Texte 1 : merci @euge
Extrait 1 :
C'était l'un de nos premiers rendez-vous. Nous avions prévu le bon vieux classique cinéma/bar, une recette qui a fait ses preuves. Je n'avais pas eu le temps de repasser par la maison en sortant du boulot, mais cela n'avait aucune importance, et pour une fois, au moins, je serai à l'heure. Je me suis donc installée à une terrasse face au cinéma et j'ai allumé une cigarette en l'attendant. Il n'a pas beaucoup tardé : j'ai reconnu sa démarche un peu chaloupé du bout de la rue. Les mains dans les poches de son vieux treillis et le sac balancé sur l'épaule, il marchait rapidement avec l'attitude du baroudeur. La même démarche qu'il avait déjà la dernière fois que nous nous étions vu dix ans auparavant. J'ai écrasé ma cigarette et je me suis redressée en lui souriant. Il a légèrement ralenti l'allure quand il m'a vu puis il a bifurqué vers moi en me rendant mon sourire. Tout est en coin chez lui : le sourire qui remonte vers la droite alors que son sourcil gauche se hausse et que l'autre se fronce. Cette mimique est indescriptible, et je ne suis pas la seule qu'elle a complètement fait craquer. Je suis sûre qu'il a passé des heures à s'entraîner, bien conscient de son effet ! Je me suis levée à son approche et il m'a dit bonjour en m'embrassant doucement quelque part entre la joue et la bouche. Sa barbe me piquait agréablement les lèvres. J'ai bafouillé légèrement et il s'est assis en face de moi. Sous son froncement de sourcils, ses yeux bleus étaient toujours aussi séducteurs. Il n'avait pas beaucoup changé en dix ans : la moustache et la barbe un peu plus drue, les muscles un peu plus développés, mais toujours la même allure sauvage, presque bestiale, de l'homme qui rêve d'une vie simple dans les montagnes les plus reculées, avec sa femme et ses gosses. Ce coup-ci sera peut-être le bon.
Extrait 2 :
En regardant attentivement cette petite fille qui me tend un bouquet de roses et un billet, un malaise s'insinue en moi. Je n'ai jamais vu cette gamine, mais elle m'est désagréablement familière. Ses yeux marron-verts me fixent derrière ses lunettes rondes, et son air sérieux semble être quelque chose d'habituel chez elle. Je ne l'imagine ni rire, ni sourire, ce qui est particulièrement étrange pour une enfant de cinq ou six ans. Ses lèvres restent collées l'une à l'autre, sans expression. Tandis que je prends ses fleurs, elle se met à tripoter sa longue tresse brune, absorbée par la contemplation de la tête de nounours au bout de son élastique à cheveux. En réorganisant les roses, je prends le temps de scruter cette petite qui ressemble beaucoup trop à une adulte. Trop sage, trop calme, trop statique. Et trop familière. Son regard curieux et vif, je le connais, j'en suis sûre. Tout comme la forme de ce nez, légèrement en trompette. Cette manière de danser d'un pied sur l'autre parce que le temps est trop long et qu'elle s'impatiente, je l'ai déjà vu. Mais où ? En cherchant mon sécateur dans l'atelier pour égaliser les tiges et pouvoir emballer le bouquet, et j'entends des pas se diriger vers la petite fille. Une démarche d'homme ; sûrement le père. Le murmure d'une conversation se fait de plus en plus audible à mesure que je reviens vers eux, jusqu'à entendre la voix de l'enfant. Sa manière de parler est étonnante, posée. Elle prononce ses mots très distinctement et, l'on pourrait presque dire qu'elle est hautaine. C'est amusant d'entendre cette manière de parler chez une gamine. Je tends les roses devant moi et mon sourire s'efface un quart de seconde avant que je ne me trouve face à la petite fille et son papa. Je savais où j'avais déjà entendu cette intonation, ce timbre de voix. J'avais déjà vu ce regard, mais derrière d'autres lunettes. Ce n'est pas la gamine dont je me souviens, c'est de son père.
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