Chapitre 73 : mardi 12 juillet 2005 (1ère partie)
Après avoir fait son choix tôt ce matin-là à la criée et avoir assuré une présence au restaurant pour les livraisons, Mickaël retrouva Sam dans un pub, pas très loin. Ils avaient convenu tous les deux de déjeuner ensemble, avant de prendre leur service, pour pouvoir discuter. Sam n'avait pas été surpris lorsque Mickaël l'avait appelé dans la matinée pour lui proposer cette petite pause.
Quand Mickaël arriva, Sam était déjà attablé devant une assiette copieuse, avec des frites, de la salade et une belle part de poisson. Le jeune homme passa rapidement sa commande, prit aussi une bière et rejoignit son ami.
- Alors, ça va ? demanda-t-il.
- J'avais faim, je t'ai pas attendu... répondit Sam.
- Tu as bien fait. Tu n'as pas déjeuné ce matin ?
- Si, soupira Sam, mais j'ai passé la matinée à réparer ma machine à laver... Je crois qu'il va vraiment falloir que je la change...
- Elle a plus de pièces de rechange que de neuves ! fit remarquer Mickaël. Ce serait une bonne chose que tu la remplaces, en effet. Moi, faut que je change le lit...
- T'as fini de défoncer le sommier avec Maureen ?
- Il était déjà presque mort avant... répondit Mickaël avec malice. On se prendra une journée, tous les deux, au début des vacances pour faire ça : on aura besoin d'être à deux...
- Ouais. On ira chercher la camionnette du père de Willy. Et on l'embarquera en même temps, ce sera toujours moins lourd... Mummy va bien ? demanda Sam.
- En forme, oui. Elle me fait rire avec ses excuses à deux balles pour ne pas venir à Glasgow... Elle était impatiente de partir ! Si on avait pu, elle aurait voulu y être dès dimanche soir ! Mais bon, je me sentais pas de faire la route du retour aussi sec... Même si Maureen a conduit en grande partie.
- Ouais, dit Sam, et puis, ça fait toujours du bien de dormir là-bas au moins une nuit. Elle est chez tes parents, je suppose ?
- Oui, et elle m'a demandé si elle allait te voir... A part ce soir, bien entendu, précisa Mickaël.
- Elle repart quand ?
- Mes parents vont la ramener dimanche.
- Ca sera serré, mais on y arrivera. Jeudi midi ou vendredi midi... Pas samedi, ce sera trop chaud.
- Oui.
- Et Maureen, ça va ?
- Ca va, répondit Mickaël. Mais je lui ai dit qu'Alisson m'avait fait des avances.
Sam ouvrit de grands yeux et faillit s'étouffer avec sa bouchée.
- Non ? cracha-t-il.
- Si je lui ai dit.
- Pourquoi ?
- D'une part parce qu'elle s'est rendue compte que quelque chose me tracassait, et en plus... Je veux être franc et qu'elle me fasse confiance, expliqua Mickaël.
- Drôle d'idée alors de lui dire qu'une collègue veut te mettre le grappin dessus, fit Sam. Surtout que tu as prévu de lui fêter son anniversaire au resto... Ca va être chaud, Micky !
- Je sais, répondit le jeune homme. J'ai bien l'intention aussi de marquer la distance avec Alisson. Je ne veux que des relations professionnelles avec elle, même pas la moindre petite discussion un peu amicale.
- Harris va se rendre compte qu'il y a un os, fit remarquer son ami.
- Oui, j'en ferai mon affaire, ne t'inquiète pas.
- Ok... C'est toi qui vois... conclut Sam.
- Maintenant, raconte-moi plus en détails comment ça s'est passé jeudi dernier, demanda Mickaël.
Son ami lui rapporta le bref échange qu'il avait eu avec Alisson, en ponctuant qu'elle l'en avait même dégoûté du verre de St-Emilion.
