Chapitre 110 : vendredi 26 août 2005
A son retour du restaurant, la veille, Mickaël avait reçu un appel de Sam. Ce dernier était rentré d'Aberdeen et lui avait proposé de se retrouver pour un billard. Le jeune homme avait bien compris que son ami voulait passer un moment, seul, avec lui. Il était partant, tout en se demandant cependant si Maureen allait accepter de rester seule de son côté pour la soirée.
- Sam m'a appelé hier soir, dit-il à Maureen alors qu'ils s'attablaient pour le repas du midi. Il a envie d'un billard et... je pense aussi, de causer un peu.
- Il préfère que je ne sois pas là ? demanda-t-elle simplement.
- Hum... Oui... répondit Mickaël d'un ton un peu hésitant, se souvenant qu'à une telle demande, Betty lui aurait fait une véritable crise de jalousie.
- Pas de souci, dit Maureen. Je ferai mes comptes de la première semaine, comme ça, dimanche, on pourra profiter de toute la journée. Si tu ne rentres pas ivre mort comme l'autre fois à Fort William...
Il la regarda d'un air innocent qui les fit beaucoup rire, puis dit :
- Demain, je te rappelle que j'aide Willy pour son déménagement. Je ne rentrerai pas tard et pas soûl.
Ils déjeunèrent, puis Maureen repartit travailler. Mickaël passa le début d'après-midi à lui préparer un bon petit repas pour le soir. Il était près de 18h quand il sortit de l'appartement, prit son vélo et fit un détour par la boutique où la jeune femme s'activait à servir plusieurs clients. En cette fin de semaine, elle retrouvait une certaine activité. La reprise s'annonçait bonne pour elle.
- J'y vais... à tout à l'heure ! dit-il simplement en passant la tête par la porte de l'arrière-boutique.
- Bise à Sam, à tout à l'heure ! lui répondit Maureen.
**
Sam et Mickaël avaient prévu de se retrouver dans un des pubs du centre-ville, un endroit prisé en fin de semaine, et qui offrait plusieurs salles, dont une où trônait un billard. Si la grande salle était souvent bondée, avec de l'animation, ici régnait toujours un certain calme. Ils aimaient y venir de temps en temps, parfois avec quelques autres amis, mais, ce soir, ils étaient seuls. Ils commencèrent par s'offrir une pinte de bière et entamèrent une partie. Mickaël ne s'attendait pas à gagner, le regard affûté de Sam et sa dextérité en faisant un adversaire redoutable.
- Alors, comment va ta Princesse ? demanda Sam en plaçant les boules sur le tapis pour une première partie.
- Bien, répondit Mickaël.
- Mais encore ?
- Que veux-tu savoir de plus ?
- Devine...
Sam se pencha, frappa un premier coup, les boules se bousculèrent, heurtèrent les rebords. Comme Mickaël ne répondait pas, il enchaîna :
- Elle a repris tranquillou ?
- Plutôt, oui. Elle est satisfaite de sa semaine de reprise. Mais c'est encore calme.
- C'était bien les Hébrides ?
- Oui, répondit Mickaël. Vraiment bien. On s'est juste pris une saucée, un jour. Dans l'ensemble, on a eu un temps tout à fait correct. Maureen a adoré.
Sam sourit, puis reprit, après un deuxième tir :
- Et jeudi ? Le resto ?
- Ca roule. On a tout fait rentrer sur une journée, impeccable. Quelques nouvelles cependant...
- Dan ?
- Encore en arrêt pour deux mois environ, mais il se remet bien, disait Harris. Du coup, si Jonathan réussit ses examens la semaine prochaine, il enchaîne avec nous.
- Ok... Donc, on tourne à 5 les premiers jours.
- Oui, répondit Mickaël. Avec deux services, seulement pour le vendredi et le samedi. Ca le fera.
Sam hocha la tête et laissa Mickaël jouer. Après avoir tiré, il se redressa et demanda à son tour :
- Ca a été la semaine avec Mummy ?
- Elle pète la forme, dit Sam.
- Je te l'avais dit, soupira Mickaël. Ses excuses à deux balles pour ne pas venir à Glasgow me font vraiment rigoler. Il est vrai que, l'été, elle a souvent meilleure mine. Elle reçoit de la visite, elle adore ça.
- Tes parents y sont encore ?
- Oui, pour toute la semaine. On les a croisés dimanche, à notre retour. Je pense qu'ils vont rentrer demain ou après-demain.
Sam ne dit rien. Il avait croisé lui aussi les parents de Mickaël alors qu'il se trouvait encore chez Mummy. Puis Mickaël poursuivit :
- Willy est rentré et on s'est vu en début de semaine. Il est dans ses cartons.
