Chapitre 134 : dimanche 27 novembre 2005

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Mickaël se leva plus tôt qu'un dimanche matin habituel. Il n'était pas rentré très tard la veille. Maureen était encore au magasin. Il voulait lui préparer un petit repas et, surtout, lui faire découvrir le dernier thé qu'il avait acheté pour elle, Givré. L'hiver approchait. Il repensait à l'appel de Mummy qu'il avait reçu jeudi, en début d'après-midi, alors qu'il discutait tranquillement dans la cour du restaurant, avec Sam. "Les premières neiges sont tombées sur le Ben Nevis..." Signe que la neige ne devrait plus tarder à atteindre Glasgow désormais. Oh, sans doute ne tiendrait-elle pas, et il faudrait attendre un peu avant que ce ne soit le cas.

Quand Maureen rentra, chaudement emmitouflée dans son manteau d'hiver, une écharpe grise nouée autour du cou, les mains dans les gants, elle lui fit l'effet d'un petit animal fragile. Dans l'appartement, il faisait bon. Il avait trouvé du poisson pour eux, hier à la criée, et il s'apprêtait à le mettre au four. Une dorade, avec des pommes de terre et une sauce aux échalotes, avec un peu de beurre salé. Et une touche de crème.

Elle se déchaussa et ôta son manteau dans l'entrée, frotta ses mains encore froides, malgré les gants.

- On gèle, frissonna-t-elle. Le vent est froid...

- Viens te réchauffer près du four. Il est en préchauffage depuis un moment. Tu veux un thé ? proposa-t-il.

- Avant le repas ? s'étonna-t-elle.

- Il pourra accompagner le repas, aussi. J'ai une bouteille de vin blanc au frais, également...

- C'est quoi, comme vin ? demanda Maureen, curieuse. Un Savennières ?

- Non, un Bourgogne aligoté. Très doux et parfumé. Il faut cela pour aller avec la dorade.

- Ca sent bon en tout cas... sourit-elle.

- J'espère que tu vas te régaler ! sourit-il lui aussi en commençant à préparer la sauce.

- Je n'ai encore jamais mal mangé avec toi ! Je peux t'aider à quelque chose ?

- La table est mise... Non, installe-toi. Tu as donné ce matin ?

- Pas mal pour un dimanche de fin novembre... Je ne pensais pas voir autant de monde, avec le temps qu'il fait !

- La pluie n'empêche pas les habitants de Glasgow de sortir, le froid non plus. C'est la canicule qui les retient à l'intérieur ! dit Mickaël.

- Il n'y a pas souvent de canicule en Ecosse... fit remarquer Maureen.

- Non, c'est vrai ! Mais quand ça arrive... Ca surprend tellement que plus personne n'ose bouger de chez soi !

Il lui prépara le thé et elle s'étonna en le humant :

- Nouveau parfum ?

- Oui... Tu aimes ? demanda-t-il en s'approchant d'elle pour en sentir lui aussi le parfum au-dessus de la tasse de la jeune femme.

- Beaucoup. Comment l'as-tu appelé ?

- Givré. Comme le temps. C'est un bon thé pour l'hiver, non ? L'inverse de Lumineux, en quelque sorte...

- Hum, c'est vrai... Tu aurais pu l'appeler Hiver aussi...

- Oui, c'est juste. Mais je n'avais pas encore de thé avec la lettre G...

Maureen sourit doucement : c'était une excellente raison.

Après le repas, Mickaël lui proposa une sortie. Elle s'étonna. Elle, elle serait bien restée au chaud, pour un après-midi "cocooning". Il insista, arguant qu'il avait besoin de prendre l'air. Que le froid ne lui faisait pas peur et que pour avoir le plaisir de se réchauffer ensuite, encore fallait-il d'abord se confronter à ce début d'hiver. Il se montra si convaincant qu'elle finit par accepter.

Le ciel était gris et bas, le vent s'était un peu calmé par rapport au milieu de journée, mais il était toujours froid, coupant. Bras dessus, bras dessous, bien couverts, ils descendirent jusqu'à la Clyde. Les quais étaient déserts, il n'y avait vraiment personne le long de la promenade. Maureen se dit que l'hiver aussi gardait les gens au chaud. "Ils ne sont pas fous, comme nous. Ils sont tous chez eux, ou au bowling, ou au pub..."

