Incipit mon amour !
(note à moi-même : je hais l'éditeur de scribay !)
Premier principe sur lequel tout le monde s'accorde, faut que ça claque ! En gros, comme l'incipit est votre premier contact avec votre texte, faut qu'il envoie du lourd et qu'on sache tout de suite où on met les pieds. C'est un peu ce qui va donner le "la" à tout le texte. On y découvrira le style, l'univers, le personnage parfois, mais on doit savoir, dès le début dans quoi on s'engage. Souvent je compare l'incipit à la porte d'entrée. Selon qu'elle est en bois brut ou ouvragée, selon qu'elle est en pierre vieillie ou en carbonne, énorme ou étroite, on sait déjà un peu comment va être le reste de la maison. Et on sait si on a envie d'y entrer ou si c'est pas pour soi. Et si en outre, cet incipit comporte la clé de lecture, ça permet au lecteur de tourner la serrure et d'ouvrir l'histoire puis de s'y installer confortablement.
Si on garde cette métaphore, il y a plusieurs façon d'inviter le lecteur à entrer chez vous. Soit en le poussant à l'intérieur avec une grande bourrade dans le dos ! Soit en le laissant se creuser la cervelle rien que pour ouvrir cette fichue porte ! Soit en lui disant dès le début ce qu'il va trouver à l'intérieur. Soit en lui faisant croire que ça ressemble à chez lui. Soit en lui exposant tous les détails de la porte avant même de le laisser poser un pied sur le pallaisson ! Soit en le laissant entrer tout seul parce que c'est ouvert. Soit en le tenant par la main au risque de faire la visite guidée et de ne pas le laisser découvrir.
Et la liste peut se poursuivre. Donc pas de règles absolue, mais des écueils à éviter.
Dans les grandes lignes, parmis les incipits les plus communs il y a :
- La scène d'exposition. En gros, vous choisissez une scène qui n'a d'intérêt que de présenter le personnage principal en action pour montrer sa personnalité et l'univers dans lequel il évolue. Avantages : simple, facile à maîtriser, efficace depuis le 16è siècle, très prisé dans la fantasy et le roman d'aventure mais aussi dans la romance, on va dire qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Inconvénients : un tantinet surfait, cliché et rasoir. En gros la scène n'apporte rien à l'histoire et n'existe que pour le lecteur, ce qui peut être un poil visible. Si vous avez une plume superbe, ça peut passer crème. Sinon, félicitations, vous allez écrire comme tout le monde. Petite info, colle particulièrement avec un narrateur externe.
- Le dialogue. Très utilisé par les anglo-saxons, pas mal repris en littérature française contemporaine, le dialogue est efficace en peu de mots, permet de placer une punch-line en première ligne, un style fort parfois vulgaire, car on est dans l'oralité. Donc pas besoin d'écrire super bien pour avoir un effet claque. En outre il permet de placer les personnages par leur langage et de dire beaucoup sur eux, leur relation et leurs enjeux, comme sur leur situation. Inconvénients : ficelle narrative et scénaristique ultra visible. Le dialogue sert tellement à appater le lecteur qu'on voit l'hameçon, le pauvre ver, la ligne, le bouchon et l'auteur qui nous fait un clin d'oeil genre "t'as vu ! je t'ai ferré !". Bref une facilité d'écriture qui en général ne sert qu'à gagner du temps. Une fois le dialogue passé, on découvre la vraie écriture de l'auteur et parfois c'est la douche froide. Autre difficulté, un dialogue mal maîtrisé sert juste à plonger le lecteur dans une conversation dont il ne possède aucune clé, aucun contexte et ne sait pas de quoi il parle. Cela peut créer des situations artificielles qui se veulent mystérieuses, mais ne font que perdre le lecteur à la première ligne. Marche pour le JE + présent et le narrateur externe. JE+passé, c'est une incohérence narrative.
- L'action. Le fameux in media res, là aussi très prisé par les anglo-saxons. En gros, une bonne scène d'action qui va permettre de plonger direct dans l'histoire. L'exposition viendra souvent sous forme de flash-back, et comme on est dans l'action, pas le temps de se demander comment l'auteur écrit, on est pris par la tension, le suspens, le comment la fille va réussir à s'échapper car elle court même si je sais pas qui elle est, ni où elle est etc... Parmis les plus cliché : la fuite, le réveil, un tir de pistolet, une bagarre. Colle bien au narrateur externe, éventuellement au JE+présent mais sur une très courte durée, genre une ligne à peine car à partir du moment où le personnage réalise qu'il est dans le pétrain ou qu'il se réveille sans savoir où il est, il va se poser plein de question qui va stopper l'action. C'est logique. Inconvénient, comme pour le dialogue, c'est grossier, rapidement cliché, à utiliser avec précaution. Quand c'est bien fait, ça claque quand même.
