Chapitre 95 : mardi 9 août 2005
Ce fut dès le petit déjeuner que Sam leur annonça qu'il ne les accompagnerait pas ce jour-là en balade. Lawra s'apprêta à lancer une plaisanterie, mais un mot de Mickaël l'empêcha de le faire.
- Tu as un autre projet ? demanda-t-il.
- Ouaip, répondit simplement Sam.
Maureen regarda Mickaël : le jeune homme fixait son ami qui se tartinait consciencieusement de la confiture sur une grande tranche de pain. Après un moment de silence, il dit simplement :
- Je vais passer voir Jenn.
Lawra put presque voir le soulagement et l'espérance se dessiner sur le visage de Maureen. Elles n'avaient pas encore vraiment parlé de Sam et de Jenn, et Lawra se dit qu'elles en auraient l'occasion dans la journée, surtout si Sam ne venait pas avec eux.
- Tu veux que je te laisse ma voiture, Sam ? proposa Maureen. On tiendra tous dans celle de John et Lawra... surtout que Mummy ne vient pas avec nous.
La vieille dame avait en effet décrété que la sortie sur Mull lui avait suffi et qu'elle resterait chez elle.
Ils partirent très vite après le petit déjeuner, nantis d'un copieux pique-nique. Sam resta un peu avec Mummy, pour l'aider à ranger et lui proposa aussi de l'accompagner pour refaire des provisions. Il irait voir Jenn dans l'après-midi.
Mickaël emmena tout le reste de l'équipe vers le Loch Ness, histoire de quand même le montrer à leurs amis et à Maureen, mais sans s'y attarder. Lawra trouva cependant très jolie la vallée qui remontait vers le Loch, le Great Glen, la vallée encaissée entre deux montagnes.
Ils déjeunèrent sur les bords du Loch Ness, des nuages remontaient la vallée, il y avait du vent, et ils supportèrent de remettre vestes et pulls, le temps du repas.
- Tu n'as pas encore pris le temps de me parler de Jenn et de Sam, Maureen, dit Lawra alors que Mickaël et John avaient entamé une petite promenade à pied, le long du loch, et que les deux jeunes femmes étaient restées dans la voiture, à les attendre, car Kevin s'était endormi.
- Jenn est une cousine éloignée de Mickaël, expliqua Maureen, elle et Sam sont sortis ensemble, mais ils ont rompu, parce qu'elle ne pouvait pas le suivre à Glasgow et que lui veut y rester. Pour l'un comme pour l'autre, c'est "tout ou rien". Et plutôt que d'essayer d'apprendre à vivre ensemble tout en tenant compte de leurs contraintes respectives, ils ne s'engagent pas... ce qui donne deux malheureux. Car ils ont toujours des sentiments l'un pour l'autre.
- Qu'est-ce qui retient Jenn ici ? demanda Lawra.
- Sa mère est gravement malade, une leucémie, répondit Maureen.
- C'est compréhensible qu'elle reste auprès d'elle... mais elle risque aussi de laisser passer sa vie...
- Ce n'est pas simple. J'ai eu l'occasion de la voir une fois, elle est très sympathique. Et de ce que m'en ont dit Mickaël et Mummy, elle est aussi tout à fait le genre de jeune femme qui convienne à Sam ! Elle a la tête bien sur les épaules.
- C'est bien ce qu'il lui faut, en effet !
Maureen soupira :
- Mickaël considère que c'est déjà une victoire que d'avoir amené Sam ici, cet été. Et il est aussi très heureux de savoir que son ami va lui rendre visite aujourd'hui, mais rien n'est gagné pour autant.
- Oui, je vois. Il a besoin qu'on le secoue un peu ! fit Lawra.
- Oui, mais elle, c'est quelqu'un d'entier. Qui ne renonce pas facilement, qui est d'un bloc. Le compromis... le compromis, avec elle, c'est difficile, m'a dit Mickaël. Alors, je ne sais pas ce que ça va donner. Peut-être qu'elle va le renvoyer aussi sec.
- Ce serait idiot.
- Je suis d'accord avec toi.
Lawra resta pensive. Là-bas se dessinaient les silhouettes de John et de Mickaël qui revenaient tranquillement vers elles. Ils étaient encore loin. Maureen reprit :
- Je comprends la peur, ou du moins l'appréhension de Sam, pour l'engagement que cela représenterait de renouer avec Jenn. J'ai ressenti quelque chose de similaire quand j'ai fait la connaissance de Mickaël. Mais... Mais aujourd'hui, je ne me sens pas prisonnière. Au contraire, je me sens libre. Je n'aurais pas imaginé que cela serait possible, après la façon dont les choses s'étaient passées avec Brian. Qu'il pouvait exister une autre façon d'appréhender une relation, de la vivre au quotidien... Pourtant, j'ai eu ton exemple sous les yeux durant des mois ! Sam, depuis quelques temps, voit ce que nous vivons Mickaël et moi, et Mickaël est persuadé que cela le fait réfléchir aussi. Mais...
- Mais lui seul peut franchir les derniers pas, termina Lawra. C'est son choix.
Maureen acquiesça. Lawra poursuivit :
- Pour Sam et Jenn, si j'ai bien compris, les choses sont quand même un peu différentes. Il s'agit de repartir sur d'autres bases. En sont-ils capables ? Le veulent-ils vraiment ? Quels compromis sont-ils prêts à faire ? Sans compter le passé de l'un et de l'autre... Aucune histoire ne ressemble à une autre. Chacun est différent. Et pourtant, je suis profondément convaincue que tout reste toujours possible, tant qu'il y a des sentiments.
- Je n'aurais jamais pu revenir vers Brian, dit Maureen avec assurance.
- C'était évidemment hors de question. Ce type ne te méritait pas.
