Chapitre 4
C'est ainsi que j'appris le décès de mon époux. Qu'on ne me demande pas quels furent les mots employés : je ne me les rappelle pas. Seul le mot "accident" frappa mon oreille. Je me souviens aussi de cette stupeur qui me cloua malgré tout littéralement sur place. Je me revois assise sur la table du salon, fixant stupidement l'une des fleurs rouges du tapis en buvant à petites gorgées le verre d'eau que le plus jeune des gendarmes m'avait complaisamment servi, craignant sans doute que je fasse un malaise.
Les jours suivants se passèrent en formalités. Je reçus maints appels téléphoniques. On me demandait comment cela avait bien pu arriver. Je répétais la même histoire, ce qui m'avait été dit : Serge devait rouler trop vite, à son habitude. En abordant le virage, il avait perdu le contrôle de la moto, qui avait terminé sa course en contrebas, contre l'un des saules qui bordaient la rivière.
Il fallait préparer les obsèques, ce que je fis du mieux que je le pus malgré l'étrange état où je me trouvais. Le mercredi suivant, nous quittions à peine l'église que l'orage éclata avec violence. Au cimetière, la pluie battante dispersa rapidement la foule qui s'était réunie. Mon mari avait été un notable : j'en pris pleinement conscience à cette occasion. Il n'avait guère d'amis : aucun ne s'attarda.
Je rentrai à la maison et me retrouvai seule. C'était terminé, pensai-je. J'ôtai mes chaussures, changeai mon tailleur contre un jogging défraîchi et m'assis sur le lit. "Notre lit" ! Je frissonnai à cette pensée et je me relevai précipitamment. Je ne dormirai plus ici, sous le regard inquiétant d'Arlequin.
Je montai à l'étage et ouvris la porte d'un réduit mansardé situé sous les combles, et où je m'étais maintes fois réfugiée. Après un ménage grossier, je m'installai avec un livre sur la couche étroite. Jusque tard dans la nuit, je lus ce roman de Fred Vargas dont le style me ravissait. Personne ne m'interromprait, et j'étais libre de me lever tard le lendemain.
Les vacances venaient de commencer.
Pendant une dizaine de jours, je fis ce que je voulus, lisant, marchant, allant et venant à ma guise, déjeûnant de plats en barquettes ou de sandwichs, savourant une liberté désoeuvrée dont le goût m'était jusque là inconnu.
Je m'en souviendrai toujours, ce fut au retour d'une séance de cinéma que je trouvai, sur mon répondeur, le message sibyllin m'intimant de me rendre à la convocation de la police judiciaire le lendemain à 10 h 15 précises. Je passai une nuit blanche.
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