- La description. Un grand classique et en même temps, très difficile à mener. Décrire, c'est jamais donner à tout le monde, soit vous perdez tout le monde, soit vous emballez tout le monde. La description, c'est l'incipit contemplatif par excellence. Avantage : le lecteur est imédiatement au contact de l'auteur, de sa plume, de son langage, de sa vision, de son univers. Inconvénient : il est possible qu'il ne la partage pas. La description tombe souvent comme un cheveux sur la soupe, comme si on écrivait pour le lecteur seulement. La description dès le début ne fait jamais partie de l'histoire à proprement parler, planter le décor n'a jamais servi les personnages. Donc souvent un narrateur externe à l'action : IL ou JE + Passé.
- La sentence philosophique. C'est un peu LA phrase parfaite qui ouvre le texte. L'aphorisme qui va faire office de citation associé à votre nom d'écrivain. Avantage : vous montrez au lecteur que vous en avez sous le talon et que le livre qu'il va ouvrir n'est pas qu'une simple histoire de... mais bien un truc plus profond. Vous annoncez l'universalité de votre histoire, sa dimension commune et vous accrochez le lecteur avec une vérité si profonde qu'il a envie de la garder en lui, normale, elle lui parle ! Inconvénient : n'est pas Dostoïevski qui veut et le risque c'est d'en faire trop. De tomber dans un cliché de platitude sorti tout droit d'un livre de développement personnel du genre "Ceci n'est pas une histoire de mort, mais un hymne à la vie !"
- Le prologue. J'enlève tout de suite le suspens : dans 95 % des cas, le prologue est une mauvaise idée. Ou comment faire croire au lecteur que l'histoire commence et en fait non. Ni un début, ni une part de l'histoire. C'est toujours un élément suppressible, alors pourquoi vouloir que le lecteur plonge dans votre univers par une porte qui n'ouvre sur rien ? Le prologue est un élément du théatre qui à l'origine était joué par les choeurs, et du cinéma par extension, il n'a que peu de place dans la narration car quel narrateur va faire un prologue quand il raconte une histoire ? En quoi un prologue peut-il s'intégrer dans l'action de narration ? Souvent plus obscur qu'explicatif, le prologue est rarement maîtrisé et le plus sûr moyen de montrer au lecteur que justement, vous ne le maîtrisez pas. Un reliquat du Seigneur des anneaux et de toutes ses oeuvres de fantasy qui très souvent, ne brillent pas par sa gestion de l'incipit... Utiliser un prologue sur ces références, c'est un peu comme utiliser les points virgules en se basant sur Proust. Proust est un grand écrivain, mais il ne sait pas et n'a jamais su utiliser les points virgule, et comme il s'est auto-édité, y'a jamais eu moyen de faire passer un correcteur sur sa gestion foireuse de la ponctuation. Inspirez vous des auteurs pour ce qu'ils ont fait de bien et pas pour leur ratés (et il y en a dans tous les auteurs, même grandioses !) Cherchez pas, le prologue ça colle à aucun narrateur digne de ce nom, ça donne l'impression que l'auteur sait pas par où commencer, et c'est encore pire si la narration est en JE (car le prologue est hors narration, donc pourquoi il existe !!!)
Faites-moi confiance, je sais que c'est dur, moi-même j'ai cédé aux sirènes du prologue. Il était beau, terriblement poétique, une envolée lyrique et un exercice de style complètement surréaliste, c'était mon chouchou, la première idée de mon roman, je ne pouvais pas m'en passer. Jusqu'à ce que je comprenne qu'il laissait le lecteur résolument sur le carreaux, que j'étais la seule à en posséder la clé de lecture (dans le genre partage, on a vu mieux) et qu'en fait, c'était mon prétexte. En gros, ça m'a pris deux ans dont un an de coup de pied au cul de mon éditeur, j'avais même tenté de le réécrire pour le sauver. C'est dire ! Je vous dis pas le soupir de soulagement de mon éditeur quand enfin, je l'ai supprimer ce pu**** de prologue !
Ce "prétexte", au lieu de le laisser en dehors de l'histoire, je l'ai intégré à l'histoire et c'est devenu un des plus beaux chapitre de mon roman où l'héroïne découvre comment le héros est entré dans son univers quand elle pensait qu'il avait toujours été là. Y'avait ni fioriture, ni effet de manche, ni de "tadaam cher lecteur, tu rentres dans un monde mystérieux dont je ne te dirais rien ou si peu que tu ne sauras jamais vraiment", bref le prologue est mort, paix à son âme et mon roman a retrouvé son vrai début. Celui qui prend le lecteur par la main pour l'inviter à découvrir un univers complètement dingue qu'il n'a jamais lu de sa vie. Et un univers comme ça, ça peut pas se forcer, ça doit s'introduire en douceur.