- Mummy m'a téléphoné jeudi, dit Mickaël alors qu'ils longeaient maintenant la rivière. Elle va bien. Elle avait une grande nouvelle à m'annoncer.

- Oh, laquelle ? demanda Maureen avec curiosité.

- Il a neigé sur le Ben Nevis, dit-il avec sérieux.

- Déjà ?

- Eh oui... C'est une nouvelle très importante. Je tiens à ce qu'elle m'en informe chaque année !

Maureen sourit : elle aimait ces petites preuves de complicité entre Mickaël et sa grand-mère. Le jeune homme poursuivit :

- Ca veut dire que la neige ne va pas tarder à tomber sur Glasgow. Ce ciel en est annonciateur, d'ailleurs. As-tu remarqué qu'il n'avait pas plu depuis deux jours ?

- Il fait trop froid, c'est cela ? fit Maureen.

- Oui.

- Et tu voulais vraiment sortir... pour les premiers flocons ?

- En effet, dit-il avec aplomb. Je crois qu'on peut s'y préparer.

Ils continuèrent leur promenade, tranquillement, dans cette lumière pâle et froide. La nuit tomberait vite, surtout avec ce ciel gris et bas. Le vent soulevait les cheveux de Maureen. Elle songeait à Sam, espérait qu'il pourrait rentrer de Fort William mercredi sans difficulté. Elle imaginait déjà Glencoe sous la neige. Le jardin de Mummy sous la neige. Les bords du Loch Linnhe tout blancs.

Mickaël s'arrêta, la prit dans ses bras, la sortant ainsi de ses pensées.

- Regarde, dit-il en levant les yeux vers le ciel. Les voilà...

De tout petits flocons blancs et froids se posèrent en effet sur les cheveux de Maureen, parsemant sa chevelure sombre d'éclats fragiles. Le regard de Mickaël était émerveillé. Le cœur de Maureen se mit à battre plus vite quand il la regarda, si heureux, si amoureux.

- Maureen... J'ai quelque chose de très important à te dire.

Elle attendit, retint son souffle.

- J'ai envie de te faire un enfant.

Le soir

Maureen avait les yeux ouverts, fixant le plafond. A ses côtés, Mickaël dormait profondément. Elle, elle n'arrivait pas à trouver le sommeil. Les heures écoulées défilaient dans son esprit. Sa matinée de travail, le froid coupant, le repas, la promenade le long de la Clyde, les premiers flocons de neige... Et cette déclaration de Mickaël à laquelle elle s'attendait si peu... Puis leur retour, à l'appartement, un moment de détente au salon, thé et whisky. Puis l'amour... beaucoup d'amour.

Elle n'avait pas su quoi lui répondre, quoi dire. Elle l'avait fixé un long moment, puis l'avait embrassé. Ils étaient rentrés, silencieux, un peu émus, un peu troublés, aussi. Mais au fond d'eux-mêmes, heureux.

Elle avait attendu durant des mois, des années presque, de tomber enceinte. C'était une évidence d'avoir un enfant, avec Brian. Avec Mickaël, elle n'y avait pas encore vraiment songé. Parce qu'elle se sentait libre, avec lui. Qu'elle avait envie de profiter de cette liberté qu'elle avait si chèrement conquise. Et leur relation coulait tellement de source...

Un enfant, maintenant. Avec lui. C'était un engagement bien plus profond qu'un mariage, elle avait l'impression de basculer dans une autre dimension. Que leur relation prendrait une toute autre envergure, comme le vol des grands oiseaux au-dessus du Ben Nevis, qui déployaient leurs ailes pour s'envoler au-delà des montagnes et rejoindre l'océan sauvage.

Elle essayait d'imaginer ce que cela impliquerait, mais se perdit vite en extrapolations de toutes sortes... Changement d'appartement, autre rythme de vie, et un petit inconnu, là, avec eux. Ne plus être seule. Jamais. Ne plus être deux. Etre trois, demain... Peut-être. Certainement. Pourquoi pas ? Mais encore...

Maureen se tourna un peu sur le côté, regarda Mickaël. Il avait passé un bras au-dessus de sa tête, dégageant ainsi son torse et son aisselle. Sa respiration était lente et régulière. Il était vraiment profondément endormi. Elle le contempla un long moment, songeuse. Puis elle ferma les yeux, saisie par une émotion si profonde et si intense qu'elle fit battre violemment son cœur et lui serra la gorge. Oui... Oui... Oh que oui !

Elle voulait bien d'un enfant avec lui.

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