Chapitre 140 : dimanche 11 décembre 2005
Ils avaient convenu de se retrouver tous les quatre avec William et Shana pour un bowling. Au fil de la semaine, Jenn s'était un peu détendue, Sam quant à lui restait soucieux. Les nouvelles d'Helen étaient mauvaises. Ils avaient même hésité à rentrer dès ce dimanche à Fort William, mais le père de Jenn leur avait déconseillé de prendre la route. Les conditions de circulation seraient meilleures le lendemain.
Après quelques parties, Sam attrapa son manteau, fouilla dans ses poches pour en sortir son paquet de cigarettes. Le voyant faire et prise par une impulsion subite, Maureen décida de l'accompagner au-dehors.
- T'avais envie de prendre l'air, Princesse ? s'étonna-t-il.
- Oui, répondit-elle. Il fait trop chaud, dedans.
- Mais froid, dehors.
Elle sourit doucement, puis demanda, alors qu'ils faisaient quelques pas pour s'éloigner de l'entrée de l'établissement :
- Je n'ai pas voulu te demander devant Jenn, mais... Comment va sa mère ?
- Pas bien. On a appelé son père ce midi. Elle est très fatiguée. Elle ne cesse de dire : "J'en ai assez...". Elle veut partir. Ils l'ont hospitalisée à Fort William, au petit hôpital, il y a deux jours. Elle est sous calmants. Ca semble lui faire un peu de bien, mais...
Il ne termina pas sa phrase. Maureen secoua doucement la tête. Ce qu'il lui apprenait correspondait aussi à ce que Jenn lui en avait dit et à ses inquiétudes.
- Je ne sais pas si je vais rentrer mardi, poursuivit Sam. Micky est au courant et Harris aussi. Il m'a dit de rester là-bas si je sentais qu'il le fallait. En ce moment, c'est vraiment plus calme au resto, mais quand même... Ca fait beaucoup d'aléas ces derniers mois. Et Tony qui a la tête ailleurs avec son mariage... Bref, ça tombe mal.
- Ca ne tombe jamais bien, n'est-ce pas ? fit remarquer Maureen.
- Non, t'as raison...
- Reste avec Jenn, Sam. C'est important que tu sois là-bas, ajouta-t-elle. Elle aura besoin de ton soutien et son père aussi. Parce qu'ils vont craquer, l'un et l'autre, à un moment donné.
- Ouais, c'est bien ce que je pense, soupira-t-il.
- Et te soucie pas pour la voiture, on peut se débrouiller sans...
- C'est ce que Micky m'a dit aussi. Pff...
Le grand jeune homme maigre soupira à nouveau, son regard se perdit dans le ciel chargé de nuages gris et sombres.
- Tu as peur, Sam ? demanda doucement Maureen.
- Oui, reconnut-il avec franchise. Très peur, Princesse.
- Je suis certaine que tu seras à la hauteur, dit-elle avec gentillesse en lui passant la main sur le bras en une caresse amicale et réconfortante.
- J'ai été minable, déjà... Oh... Merde... Je ne sais pas si je pourrais...
Il avait les larmes aux yeux. Il prit une nouvelle longue bouffée de cigarette, puis la souffla aussitôt, jeta son mégot à demi-consumé au sol, l'écrasa avec rage avant de le ramasser pour le jeter dans le caniveau. Puis il alla s'appuyer dos à un mur. Maureen s'approcha, s'appuya à ses côtés.
- Tu veux que j'aille chercher Mickaël ? proposa-t-elle.
- Non... Laisse, ça va aller. Merci, Princesse. Ca m'fout les boules, tu peux pas savoir...
Elle hocha la tête, ne sachant trop que dire.
- Voir sa mère partir... Si jeune... C'est pas juste. Ca me rappelle des sales souvenirs, tu sais, finit-il par lâcher.
- Mickaël m'a raconté, oui... Je sais. On sera là, Sam, nous aussi.
- Vous êtes déjà là, Maureen, ça fait vraiment du bien. Merci.
Elle baissa la tête, regarda un peu de neige glacée et à demi-fondue, au-dessus d'une bouche d'égout.
- Allez, rentrons, fit-il. Si t'attrapes un rhume, Micky, il va me tuer...
Le soir
S'ils avaient tous les six dîné au pub après la partie de bowling, ils ne s'étaient pas attardés. William avait prévu de prendre la route pour retourner sur Callander le lendemain matin, et il comptait partir plus tôt que d'habitude pour avoir un peu de marge en cas de difficultés de circulation. Sam et Jenn partiraient assez tôt eux aussi pour Fort William. Ils déposèrent Mickaël et Maureen sur le chemin du retour.
Quand ils furent tous les deux, chez lui, Mickaël se dirigea d'emblée vers le placard des whiskys. Maureen n'en fut nullement étonnée : elle le sentait très soucieux pour Jenn - et pour Sam. Il sortit un whisky de Tobermory, de vingt ans d'âge. Il était d'une couleur assez claire, mais il ne fallait pas s'y fier : c'est un whisky racé, légèrement iodé comme la plupart des whiskys des îles, et parfumé.
Maureen déclina la proposition de Mickaël d'en boire, accepta cependant un petit verre de Dalwhinnie. Pour la première fois, elle ressentait elle aussi le besoin d'un peu d'alcool. Mickaël les servit, lui coupa son verre avec de l'eau et s'assit à ses côtés. Elle vint aussitôt se blottir contre lui et l'enlacer, laissant son verre sur la table alors que Mickaël avait pris le sien et faisait lentement tourner le whisky.
- Sam m'a parlé un peu tout à l'heure, dit Maureen.
- Je m'en doutais. Quand je t'ai vue le suivre... Comment est-il ?
- Pas bien, répondit Maureen. Très soucieux, très inquiet... Et pas très confiant en lui.
- Cela ne m'étonne pas, soupira Mickaël. Ca fait remonter plein de souvenirs douloureux pour lui.
- Il me l'a dit, oui.
- Il a évoqué sa mère avec toi ? demanda Mickaël.
Il n'était pas surpris, voulait juste se faire préciser les choses.
- Oui... Oh, très vaguement. Il m'a juste que dit que ça lui rappelait des souvenirs douloureux, mais pas plus.
- C'est déjà beaucoup de la part de Sam, dit-il.
Maureen sourit tristement :
- Oui, je l'ai bien compris. Je lui ai rappelé qu'on était là et qu'il ne fallait pas qu'ils se soucient pour la voiture ou ce genre de choses. Mais je lui ai surtout dit que j'avais confiance en lui et qu'il saurait aider Jenn et son père.
- Je suis certain que cela lui aura fait du bien de l'entendre. Et que ce soit toi qui le lui dises...
- J'ai dit la vérité, fit Maureen. J'ai dit ce que je pensais vraiment.
- Je sais, lui sourit-il en la serrant un peu plus contre lui. Willy et moi, on l'a dit aussi... Sauf que nous, on est ses amis, et qu'il va penser qu'on dit ça juste pour le consoler.
Maureen hocha simplement la tête, puis se redressa et prit son verre. Elle fit tourner elle aussi lentement le liquide clair, en portant son nez au-dessus. Ils dégustèrent en silence, perdus l'un et l'autre dans leurs pensées.
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