- Tu crois qu'il se remariera ?
- Je n'en sais rien, soupira Lawra, et je t'avoue que je m'en fous royalement. De toute façon, il ne pourra jamais faire bénir cette union. Seul un mariage civil est possible. Alors qu'importe ! C'est son problème, pas le tien.
- Je le sais, dit Maureen. Je te demandais juste ça comme ça. Je n'ai aucune envie de le revoir ou d'avoir le moindre contact avec lui. Et encore moins aujourd'hui qu'hier, quand je suis partie. Je ne sais d'ailleurs pas si je serais capable de remettre les pieds à Dublin... pas tout de suite, en tout cas. Même si, parfois, j'aimerais revoir mes parents, malgré tout. Je me dis qu'ils m'en veulent peut-être pour ce qui est arrivé, mais qu'ils ne peuvent pas ne plus m'aimer. Cela, je ne le crois pas. J'aimerais leur faire savoir que je suis heureuse, avec Mickaël, mais je sais que c'est encore trop tôt.
- Tu pourras en reparler avec Tara, peut-être, suggéra Lawra.
- Oui.
Les deux jeunes hommes n'étaient plus très loin, elles pouvaient voir qu'ils menaient une conversation animée, Mickaël s'arrêtant un instant pour désigner à John quelque chose sur la montagne.
- Je ne renoncerai pas à Mickaël, Lawra.
Le visage de Lawra était sérieux, il s'éclaira alorsd'un léger sourire. Elle regarda son amie et lui passa le bras autour de l'épaule.
- Je sais.
**
Lorsqu'ils arrivèrent chez Mummy en toute fin d'après-midi, ils entendirent de grands bruits provenir de la cuisine. La fenêtre était ouverte et, en passant devant pour gagner la porte d'entrée, ils constatèrent que Sam était aux fourneaux et que Mummy était assise à table et l'aidait à préparer le repas du soir.
- Alors, les grands aventuriers ! lança le jeune homme. Vous avez au moins ramené une photo de Nessie ?
- Non ! répondit John. Nous avons fait mieux : nous l'avons trouvé !
Et il brandit une peluche à mi-chemin entre un dinosaure et un poisson, verte et bleue. Avec des écailles plus sombres.
- Il est terrifiant, dit Sam en ouvrant de grands yeux. Le petit va faire des cauchemars avec un truc pareil dans son lit... Les parents de nos jours sont totalement inconscients, pas vrai, Mummy ?
- Et les jeunes célibataires aussi, soupira-t-elle. Vous ne savez pas ce que cet olibrius a dans l'idée de faire ce soir ?
- La tournée des pubs de Fort William, suggéra Maureen.
- Pire que ça...
- La tournée des pubs de Fort William et l'ascension de Glencoe ? lança à son tour Mickaël.
- Vous n'y êtes pas du tout, dit Mummy. Il n'y a pas que l'alcool dans la vie.
- J'ai décidé d'arrêter de fumer.
Ils étaient tous dans la cuisine, Mickaël ouvrait le réfrigérateur pour proposer une bière à tout le monde et il se redressa d'un coup :
- Non ?
- Si. Mais je ne commence que demain... fit Sam.
- Ah, je me disais aussi... Tu prépares quoi ? demanda encore Mickaël.
- Une blanquette de veau. J'ai dit que ta grand-mère mangerait de la viande, t'es rentré trop tard pour préparer du poisson, je fais une blanquette. A la crème, ajouta-t-il en lançant un sourire malicieux en direction de la vieille dame.
- Et je me suis retrouvée embauchée pour éplucher les légumes... soupira Mummy. Il est arrivé en disant : "Mummy, je suis passé chez le boucher, t'as rien à faire pour ce soir, je m'occupe de tout !"
- Et résultat, tu épluches les légumes... conclut son petit-fils.
- Et oui... Parce qu'il veut aussi faire un dessert. Il veut vous prouver qu'il n'y a pas que toi ou Tony à être capables de faire de bons gâteaux...
- Bon, je ne te battrai jamais sur la tarte aux pommes, Mummy, reprit Sam. Là, c'est impossible. Au mieux, on obtient une médaille d'argent. Au mieux.
- Pourtant, Mickaël réussit aussi un très bon dessert à la pomme, intervint Maureen.
- Oh, la Princesse éperdument amoureuse, on arrête tout de suite. Le dessert à la pomme du chef cuistot, ça n'a rien à voir avec une tarte aux pommes de Mummy. Y'a rien en commun, dit Sam en pointant vers elle une cuillère en bois.
- A part les pommes, dit Lawra.
- Elle dit quoi, la Dublinoise ?
- Elle dit qu'il y a quand même les pommes en commun.
- Pas les mêmes variétés... argumenta Sam.
- Tu chipotes, fit Lawra en rigolant.
- La cuisine, demoiselle, c'est sérieux, dit Sam en pointant cette fois sa cuillère en direction de la jeune femme. Il n'y a pas une pomme. Il y a des pommes.
Maureen sourit et ajouta :
- Il n'y a pas le thé, mais les thés. Il n'y a pas le whisky, mais les whiskys...
Mickaël l'enlaça.
- Elle a bien retenu la leçon, la petite, là, dit Sam. Ca va, Micky, elle n'est pas trop stupide, ta Princesse.
- J'aime bien le "pas trop"... dit Maureen.
- Sam ! intervint Mummy. Au lieu de déblatérer ! Fais donc cuire ces légumes et ta viande ! Sinon, on n'est pas prêt de manger...
- Bah, dit Mickaël, heureusement que j'avais prévu autre chose...
Sam le regarda d'un air dépité.
- La blanquette, plus c'est réchauffé, meilleur c'est. T'aurais dû t'en souvenir...
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