Si on revient à l'incipit, quand commence une histoire ?
Tout dépend de qui la raconte, de pourquoi il la raconte, à qui, et pourquoi maintenant ?
Le premier début d'une histoire n'est ni son action, ni son lieu, ni son personnage, c'est l'acte de narration, (parfois couplé à l'acte d'écriture). Ce premier mouvement du conteur. Soit l'auteur l'assume et pose cet acte (dans la sentence philosophique par exemple) et son intention, sa finalité. Soit il commence directement par l'histoire et laisse au lecteur le loisir d'en tirer ses propres conclusion (qu'il va orienter bien sûr). Mais souvent c'est au plus près de cette finalité.
Plus vous allez tenter d'écrire un roman et donc de diriger l'acte vers et pour le lecteur, plus vous allez vous éloigner du vrai début de votre histoire, car il faudra que le lecteur se représente les choses ou accroche. Donc vous allez tomber dans les artifices du début : dialogue, action, exposition ou description. Plus vous vous concentrez sur le fait de raconter l'histoire et plus vous serez proche de ce fameux début. Mettez vous à la place du conteur.
Les meilleurs incipits de la littérature sont souvent de savants mélanges de ces incipits que j'ai listé.
- Une action qui dérive en description ou en exposition (Chanson douce qui commence par "le bébé est mort" puis dérive vers la description de la scène de crime) ;
- une description qui plonge dans l'exposition ("Je suis né dans la ville d'Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, du temps des derniers chevriers." le début de la gloire de mon père par exemple avec la magnifique description des collines d'Aubagne avant de présenter sa famille),
- une sentence philosophique qui embraye sur l'exposition ou même l'action ("La mort est un processus rectiligne" incipit de la Petite Marchande de Prose juste avant que Malaussène se fasse casser la gueule !) ;
- une exposition rapide, de deux lignes avant de lancer l'action qui sera presque contemplative, descriptive, on ne sait plus ("On est d'abord loin du livre, loin de la maison. On est d'abord loin de tout. On est dans la rue.", La femme à venir de Christion Bobin, avant de se pencher sur le berceau de l'héroïne et de décrire son enfance.)
Bref, aucune règle, tout est possible et c'est à vous de vous amuser, de tester, de vous tromper, de recommencer.
J'ai rarement croisé de bons incipits dans les dialogues, efficaces oui, mais pas de mémorables au point qu'on peut les citer. Je ne dirais pas que c'est impossible, la littérature est vaste.
Cet incipit est surtout l'occasion pour vous aussi de poser cette première phrase du texte, cette première impression que vous allez donner. Il faut bien la choisir. Plus la phrase sera factuelle, plate, plus vous donnerez cette impression au lecteur. Plus vous allez lui donner du corps, de la densité, plus vous montrerez votre personnalité au lecteur, celle de votre narrateur et la votre.
Je conseille souvent aux auteurs de donner la clé de lecture dans leur incipit. Une seule phrase doit dire beaucoup, donner un maximum d'information et ça ne passe pas par le nombre de mots mais par leur choix.
Exemple avec celui de Felis Silvestris d'Anouk Lescjyck : "Maman pense que tu as froid." Cette simple phrase donne des clés de lecture complètement folles. D'abord le "Maman" qui place un langage affectif, une connivence aussi, Maman n'est pas une mère comme les autres, c'est LA mère du narrateur. Le Maman couplé au TU montre que cette mère est partagée, qu'elle est commune et place donc une parenté entre le narrateur (en l'occurence la narratrice mais aucun moyen de le savoir) et TU. Et le sens sous-entend une inquiétude, légitime ou pas ? qui prend tout l'espace, toute la place. Pourquoi ? Pourquoi, maman aurait peur que tu aies froid si tu étais là, si tu donnais des nouvelles ? Il y a donc une distance qui entre dans la phrase, une distance qui n'est pas que physique puisque la mère ne le dis pas directement à TU, c'est JE qui le fais. Et dans le même temps, le devant de la scène est occupé par la mère et TU, JE n'existe pas, elle est effacée, ce qu'elle pense ne compte pas. Non seulement JE se place en second plan mais sa première préoccupation est l'inquiétude de sa mère.
Et toute la suite du premier chapitre, comme du texte confirme cette relation dysfonctionnelle entre deux soeurs, la mère et le père. Six mots et une clé de lecture. C'est ça, selon moi, un bon incipit.
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