Levés aux aurores, après une courte nuit pour Mickaël, Maureen avait conduit jusqu'au port de Troon, à l'embouchure de la Clyde, d'où ils allaient embarquer pour rejoindre l'Irlande du Nord. C'était le plus simple pour faire le voyage. Un temps, ils avaient songé à prendre l'avion, mais cela s'avérait finalement plutôt compliqué. Ils seraient à Dublin en fin de journée. Lawra et John les attendaient. Tara était encore à l'hôpital pour la journée, elle devait rentrer ce soir chez elle. Ils avaient convenu de ne passer la voir que le lendemain, qu'elle ait le temps de reprendre ses marques.

Ils profitèrent de la traversée pour se reposer un peu. En cette période de l'année, il n'y avait guère de monde sur le ferry et ils trouvèrent un endroit tranquille dans la grande salle des voyageurs pour s'assoupir. Ils avaient réservé une cabine seulement pour le retour, quand ils voyageraient de nuit.

Pour Mickaël, c'était une première que de venir en Irlande, et l'arrivée par l'Ulster était particulière. Comme tous, il savait ce qu'il s'était passé au cours des dernières dizaines d'années dans la province, mais voir les lieux-mêmes où s'étaient produites tant de violences et où il subsistait encore des traces de haine et, au mieux, d'animosité, était un moment fort pour lui. Ils ne s'attardèrent cependant pas à Belfast et firent route directe vers Dublin.

Maureen revit avec émotion la route qu'elle avait parcourure un an et demi plus tôt, quand elle avait quitté son pays pour rejoindre Glasgow. Très vite, Mickaël perçut son malaise et prit le volant.

- Oui, je veux bien que tu conduises, lui confia-t-elle en s'arrêtant dans un village. Cela me fait vraiment bizarre de repasser ici. Pourtant, la saison est différente. Je me souviens de tout le trajet. C'était l'inconnu qui m'attendait, l'aventure aussi, un défi... Et tout ce que je laissais derrière moi.

Elle se tut, puis le regarda alors qu'ils n'étaient pas encore remontés dans la voiture.

- Ca me fait peur de revenir, aussi, ajouta-t-elle après un petit silence.

Il la prit tendrement dans ses bras.

- Tu reviens pour partager un moment de joie avec ta sœur. Ne l'oublie pas. C'est cela qui est important, lui dit-il d'une voix réconfortante.

- Oui, je sais, répondit-elle en hochant la tête. Mais j'ai peur quand même.

- Je suis là, sourit-il en la fixant avec amour.

Elle se blottit un instant contre lui, resserra son étreinte autour de la taille du jeune homme, en glissant ses mains et ses bras sous sa veste.

- Je sais. Et tu m'aides beaucoup.

**

Il fallait environ deux heures pour rallier Dublin. Dès le passage de la frontière entre l'Ulster et la République d'Irlande, Mickaël comprit d'emblée qu'ils entraient dans un autre pays. Et, pourtant, rien ne semblait différent. Maureen l'avait prévenu : en Irlande, le système métrique avait été adopté. Pas en Ulster. La monnaie aussi était différente, et cela, Mickaël s'en était chargé dès le vendredi matin.

Ils arrivèrent en fin d'après-midi chez Lawra et John. Tous étaient enchantés de se revoir. Lawra avait eu le privilège de voir le petit Brendan et elle leur montra ses photos du bébé. Lawra rassura Maureen au sujet de la santé de sa sœur. Ils passèrent une soirée agréable, Kevin demanda à ce que Maureen lui lise son histoire avant qu'il ne s'endorme, ce qu'elle fit avec grand plaisir. Elle mesurait bien l'importance de chaque petit moment passé avec son filleul, des liens qui se créaient ainsi. Quand elle redescendit au salon, John était en train de sortir quelques bouteilles de whisky irlandais de son bar pour en proposer un à Mickaël.

- A moins que tu ne tiennes à boire écossais, Mickaël, dit John à cet instant.

- Non, non, au contraire ! Je suis curieux de faire une découverte...

- Je n'ai pas autant de choix à te proposer que toi, dit leur ami d'un ton avec lequel il s'excusait presque.

La remarque fit éclater de rire Lawra :

- Ce que tu devrais surtout dire à Mickaël et Maureen, c'est que, depuis l'été dernier, tu as plus de whiskys écossais que d'irlandais dans ton bar !

- Si je commence à refaire ma collection d'irlandais, tu vas râler... Et puis, je n'ai plus trop de place, sourit John.

- Ca, la place... C'est toujours un problème, s'amusa Mickaël. Allons-y pour la dégustation !

- Tu veux en goûter plusieurs ? J'en ai trois en particulier à te proposer...

- Je préfère en boire un ou deux maximum, dit Mickaël. Le plus doux, d'abord.

- Ok.

John demanda à Maureen et Lawra si elles voulaient en boire aussi, puis il le servit. Toutes deux déclinèrent l'offre et Lawra prépara un thé. Ils leur avaient ramené quelques provisions, Mickaël n'était pas passé qu'à la banque le vendredi matin, mais aussi au Palais des thés.

Ce fut un moment agréable et convivial, entre amis, tel que Mickaël les appréciait particulièrement. Maureen était heureuse de revoir Lawra et John, même si cela lui faisait un effet un peu particulier de revenir chez eux, dans cette jolie petite maison qui avait été son refuge au cours des derniers mois de sa vie à Dublin. Sauf qu'elle n'y venait plus en petit oisillon blessé, mais en jeune femme accomplie, avec son compagnon.