- Tu te rends compte ? Il a fini dans l'évier... Quel gâchis ! Je n'avais vraiment plus envie de le boire... Cela dit, j'aurais peut-être dû être encore plus clair, non ?
- Sam, franchement, tu l'as été ! dit Mickaël. Je ne peux pas te reprocher cela ! D'ailleurs, je n'ai rien à te reprocher !
- Ouais, mais quand même, ça va pourrir l'ambiance... Une femme dans une équipe et tout part à vau-l'eau !
- Espèce de sale misogyne ! lui lança Mickaël.
- Tu veux que je te dise, Micky ? fit Sam. T'es trop bon !
- Comment ça ? demanda-t-il en avalant une bouchée.
- Ouais, tu as maintenant une telle réputation que tu fais même fantasmer les petites étudiantes de l'école hôtelière ! Alors, évidemment...
- Tu exagères...
- A peine. Bon, cela dit, tu veux que je fasse quelque chose de particulier ? proposa le grand jeune homme maigre.
- Pas vraiment, répondit Mickaël. C'est à moi de gérer... en cas de souci.
Sam hocha la tête d'un air pensif. Et s'enfila une bonne rasade de bière. Puis il changea de conversation :
- Qu'est-ce que tu as l'intention de lui mijoter, à Maureen ?
- C'est moi qui m'occupe de ses assiettes, dit son ami. En tout cas, des dernières touches.
- Normal. T'as une idée ?
- Bien entendu.
- Je peux savoir ?
- Tu auras la surprise, sourit Mickaël.
- Ok, ok... Et pour le repas lui-même ? Tu les laisses choisir ou tu fais le menu en fonction des arrivages de ce matin ?
- Pour le plat principal, en fonction des arrivages, précisa-t-il. Il y avait du beau poisson, on verra ce qu'ils choisiront. De toute façon, mes parents trouveront cela génial et Mummy aime les surprises, donc ça ne posera aucun souci. Mais c'est vrai que j'aimerais qu'ils choisissent le menu découverte, enfin, du moins, que Maureen fasse ce choix-là.
- C'est faisable, dit Sam, il faudra juste prévenir les filles de ne pas leur donner de carte. Et mettre Harris dans le coup.
- Il l'est déjà : je lui en ai parlé la semaine dernière, dit Mickaël.
- Et pour les vins ?
- Je vais en toucher deux mots à Timothy quand il arrivera tout à l'heure.
- Tu as tout prévu, fit Sam d'un ton admiratif.
- Presque... sourit Mickaël.
- Il faudrait qu'on fasse en sorte que tu puisses passer un petit moment en salle, quand même... suggéra Sam.
- Difficile, répondit son ami. Je pensais juste être présent quelques minutes au moment du dessert, pour être avec elle quand elle soufflera ses bougies.
- Je vois. C'est jouable. Ils viennent dîner pour quelle heure ?
- Pas avant 21h. Maureen boucle rarement avant 20h, je veux dire, elle ferme vers 19h30, mais elle a toujours du rangement, parfois des commandes à préparer après la fermeture, même si je me doute qu'elle fera en sorte de ne pas traîner.
- Hum, ça veut dire le dessert vers 22h30-23h00... réfléchit Sam. On devrait être en fin de service.
- Normalement, oui.
- Ok. J'assurerai en cuisine, t'inquiète pas.
- N'oublie pas que Mummy voudra te voir à un moment ou à un autre... fit remarquer Mickaël.
- Ca, faudra qu'elle le négocie avec Harris, rétorqua Sam.
- Elle saura y faire !
Les deux amis échangèrent un regard complice avant de lever leur bière. Puis ils terminèrent rapidement leur repas et regagnèrent ensemble le restaurant. Sam en profita pour se griller une cigarette. Il allait devoir jouer fin et ce ne serait pas facile pour lui. Carl'enjeu était d'importance : ne pas causer plus de difficultés à Mickaël, ne pas rendre l'atmosphère pourrie en cuisine et rester une équipe complète jusqu'à la fin du mois.
Un sacré défi pour lui.
