Chapitre 123 : samedi 1er octobre 2005
Quand Maureen arriva chez Mickaël ce midi-là, elle le trouva dans la cuisine, debout devant la table, en train d'ouvrir un paquet assez volumineux. Il s'arrêta pour l'embrasser et lui demanda :
- Ca a été, ta matinée ?
- Oui, bien. J'ai bien vendu. Et toi ? Tu as trouvé à te convenir pour ce soir ?
- Oui, dit-il et ses yeux pétillèrent. J'ai du saumon sauvage, de beaux crustacés, et de la raie aussi... Les menus "découverte" vont être très originaux ce soir...
Elle sourit doucement, pensa fugacement à celui auquel elle avait eu droit et se dit que ce devait effectivement être un plaisir que de se laisser toujours surprendre par ces menus-là.
- Alors, j'espère qu'il y aura quelques restes pour demain, dit-elle avec gourmandise.
- Je le souhaite, sourit Mickaël en reprenant l'ouverture du colis.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda la jeune femme.
- Une amie française m'a envoyé cela. Je devine déjà un peu ce qu'il y a dedans, car c'est lourd...
Le paquet fut vite ouvert, il mit de côté la petite carte qui l'accompagnait et sortit d'abord un gros pot en verre.
- Houla... dit-il, cela, on va le garder pour Noël. C'est du foie gras artisanal. Et je me souviens de cette adresse...
- Tu connais ? s'étonna Maureen.
- Oui, c'est moi qui avais découvert ce producteur avec Willy... Un super souvenir. Tu pourras demander à William de te raconter, je suis certain qu'il en aura des étoiles dans les yeux... On se trouvait à Cordes-sur-Ciel, un tout petit village, magnifique, au nord de Toulouse - c'est dans le sud-ouest. Il y avait un tout petit marché, on en faisait le tour. On devait avoir une tête à tout vouloir goûter... Le gars nous a alpagués, nous a fait goûter son foie gras... Mais attends, pas un petit bout rikiki sur une miette de pain, non, carrément la grande tranche de pain de campagne avec la tranche de foie gras qui va avec... L'après-midi, on passait chez lui et ça a été complètement dingue. On avait déjà parcouru pas mal d'endroits, on avait des bouteilles dans la voiture... On a mangé chez lui, descendu quelques bouteilles... On est repartis le lendemain avec plusieurs bocaux, j'en ai laissé à Eric et Jeanne en cadeau, quand on est remontés pour rentrer... Mummy était ravie d'en manger au Noël suivant et mes parents aussi. Depuis, j'ai filé l'adresse à Ann-Aël, car ce n'est pas très loin d'où elle vit.
- Je n'ai jamais mangé cela... C'est du canard ? demanda Maureen en regardant l'intitulé sur l'étiquette.
- Oui. Il n'y a que les Français à savoir faire cela... C'est particulier.
- Je serai curieuse de goûter, dit-elle en souriant.
Mickaël replongea dans le colis, en sortit une bouteille de vin rouge.
- C'est pour aller avec le foie gras ? demanda Maureen.
- Non... Je pense qu'on le réservera pour une viande rouge, voire du gibier... C'est un vin de Cahors, très corsé, très charpenté... Il se mariera très bien avec un rôti de biche, par exemple. Je crois que je tiens déjà le menu de Noël, du moins en partie, rit-il.
Il trouva également plusieurs petites boîtes de pâtés de poisson, des chocolats et s'extasia en sortant un dernier paquet :
- Génial ! Ah, ça, c'est super...
Maureen le regarda, attendant d'en savoir plus. Il tenait à la main un paquet contenant des petites boîtes dont elle aurait été bien incapable d'identifier le contenant.
- Des épices, expliqua aussitôt Mickaël. Alors... du poivre marocain, de la muscade, un mélange d'épices plutôt sucrées pour les gâteaux, et oh... Oh, oh... De l'extrait de vanille... Tin, où est-ce qu'elle a trouvé ça ? Une épicerie fine à Toulouse... Elle est folle... Ca a dû lui coûter un bras...