- Ah ouais... Et alors ? Ca a donné quoi ses vacances ?
- Ca a donné qu'elle s'appelle Shana et que si tu veux filer un coup de main demain pour charger la camionnette, t'es le bienvenu et tu pourras faire sa connaissance.
- Tudieu que j'en serai !
Ils échangèrent un sourire avant de reprendre la partie. Ils jouèrent un moment sans parler, concentrés. Cette première partie était équilibrée, Sam prit l'avantage seulement vers la fin. La première manche fut donc pour lui. Alors que Mickaël remettait le jeu en place, le grand jeune homme maigre constata :
- Ha, mon verre est vide... Le tien, presque. Je te ramène une pinte ?
- Ok. Après, on mangera un morceau. Je n'ai pas l'intention de rentrer ivre mort.
- Moi non plus.
Mickaël leva un sourcil étonné, ne fit aucune remarque. C'était à son tour de jouer et il observa avec attention la partie, le temps que Sam revienne avec deux bières. Ils jouèrent un moment en silence. Mickaël savait pertinemment que Sam allait lui lâcher le morceau concernant Jenn, et que cela ne servait à rien de le presser de questions dès le début de la soirée. Ce fut seulement après avoir mangé plusieurs petits sandwichs que Sam commença à se confier. Ils avaient entamé une quatrième partie, il avait gagné les trois premières.
- J'ai passé pas mal de temps avec Jenn, Micky, j'espère que tu vas me féliciter.
- Ca dépend de ce que tu as fait avec elle durant tout ce temps... dit-il.
- Tu veux des détails ? lança Sam avec un soupçon de gouaille dans la voix.
- Oui. Et tu sais bien lesquels... Les mêmes que ceux qui attisent ta propre curiosité au sujet de Maureen, sourit Mickaël en s'allongeant en partie sur la table pour viser. Clac ! Ah, je t'ai eu... Bon, la suivante...
- Elle est toujours aussi canon... soupira Sam. Bon, ok, je sais, tu t'en fous...
Mickaël ne répondit pas, visa avec concentration. Il ne perdait pas une miette de ce que Sam racontait.
- On a causé aussi, Micky. Sérieusement. Elle m'a sorti tout ce qu'elle avait sur le cœur et moi aussi.
Sifflement admiratif de Mickaël alors qu'il frappait une nouvelle boule.
- Et alors ?
- La pauvre, elle est toujours amoureuse de moi... Mais je ne vaux pas mieux... dit Sam en dodelinant de la tête.
- Ca, désolé, vieux, dit Mickaël en se redressant, mais c'est pas une nouveauté...
- Te fiche pas de moi.
- Je ne me fiche pas de toi, dit-il avec sérieux. Ah, raté... A toi de jouer...
Mickaël s'écarta et se dirigea vers la table sur laquelle ils avaient posé leurs verres. Il but une longue gorgée, regarda Sam jouer. Tout en évaluant la disposition du jeu, ce dernier poursuivit :
- On n'a pas fait que causer... Je veux dire, on n'a pas fait que se sortir des vérités. Elle a osé avouer qu'elle avait besoin de moi, aussi. Pour faire face, en ce moment. Ca, elle ne voulait pas le dire jusqu'à présent. Elle faisait sa fière.
- Elle est solide, dit Mickaël avec compassion. Mais même quelqu'un de solide peut craquer, dans sa situation. Et même si John est un bon père, elle se sent quand même seule...
- Oui, je le sais et je l'ai bien compris, dit Sam. Je lui ai expliqué pourquoi je voulais rester à Glasgow. Elle m'a dit qu'elle comprenait. Que c'était important. Pour moi. Mais pour elle aussi. Qu'elle savait que je m'éclatais à bosser et elle en était heureuse, quelque part. Enfin, tu vois ce que je veux dire...
- Oui. Et puis ?
- A un moment, ça a été assez dur, dit Sam en prenant son verre à son tour, car je lui ai demandé si elle voulait attendre que sa mère soit morte pour s'occuper d'elle, pour penser à elle et vivre aussi.
- Tu y as été franco, là ! s'exclama Mickaël en ouvrant de grands yeux.
- Je t'ai dit qu'on s'était balancé quelques vérités qu'il faut bien encaisser... Ce n'est pas un mal de parler franc, de temps en temps. Surtout... Surtout que l'un comme l'autre, on a conscience que c'est la dernière chance...
Mickaël opina. Sam poursuivit :
- Elle m'a avoué que, par moments, elle se sent prisonnière aussi. Mais qu'elle ne peut abandonner ni sa mère, ni son père. Elle sait que je peux comprendre cela et je lui ai dit que c'était le cas.
