Chapitre 14

6 minutes de lecture

Paris, dimanche 11 février 2024

 Mon crâne me faisait un mal de chien. Il me fallut déployer des efforts considérables pour ne serait-ce qu’ouvrir les yeux. Efforts vains, car ma vue troublée ne me permettait en rien de distinguer l’endroit où je me trouvais. Tout juste savais-je que j’étais allongé sur un lit. Et étant donné l’entêtante odeur de javel, il y avait fort à parier que ce lit était un lit d’hôpital.

 A défaut d’avoir une image nette et précise de mon environnement immédiat, je tentai de rassembler mes souvenirs embrumés de la veille : la soirée au château de Louis ; les costumes belle-époque ; Chloé avec Louis ; l’agent de sécurité ; Chloé encore, à moitié nue ; la bagarre avec Louis ; l’arrivée des trois agents de sécurité.

 Je n’avais aucun souvenir de ce qui avait suivi. Que m’était-il arrivé ? Et plus important encore, qu’était-il arrivé à Chloé ? Il fallait que je le découvre. Sans perdre plus de temps.

 Je commençai à m’agiter, à essayer de me lever, mais des entraves au poignet m’empêchaient de quitter mon lit. Je m’agitais maintenant franchement, ne comprenant pas pourquoi j’étais ainsi attaché à ce lit. Et ce mal de crâne qui n’en finissait pas. A force de contorsions, ma main droite finit par tomber sur ce qui semblait être une télécommande. J’appuyai frénétiquement sur l’unique bouton, mais rien ne se produisit.

 Au bout de ce qui me parut une éternité, quelqu'un finit par débarquer dans la chambre. De sa personne, je ne discernais qu'une silhouette aux contours indéfinis.

 — Calmez-vous, monsieur, déclara une voix féminine.

 — Qu’est-ce qu’il m’arrive ?! m’écriai-je.

 — Vous avez subi un violent choc à la tête. On doit vous garder pour surveiller l’évolution de votre commotion cérébrale.

 — Je ne parle pas de ça, coupai-je péniblement. Pourquoi est-ce que je suis attaché sur mon lit ?!

 — Je ne suis pas autorisée à en parler avec vous. Quelqu’un va bientôt arriver pour vous expliquer tout ça en détail.

 — Comment ça, « pas autorisée » ? Dites-moi ce qu’il se passe !!! fulminai-je.

 Sans rien répondre, la silhouette floue quitta la pièce.

 Vingt minutes d’attente insupportable plus tard, une autre silhouette, plus massive celle-ci, s’invita dans ma chambre.

 — Bonjour monsieur, salua une voix grave et masculine. Lieutenant de police Vautrin, brigade criminelle.

 — Mais bon sang, allez-vous me dire ce que je fais attaché ici ?! tonnai-je.

 — Je vais tout vous expliquer. Mais avant, j’aurais quelques questions à vous poser.

 Mon crâne était sur le point d’exploser et il fallait encore que je réponde à ses satanées questions. Le lieutenant de police poursuivit :

 — Pourquoi étiez-vous chez M. de Morny hier soir ?

 — Il avait organisé une soirée. J’étais loin d’être le seul présent là-bas, vous savez.

 — Et vous êtes pourtant le seul qui m’intéresse, répliqua-t-il. Il s’avère en effet que vous étiez la seule personne présente qui n’était pas invitée. Alors, je réitère ma question : que faisiez-vous hier soir au domicile de M. de Morny ?

 — Il fallait que je voie Chloé.

 — Vous parlez de Mlle Tousignant ?

 — Oui.

 Ma vision se faisait peu à peu plus précise, je pouvais maintenant évaluer sommairement mon interlocuteur : dans les 40 ou 50 ans, assez corpulent, les cheveux bruns plus ou moins épars.

 — Connaissez-vous Mlle Tousignant depuis longtemps ?

 — Euh, oui, nous sommes dans le même atelier aux Beaux-Arts. Mais pourquoi vous me questionnez sur elle ?

 Je fus soudain saisi d’angoisse :

 — Mon Dieu, il lui est arrivé quelque chose ?!

 — Ça, c’est à vous de me le dire, répondit l’inspecteur laconiquement.

 — Comment ? Je ne comprends pas...

 — Est-il vrai que vous avez suivi Mlle Tousignant dans la rue ces dernières semaines ?

 — Quoi ?! Mais quel rapport avec la soirée d’hier ?

 — Répondez à la question. Avez-vous, oui ou non, suivi Mlle Tousignant dans la rue ?

 Mon esprit embrumé et la douleur qui me martelait la tête m’empêchaient de réfléchir comme je l’aurais voulu. Pourquoi cette question ? De quoi comptait-il m’accuser ? On ne menotte pas quelqu’un à son lit parce qu’il a potentiellement suivi une autre personne dans la rue.

 — Non, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

 — C’est étrange, parce que nous avons en notre possession une vidéo de vous en train de suivre Mlle Tousignant dans la rue...

 Des gouttes de sueur commencèrent à perler au niveau de mes tempes, trahissant mon stress grandissant.

 — Où voulez-vous en venir ?

 — Que vouliez-vous à Mlle Tousignant hier soir ?

