui, Sam.
- Tu veux un verre ?
- Tu bois les restes ? s'étonna-t-elle.
- C'est ça ou ça finit dans l'évier... Faut pas gâcher non plus ! Non, je déconne. Parfois, Micky veut qu'on garde certaines bouteilles. Ca lui sert pour des sauces. Mais celui-là, il ne m'en voudra pas si j'en bois un petit verre, expliqua-t-il.
- Ok, je veux bien t'accompagner, dit-elle alors.
- Tiens, prends mon verre, je n'y ai pas touché, je vais m'en chercher un autre.
- Merci.
- Tu peux me garder ma clope, aussi ? Interdit de rentrer avec cette saloperie...
Elle esquissa un petit sourire, prit délicatement la cigarette que Sam venait d'allumer. Le jeune homme retourna en cuisine, se servit un deuxième verre sous l'œil amusé de Tony qui s'apprêtait à entrer au vestiaire. Puis Sam rejoignit la jeune femme.
- Allez, santé !
Alisson leva légèrement son verre, en sentit l'arôme, puis le goûta. Elle haussa légèrement les sourcils, puis dit simplement :
- Il est très bon.
- Et chambré comme il faut à cette heure... répondit Sam en tirant sur sa cigarette. Micky pourra regretter d'être rentré tôt.
- Ca fait longtemps que tu le connais, Mickaël ? demanda-t-elle.
- Depuis notre premier biberon, répondit-il.
- Non ?
- Wah, presque. On a grandi dans le même quartier, on a été à la même école jusqu'à quinze ans. Après, il est parti en France et moi à Edimbourg, à l'école hôtelière.
- Hum, je connais. J'y étais aussi. Lui a été en France ?
- Ouais. Il parle aussi bien français qu'il sait bien cuire le poisson, c'est dire. Il n'a aucun mérite : sa mère lui parle français depuis qu'il est tout petit, car sa grand-mère maternelle est française. Ca aide.
- C'est sûr, fit-elle simplement.
La jeune femme s'abîma un moment dans la contemplation de son verre, reprit une gorgée qu'elle apprécia longuement, tout autant que la première. Sam fit de même. Il n'avait pas encore terminé sa première cigarette.
- A demain ! les saluèrent Tony et Julia qui sortaient et s'éloignaient main dans la main.
- Ouais, à demain, les amoureux ! Faites pas de folie cette nuit ! Méfie-toi, Julia ! Tony a bu un coup, il va être increvable ! lança Sam.
Un rire au bord des lèvres, Julia lui répondit d'un geste de la main, ouvrant grand sa paume, les quatre doigts serrés qu'elle referma rapidement sur son pouce, comme si elle avait voulu mimer une bouche qui se fermait.
- Ouais, ouais, c'est ça... On verra à ta tête demain...
Il se retourna vers Alisson. Elle avait légèrement souri.
- Désolé, Alisson, faut que je relâche la pression... dit Sam en secouant la tête. Mickaël m'a demandé de bien me tenir, mais c'est parfois plus fort que moi.
- Ne t'inquiète pas, Sam, j'en ai entendu d'autres... et peut-être des pires !
- Alors ça va, rit-il.
Elle reprit une gorgée, puis continua :
- Alors comme ça, tu le connais depuis toujours, Mickaël ?
- Ouais.
Sam la regarda en plissant légèrement les yeux, la jeune femme s'était tournée un peu sur le côté, comme intéressée par quelque chose dans l'immeuble en face. Sa question, directe, surprit pourtant Sam.
- Il a quelqu'un dans sa vie ?
Sam tira lentement sur sa dernière bouffée, pesta intérieurement d'arriver maintenant au bout de sa cigarette.
- Ouais, Alisson. Et c'est du sérieux. Pas touche à Micky.
Et sur ce, il jeta son mégot par terre, l'écrasa un peu durement avant de le ramasser et de le lancer d'un geste adroit dans la poubelle et rentra, le verre encore à demi plein à la main. Mais le liquide grenat, presque noir, ne le tentait plus du tout.
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