Il but une nouvelle gorgée et reprit :
- Je lui ai parlé de Maureen, et de toi, aussi. Je lui ai dit que Maureen m'avait fait réfléchir à ce qui avait vraiment de l'importance. Et je lui ai dit qu'elle était importante pour moi. Que ces derniers mois, j'avais essayé de l'oublier, de passer à autre chose... Mais que je n'y arrivais pas. Même quand je passe la nuit avec une beauté, c'est à elle que je pense. Et... là... elle m'a demandé combien j'en avais séduit... J'étais incapable de lui répondre, tu t'en doutes bien...
- Ca a dû lui faire aussi mal que ton autre tirade sur sa mère... fit Mickaël.
- Ouais. Elle m'a dit aussi que repartir ensemble, c'était une mise à l'épreuve. Faut pas que je déconne, Micky. Je compte sur toi pour me freiner...
- Sam, dit-il. La solution, c'est que tu ailles à Fort William le week-end. Déjà, ça t'évitera d'être tenté de faire le joli cœur dans tous les tripots de Glasgow, et ça vous permettra de passer du temps ensemble sans que ce soit la routine ou trop dur. De vous réhabituer l'un à l'autre.
- Vu sous cet angle... fit Sam d'un air un peu songeur.
- Et elle ? demanda Mickaël. Elle veut bien de toi, encore ?
- C'est le pire. Oui, c'est le pire. Elle veut bien.
**
Maureen referma la porte de l'appartement de Mickaël. Il était près de 20h. Elle avait fait une bonne journée. Elle se sentait soulagée aussi, car elle craignait un peu cette semaine de reprise, que les ventes ne soient pas au rendez-vous. Elle avait retrouvé avec plaisir quelques clients habituels et ne doutait pas de revoir dimanche la dame qui allait déjeuner avec sa maman et la jeune femme qui lui prenait toujours un bouquet de roses en revenant de son jogging. En revanche, elle n'avait pas de commandes à réaliser le lendemain, mais déjà une pour le prochain samedi.
Elle posa son grand livre de comptes sur la table de la cuisine, sourit en découvrant le mot laissé par Mickaël à son intention :
Bonsoir ma douce, j'espère que ta fin de journée se sera bien passée. Je t'ai préparé un petit repas pour ce soir, et j'ai prévu le nécessaire pour demain midi. Tu n'as à t'occuper de rien, sauf de toi ! Passe une bonne soirée, je vais essayer de ne pas rentrer trop tard... Je t'embrasse. Mickaël
Elle découvrit dans le réfrigérateur un plat avec des coquillages prêt à passer au four. Elle remarqua aussi le petit crumble aux pommes. "Je le réchaufferai légèrement, avec la chaleur résiduelle du four, un peu de crème et un thé... Hum, je vais me régaler ! Merci, mon amour !"
En attendant que son plat cuise, elle ouvrit son livre et s'attaqua à ses comptes du début de semaine. Elle s'interrompit pour manger, s'y remit avant de prendre son dessert. Une fois qu'elle les eut terminés, elle fouilla dans les disques, trouva un live de Dire Straits, s'installa au salon avec le crumble tiède, un thé Zen et du papier à lettres. Puisqu'elle était seule ce soir, elle profita de ce moment pour répondre à Tara.
Chère Tara,
Ta lettre et les nouvelles que tu me donnes m'ont fait grand plaisir. J'étais très heureuse pour Kenneth et Emily, mais encore plus pour toi et Philip... J'espère sincèrement que ta grossesse se passe bien, tu me parlais de petits soucis qui s'estompent. Je suis heureuse aussi de savoir que toute la famille va bien.
Lawra m'a effectivement raconté t'avoir croisée, mais j'ignorais que tu avais vu Brian. J'aimerais t'expliquer les vraies raisons qui m'ont poussée à demander le divorce. Ce n'était pas facile, mais je n'avais pas d'autres choix. Il ne m'aimait pas. Je ne l'aimais plus. Mais les apparences et la foi sont si importantes à ses yeux qu'il a refusé cette solution. Alors que nous aurions pu repartir, lui comme moi, chacun de notre côté, sans (trop) de déchirures... Son attitude cependant n'est pas surprenante pour qui le connaît, et j'ai quand même vécu avec lui durant quelques années. C'était difficile pour moi de parler de certaines choses, maman n'a jamais voulu m'écouter, et je ne pouvais pas non plus en parler avec toi, c'était trop... intime. Je ne voulais pas que tu sois effrayée non plus par ce que je t'aurais raconté, alors que tu commençais tout juste ta propre vie de femme... Je te sais heureuse avec Philip et cela me réjouit. Brian s'est montré très dur avec moi, violent aussi par ses paroles. Enfin, il me serait sans doute plus facile de parler de vive voix de tout cela... Sache que je me suis sentie soulagée de ce que m'a dit Lawra et de ce que tu m'as écrit, à savoir que tu me comprends aujourd'hui. Cela me réconforte beaucoup et je suis très heureuse de pouvoir t'écrire, prendre de tes nouvelles et partager au fil des mois à venir tout le bonheur qui va t'arriver.