L'après-midi
Un léger bip résonna sur le téléphone de Maureen. Elle était en train de disposer d'autres fleurs dans les vases. Sur l'écran, le numéro de Lawra s'afficha, c'était juste un petit message pour lui souhaiter son anniversaire. Elle sourit. Son amie était la deuxième personne à le faire, après Mickaël, ce matin. Lawra travaillait de nuit ces jours-ci et elles ne pourraient pas se parler au téléphone le soir avant deux ou trois jours. Ce petit mot lui mit néanmoins du baume au cœur. L'an passé, ni ses frères, ni ses sœurs, ni même ses parents ne lui avaient souhaité son anniversaire. Seule sa grand-mère lui avait envoyé une petite carte. Elle s'attendait à ce qu'il en soit de même cette année, tout en étant ignorante de ce que ferait son aïeule.
Elle prit le temps de remercier Lawra par un court message en lui souhaitant également bon courage pour ses dernières nuits d'astreinte.
**
Sa journée de travail s'acheva. Vendredi, elle recevrait encore une livraison de fleurs, pour le week-end. Les parents de Mickaël et Mummy avaient prévu de passer la chercher vers 20h30. Elle boucla le magasin, son rangement était terminé. Elle remonta chez elle, regarda l'heure. Elle avait le temps de se prendre une douche, de se reposer un peu. Le midi-même, elle avait profité de sa pause et du fait que Mickaël déjeunait avec Sam pour aller s'acheter une robe pour l'occasion. Si elle avait quelques jolies robes d'été, elle avait estimé qu'aucune ne convenait pour aller au restaurant et faire honneur à l'invitation des parents de Mickaël. Avant de passer dans la salle de bain, elle la sortit du placard. Elle se sentit heureuse de pouvoir faire une petite surprise à Mickaël. Ainsi, il n'y aurait pas que lui à préparer quelque chose.
Elle posa la robe sur le lit, vérifia qu'elle n'avait pas besoin d'un petit coup de repassage. C'était une robe à larges bretelles, de couleur crème, qui lui arrivait au-dessus du genou. Avec une ceinture de la même couleur, et un décolleté droit. "Un peu sage, peut-être", songea-t-elle. Mais elle la jugeait très "classe".
"Lawra l'aimerait beaucoup, j'en suis certaine", pensa-t-elle encore. Elle ne possédait aucun bijou pour accompagner cette robe, pas même une petite babiole. Elle avait juste acheté un ruban, de la même couleur que la robe, pour pouvoir se coiffer.
Elle se détendit sous la douche, chassa d'une longue inspiration chaque pensée négative qui pouvait l'effleurer en repensant aux paroles de Mickaël le matin-même. Il l'avait rassurée, aussi : elle ne devrait pas se trouver en présence d'Alisson, car il n'y avait aucune raison pour que la jeune cuisinière se trouvât au moment du service dans la salle du restaurant. En-dehors des serveurs et, parfois, de lui-même, aucun autre employé en cuisine ne s'y rendait à ce moment-là de la journée. Et même en-dehors du service, c'était rare qu'ils y passent. Quand Harris avait besoin de voir l'un d'entre eux ou de parler à l'ensemble de l'équipe, il le faisait généralement soit dans son bureau, soit dans la cuisine, soit dans la ruelle, durant la pause.
Une fois douchée et habillée, Maureen regarda de nouveau son portable. Aucune nouvelle de sa famille, en effet. Tant pis. Elle relut avec plaisir le petit message de Lawra :
Bon anniversaire, ma jolie ! Je suis certaine que tu vas merveilleusement bien le fêter et quelle joie de t'imaginer entourée ce soir ! Et bien entourée... Tu seras la plus belle aux yeux de Mickaël et un de ses regards vaudra tous les cadeaux du monde pour toi ! Je t'appelle bientôt! Bises.
Elle n'avait pourtant rien dit à Lawra, mais ces mots lui redonnèrent confiance en elle.
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