L'Ascenseur
Après une journée épuisante et une soirée enivrante, Helaïr était rentré tard à son appartement, situé au sixième étage d’un immeuble entre deux quartiers. Au moment d’aller récupérer son courrier du rez-de-chaussé – chose qu’il avait oublié de faire en montant, mais qui était nécessaire car il attendait des timbres rares pour sa collection – il s’aperçut que que l’ascenseur était bloqué au sixième étage, sans que la porte ne s’ouvre ni l’ascenseur ne se déplace. La lumière jaune claire passait entre les deux pans de la porte en métal pour éclairer d’une raie la cage d’escalier sombre et totalement silencieuse. Helaïr posait sa main contre la parois. Il était monté avec cet ascenseur, mais désormais, celui-ci était figé là. Il pensa qu’il pourrait descendre et grimper les six étages sans difficultés malgré la fatigue, et qu’il avait échappé de peu à rester bloqué dans l’ascenseur qui ne répondait plus aux appels. Helaïr ne se souvenait plus de si quelqu’un d’autre était monté dans l’ascenseur après qu’il l’ait quitté, et pour lever le doute, il s’adressait à la porte.
« Est-ce qu’il y a quelqu’un à l’intérieur ? Est-ce qu’il vous faut de l’aide ? » demandait timidement Helaïr en espérant ne pas nuire au sommeil de sa voisine avec qui il entretenait une relation cordiale et qui se levait tôt tous les matin. Helaïr riant un peu pensa que si quelqu’un avait été bloqué dedans à l’instant, celui-ci aurait été plus bruyant et que de toute façon, l’immeuble était désert passé minuit. Pourtant, Helaïr insistait, c’était peut-être quelqu’un qui avait un malaise et qui avait besoin d’aide, ou quelqu’un de saoul qui s’apprêtait à une nuit difficile. Alors Helaïr frappait plus fort en disant plus durement : « Sortez de là, vous ne pouvez pas rester ici. » C’était peut-être même l’enfermé qui avait bloqué l’ascenseur par erreur et qui n’attendait que d’être réveillé pour la débloquer, peut-être avait il été même conscient et l’inconnu avait il même cherché un abris pour la nuit. Helaïr ne se souvenait pas exactement de son retour dans l’immeuble, mais il était sûr que quelqu’un aurait pu profiter de l’occasion pour se faufiler derrière lui à son insu. « Sortez de là ! Ça va mal aller ! » criait Helaïr dans la fissure qui séparait les deux pans de la porte de l’ascenseur. Quelque soit la personne dont il s’agissait, un Fred, un Arnaud ou un Claude, on ne pouvait pas ainsi se moquer de Helaïr. Il pensa un instant à la voisine, mais c’était l’inconnu qui était responsable pour le bruit car il n’avait pas répondu à ses appels. Tant bien que même il n’y aurait personne, on ne pourrait pas permettre l’éventualité de laisser un vagabond saoul ou un pensionnaire avec un malaise dans l’ascenseur, ce que comprendrait parfaitement la voisine si elle venait à être réveillée. Elle avait de toute façon probablement le sommeil lourd car elle ne s’était jamais plainte des fêtes dans l’appartement de Helaïr.
« Je vais déverrouiller la porte. » annonçait Helaïr en tambourinant par saccades sur la porte de l’ascenseur. Il n’y pensait pas sérieusement, mais sûrement que l’éventuel inopportun se serait rendu s’il avait entendu les menaces. Soudain, Helaïr pensa à ses timbres qui pouvait arriver le lendemain et que pourrait s’approprier l’inconnu. Les boîtes aux lettres étaient fragiles, et il en allait de même pour la porte de son propre appartement. La porte du rez-de-chaussé était le seul rempart contre les cambrioleurs du quartiers et il était le devoir de Helaïr, qui était toujours le dernier couché, de s’assurer que tous pouvaient dormir en sécurité. Il était de plus clair qu’il n’y avait personne de bonne volonté à l’intérieur. « Je vais déverrouiller la porte, répétait Helaïr, et si vous êtes là, je ne sais pas ce qui peut vous arriver. » La porte refusait pourtant de se laisser ouvrir, malgré la force du locataire qui bondissant à l’étage du dessous, puis à l’étage du dessus pour appeler l’ascenseur dans l’espoir de le débloquer. Mais les boutons s’allumaient dans le vide et Helaïr n’entendait toujours rien au travers du pan de métal. «Je vais défoncer la porte, menaçait Helaïr pour se donner une consistance suite à son échec, et j’espère que tu n’es pas là, qui que tu sois, Fred, Arnaud ou Claude, car sinon, cela va mal se passer pour toi ! » Helaïr ne pouvait pas retourner se coucher avec ce doute, et il manquait cruellement de sommeil. Il continuait ses menaces en calculant la solidité de la porte : « Si j’étais toi, Claude, je m’étranglerais déjà, car je ne voudrais pas que tu m’arrives entre les doigts dans cet état. » Helaïr pouvait se permettre de payer le remplacement de l’ascenseur, il avait les moyens. Il pouvait remplacer ce vieil appareil en ruine qu’il aurait fallu de toute manière changer. Tout le monde lui serait reconnaissant de faire profiter la communauté de sa vigilance et de son argent.
« Claude, étrangle-toi toi-même ! Tu me feras gagner du temps ! » Il frappait d’un grand coup dans la porte, un coup de pied dont il était fier, et la porte s’enfonçait en se déformant. Il marqua un temps d’effroi face à sa propre violence, mais se rengorgeant de sa force exacerbée par la résistance de la porte, et constatant qu’il ne pouvait de toute manière plus reculer, il frappait à nouveau d’un coup plus violent, faisant résonner tout l’immeuble au travers de la cage de l’ascenseur. Avec rage, et alors que d’innombrables pensées se pressaient dans sa tête – la voisine, l’argent, le propriétaire et surtout Claude, le responsable de tout ça – il frappait encore et encore, maladroitement, s’accrochant au cadre et proférant des menaces de mort et des jurons.
En arrivant dans l’ascenseur, Helaïr put voir le visage immonde d’une silhouette menaçante qui s’y tenait. Il brandissait son poing et se ruait gauchement contre l’intrus mais tombait contre le miroir du fond de l’ascenseur. Dans la lumière, il n’y avait que lui, lui et son propre reflet.
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