Comme te l'a dit Lawra, je me suis donc installée à Glasgow. J'ai ouvert une petite boutique de fleuriste, qui marche plutôt bien pour ces premiers mois. Au début, cet hiver, c'était difficile, puis j'ai trouvé des idées, j'ai des clients réguliers maintenant aussi. Oh, je ne roule pas sur l'or, mais je m'en sors et je peux rembourser mes charges. J'aime mon travail, j'aime créer des bouquets, arranger les fleurs, m'occuper des plantes. Mes journées sont bien remplies. Je me plais beaucoup dans le quartier où je me suis installée, on dit souvent que Glasgow est grise et triste, mais je vis à la limite du centre-ville et cette ville présente aussi des aspects bien agréables. Les quais de la Clyde ont été aménagés, on peut y faire de jolies promenades. Il y a aussi de nombreux parcs où j'aime me promener les jours de repos. Quant aux alentours... On peut aisément et rapidement se rendre sur plusieurs îles et les contreforts des Highlands ne sont qu'à deux heures de route, sans compter qu'on peut aller très facilement à Edimbourg, qui est une ville magnifique. J'y suis déjà allée plusieurs fois. J'aime aussi beaucoup les gens, je ne me suis, à aucun moment, sentie perdue dans cette ville, dans ce nouveau pays. L'accueil écossais est chaleureux, ce n'est pas une légende !
Si la nouvelle de ta grossesse réjouit mon cœur, j'espère qu'il en sera de même pour toi, pour cette nouvelle que je vais maintenant t'annoncer. J'ai rencontré quelqu'un, ici, au printemps dernier. Il s'appelle Mickaël. Il est chef cuisinier dans un des bons restaurants de la ville. Il est passionné par son travail et me fait découvrir beaucoup de choses. Non seulement des recettes, mais aussi son pays... C'est avec lui que nous nous sommes rendus dans les Highlands, John, Lawra, Kevin et moi. Il m'a aussi emmenée l'autre semaine sur les Hébrides. Sa grand-mère maternelle est française, elle s'est mariée avec un Ecossais, et vit depuis la fin des années 40 à Fort William. J'ai eu l'occasion de la voir déjà plusieurs fois et c'est une personne très attachante, comme toute la famille de Mickaël, d'ailleurs. Mickaël est très différent de Brian, et je suis vraiment heureuse avec lui. J'aimerais le présenter à papa et maman, mais je doute que cela soit possible avant longtemps... J'espère que tu me comprendras, petite sœur, de vivre avec quelqu'un d'autre...
J'espère recevoir bientôt d'autres nouvelles, tu peux en effet m'en donner plus de nos frères et sœur, j'espère que chacun se porte bien ! J'aimerais te dire d'embrasser papa et maman de ma part, mais je te laisse seule juge de cette possibilité ou pas...
Je t'embrasse bien fort, ainsi que Philip. Prends bien soin de toi et de ton bébé.
Maureen
**
Quand Mickaël rentra, un peu moins tard qu'il ne le pensait, Maureen dormait déjà. Comme à son habitude, elle se blottit contre lui à peine il prit place dans le lit.
- Ca va ? murmura-t-elle d'une voix ensommeillée.
- Oui, oui, répondit-il en déposant un baiser dans ses cheveux. Sam a vidé son sac...
- ... et il était plein ?
- On n'a pas trop bu, non ça va...
- Je ne parlais pas de ce que Sam a bu, sourit-elle dans le noir. Mais de son sac...
- Ah oui... Oui, fit Mickaël. Pas mal plein. Je te raconterai demain les détails, mais les nouvelles sont encourageantes. Et ta soirée ? Ca a été ?
- Très... Zen.
Ce fut le tour de Mickaël de sourire doucement. Il se cala plus confortablement dans le lit, se fit la réflexion qu'il avait vraiment bien fait d'en changer, car il était plus large que le précédent et de bien meilleure qualité. Il entoura Maureen de ses bras, elle glissa sa main sur son torse. Doucement, il caressa son épaule et la sentit replonger dans le sommeil. Il ne tarda pas non plus à s'endormir : une bonne journée l'attendait pour le lendemain.
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