 — Lui parler.

 — C’est tout ? Lui parler et c’est tout ? Vous auriez pu attendre le lendemain...

 — Je ne suis pas d’un naturel patient, répliquai-je passablement irrité.

 — Oui, c’est ce que me confirment les cachets de GHB retrouvés dans votre poche. Pouvez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet ?

 La drogue du violeur ?? Dans ma poche ?! Je nageais en plein délire ! L’infirmière avait dû m’injecter une dose trop forte de morphine et j’étais certainement en train d’halluciner. J’allais bientôt me réveiller de ce cauchemar. Concentre-toi Nathan ! Emerge !

 Mais rien ne se passa. L’inspecteur se dressait toujours devant moi, guettant ma réponse. Mais que lui répondre ? Morphine, drogue, GHB, violeur... Ces mots s’entrechoquaient dans ma tête sans que je ne puisse dresser un tableau clair de la situation.

 — Je n’ai rien à voir avec ça, m’indignai-je. Je vous jure que je ne sais pas comment ces cachets se sont retrouvés dans ma poche !

 — Vous niez comme vous avez nié avoir suivi Mlle Tousignant ?

 — Oui... Enfin, non !!!

 Je n’étais clairement pas en état de me défendre, mais il fallait que je me reprenne.

 — Non, repris-je. J’avoue avoir suivi Mlle Tousignant, mais je n’ai jamais, jamais acheté de drogue.

 — Alors comment ces comprimés se sont-ils retrouvés dans votre poche ?

 Je distinguais maintenant ses yeux. La prunelle sombre, le regard fixe, il épiait le moindre rictus, la moindre hésitation qui aurait pu me trahir.

 — Quelqu’un a dû les y mettre alors que j’étais inconscient.

 — Intéressant... Et vous avez une idée de qui aurait pu faire une telle chose ?

 Il n’y avait pas cinquante réponses possibles. Le jeu s’éclairait peu à peu.

 — Louis. C’est lui qui a dû faire ça.

 — M. de Morny, l’hôte de la soirée où vous vous êtes invité ? C’est bien de ce Louis dont on parle ?

 — Oui. Il voulait mettre Chloé dans son lit. J’ai débarqué dans sa chambre pour l’en empêcher. Une bagarre a éclaté entre lui et moi. Puis ses agents de sécurité sont arrivés et je ne me souviens plus de la suite.

 — Vous affirmez donc être intervenu alors que M. de Morny et Mlle Tousignant étaient ensemble dans la chambre de M. de Morny ?

 — C’est ça.

 — Ce n’est pourtant pas ce que rapportent les différents témoins de la scène, objecta l’inspecteur. L’un des agents de sécurité raconte vous avoir vu accompagner Mlle Tousignant à l’étage alors que celle-ci titubait. Il en a averti M. de Morny, lequel a décidé d’aller vérifier par lui-même avec trois de ses agents. Ils confirment tous vous avoir vu forcer Mlle Tousignant à se déshabiller. M. de Morny raconte ensuite avoir été le premier à s'interposer, mais vous l’auriez alors sauvagement agressé et ses agents ont dû intervenir pour vous maîtriser. Et malgré leur nombre, ils ont eu toutes les peines du monde à vous maîtriser. Vous vous seriez alors malencontreusement cogné la tête contre le rebord du lit.

 — Mais c’est faux ! Tout ce qu’ils racontent est faux ! Ils ont visiblement été payés par Louis pour raconter tout ça ! Demandez à Chloé !!!

 — C’est ce qu’on a fait. Le problème est que Mlle Tousignant a été contrôlée positive au GHB. Son témoignage porte donc à caution. Malgré tout, elle semble confirmer la version de M. de Morny et de ses agents de sécurité.

 — Ce n’est pas possible ! C’est Louis qui est derrière tout ça ! C’est lui qui a tenté de la violer !!!

 — Ce sera à un tribunal d’en juger.

 — Détachez-moi ! hurlai-je. Je dois parler à Chloé immédiatement !

 — Je ne pense pas qu’elle veuille vous adresser la parole en ce moment.

 — Mais bon sang, je n’ai rien fait ! Je suis innocent !!!

 — Sachez également que nous avons perquisitionné votre domicile ce matin même. Pouvez-vous expliquer pourquoi des dizaines de photos de Mlle Tousignant agrémentées de détails intimes étaient placardées sur l’un des murs de votre domicile ?

 — ...

 C’était la question de trop. Celle qui m’anéantit. J’avais moi-même fabriqué la corde avec laquelle on allait me pendre. Tout m’accusait, tout me désignait comme le coupable idéal. J’avais suivi Chloé pendant des semaines ; j’avais fouiné dans sa correspondance électronique ; j’avais épinglé son visage partout dans mon appartement. Un pervers sociopathe ne s’y serait pas pris autrement. Et voilà que Louis avait retourné la situation à son avantage pour me faire accuser du plus ignoble des crimes. Pis encore, il avait retourné Chloé contre moi.

 — Bien, trancha l’inspecteur. Si vous n’avez rien d’autre à ajouter, il est 10h35, je vous notifie votre placement en garde à vue pour une durée de 24 heures.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Baud007a ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0