"La gloire de mon père" de Marcel Pagnol
Alors commencèrent les plus beaux jours de ma vie. La maison s'appelait la Bastide-Neuve, mais elle était neuve depuis bien longtemps. C'était une ancienne ferme en ruine, restaurée trente ans plus tôt par un monsieur de la ville, qui vendait des toiles de tentes, des serpillères et des balais. Mon père et mon oncle lui payaient un loyer de 80 francs par an, que leurs femmes trouvaient un peu exagéré. Mais la maison avait l'air d'une villa - et il y avait "l'eau à la pile" : c'est à dire que l'audacieux marchand de balais avait fait construire une grande citerne, accolée au dos du bâtiment, aussi large et presque aussi haute que lui : il suffisait d'ouvrir un robinet de cuivre, placé au-dessus de l'évier, pour voir couler une eau limpide et fraîche...
C'était un luxe extraordinaire, et je ne compris que plus tard le miracle de ce robinet : depuis la fontaine du village jusqu'aux lointains sommets de l'Etoile, c'était le pays de la soif : sur vingt kilomères, on ne rencontrait qu'une douzaine de puits (dont la plupart étaient secs à partir du mois de mai) et trois ou quatre "sources" ; c'est à dire qu'au fond d'une petite grotte, une fente de roc pleurait en silence dans une barbe de mousse.
C'est pourquoi quand une paysanne venait nous apporter des oeufs ou des pois chiches, et qu'elle entrait dans la cuisine, elle regardait en hochant la tête, l'étincelant Robinet du Progrès.
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