- Tout le colis ? fit Maureen.
- Les deux bras pour tout le colis, et un seul rien que pour les épices... Et bien, avec ça... On va se régaler et je vais pouvoir vous agrémenter des sauces ou des préparations avec des parfums... Tiens, dit-il, juste pour le plaisir...
Et il présenta la boîte contenant du poivre en grain et le fit respirer à Maureen. Puis, sans rien dire, il ouvrit le placard où il rangeait ses propres épices et condiments, lui fit sentir le poivre qu'il utilisait habituellement. Il parut fade à Maureen après avoir senti l'autre.
- En effet, dit-elle. Le parfum n'a rien à voir ou presque... Ce n'est pas en force, plutôt en... en richesse.
- Exactement, dit Mickaël en souriant.
Puis il ouvrit la petite carte et la lut :
Salut Micky ! Bon anniversaire et encore juste un échantillon de quelques trésors français... Je suis certaine que tu apprécieras et tout ton entourage aussi. Et peut-être pourras-tu faire découvrir certains à Maureen... Bonne continuation ! Bises. AA
- Je l'appellerai tantôt durant la pause ou demain, pour la remercier, fit-il en commençant à ranger les affaires pour débarrasser la table.
Maureen l'aida aussi à disposer les assiettes, les verres et les couverts pour leur repas. Dans le four, gratinait un plat de pommes de terre et de poireaux, agrémentés d'une sauce à la muscade. Il avait ramené de la criée des petits poissons qu'il avait préparés en papillotes. La cuisine embaumait. En entrée, il avait fait quelques crudités. Elle appréciait toujours ces petites salades de légumes variés, qu'il accompagnait d'une sauce, souvent différente d'une fois sur l'autre. En été, il les agrémentait d'herbes fraîches, ciboulette, persil, coriandre.
Ils passèrent à table sans tarder, Mickaël, comme tous les samedis, voulait profiter de son tout début d'après-midi pour faire une sieste afin de pouvoir affronter sa dernière soirée de travail dans les meilleures conditions possibles. Après quelques bouchées, Maureen lui demanda :
- Qui est Ann-Aël ?
- On s'est connu à l'école hôtelière, dit-il. On s'est tout de suite bien entendu. Elle venait du Finistère, la pointe de la Bretagne, et elle avait déjà une sacrée connaissance des produits de la mer. C'était vraiment son acquis.
- C'est un peu grâce à elle que tu as appris à cuisiner le poisson ? demanda Maureen.
- Pas uniquement. J'aimais déjà cela avant d'aller en France. Ici aussi, on trouve du beau poisson, à Fort William encore plus... Et Mummy aime beaucoup le poisson. J'apprenais déjà à le préparer avec elle. Pépé aimait en manger aussi, à l'occasion. Même si, pour lui, rien ne valait un bon ragoût de mouton... Disons qu'Ann-Aël m'a apporté des connaissances plutôt... non culinaires sur les poissons, les coquillages. Elle savait où ils vivaient, comment on les pêchait, à quelle saison, etc... Elle avait toujours un ou deux détails à ajouter quand on nous parlait d'un poisson ou d'un coquillage en particulier. En revanche, elle était totalement néophyte sur la viande. On aimait bien travailler ensemble. On s'est vite lié d'amitié, puis on a eu une relation amoureuse aussi. Elle a été ma première petite amie.
- Ah... fit Maureen un peu étonnée. Et... tu as gardé contact avec elle ?
- Oui. Pour faire simple, notre relation a débuté de façon amicale, a évolué vers une relation amoureuse, puis est redevenue amicale. On était jeune, on sortait tout juste de l'adolescence... Nos sentiments évoluaient vite. Et quand on a décidé d'arrêter, d'un commun accord, on est resté amis. L'un comme l'autre, on trouvait idiot de se faire la tête, de s'ignorer alors qu'on s'entendait toujours bien. Ca surprend, c'est vrai, car c'est rare... Mais c'est ainsi. Depuis, on a suivi chacun notre chemin, elle s'est installée dans le sud de la France, car son compagnon est originaire de là-bas, ils se connaissent depuis quatre ans. On est resté en contact, on s'appelle deux à trois fois par an et, en général, elle m'envoie toujours un colis pour mon anniversaire ou pour Noël. Et moi, de même. Elle adore les shortbreads ! Et certaines confitures... Je m'arrange pour lui glisser un ou deux pots de celles de Mummy.
Maureen ne dit rien, hocha simplement la tête. Si Mickaël lui avait parlé de ses précédentes relations, c'était la première fois qu'il lui livrait autant de détails sur sa première petite amie, et elle était vraiment étonnée qu'ils soient restés en contact l'un avec l'autre. Pas tant ce qu'il lui en disait, juste après leur séparation - surtout s'ils étaient encore en études à l'époque et se côtoyaient au quotidien -, mais par la suite. Elle ne connaissait personne de son entourage qui ait vécu ce genre de choses et elle-même n'aurait pu garder contact avec Brian. C'était totalement impensable. Mais Ann-Aël et Mickaël avaient eu une relation bien différente de ce qu'elle avait connu avec son ex-mari...
Mickaël la fixa un instant alors qu'elle continuait à manger sans rien dire. Il tendit le bras vers elle, lui frôla le poignet. Elle releva la tête et le regarda en retour :
- Tu n'as aucune crainte à avoir, ma douce. Aucune.
Elle sourit, dit simplement :
- Je te crois. C'est juste que... cela m'étonne.
- Je le comprends. Cela surprend toujours quand je parle d'elle et que les gens apprennent ce que j'ai vécu avec elle. Aujourd'hui, elle est vraiment un peu comme Jenn pour moi, tu vois ? Une amie. Elle m'avait téléphoné pour mon anniversaire, quelques jours après, et m'avait prévenu de l'arrivée du colis. Je lui ai parlé de toi aussi et elle était très heureuse pour nous deux. Vraiment.
- Tu... lui as parlé de moi ? s'étonna Maureen.
- Oui. Je lui ai dit que j'avais rencontré une femme merveilleuse et que j'étais le plus heureux des hommes avec toi. Ca l'a fait rire et ravie aussi. C'était très sincère de sa part.
Maureen sourit. Mickaël ajouta :
- Tu n'as aucune raison d'être jalouse d'elle, pas plus que je n'en ai de l'être de ton ex-mari... même si ce que j'ai vécu avec elle n'a rien à voir avec ce que tu as vécu avec lui. Ces relations-là appartiennent au passé. Aujourd'hui, c'est une relation amicale que j'entretiens avec elle et toi, une absence de relation avec lui tout court. C'est la seule différence.
- Je te promets que je ne suis pas jalouse, fit-elle en nouant ses doigts aux siens. Hum, mais, dis-moi, ton poisson...
- Tu as raison ! Il est temps que je m'en occupe...
Et il quitta la table, ouvrit le four et sortit les petites papillotes. Des parfums délicats parvinrent aux narines de Maureen : un peu de ciboulette et du citron. Cet agrume qu'elle aimait beaucoup, si délicat et particulier à manier, à marier avec les autres ingrédients. Qu'elle aimait retrouver dans Envoûtant et Harmonieux. Et elle était certaine qu'Ann-Aël, si elle avait eu l'occasion de goûter à des mélanges de Mickaël - et le contraire aurait été étonnant - elle, elle n'avait pas eu droit à Harmonieux.
A la fin du repas, au lieu de choisir Subtil comme ils le faisaient habituellement, Maureen demanda à Mickaël de leur préparer Harmonieux. Et il ne fut nullement surpris de son choix.
En la servant et en lui tendant sa tasse, il lui dit, comme un écho aux pensées de la jeune femme :
- Juste toi et moi. Celui-là, c'est juste toi et moi.
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