Chapitre 21
Paris, mercredi 28 mai 2025
Jour J, 18h40
— Y a quelqu’un ?!! s’égosilla Nathan depuis la cave obscure qui lui servait de geôle.
Des pas se rapprochèrent.
— Il est réveillé. Qu’est-ce qu’on fait ? chuchota l’une des voix situées de l’autre côté de la porte en fer.
— On fait comme on a dit, lui répondit sèchement une autre voix, plus grave.
La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre et un halo de lumière artificielle aveugla Nathan. Deux ombres s’approchèrent de lui. Il sentit leurs bras le saisir au niveau des épaules, puis le traîner dans une autre pièce, plus grande celle-là. Nathan fut ensuite assis de force sur une chaise en bois à moitié dévorée par les mites. L’aveuglement du projecteur de chantier s’estompant, Nathan put enfin jauger ses geôliers. Ils étaient au nombre de trois, mais Nathan ne pouvait en détailler que deux, le troisième étant resté en retrait, dissimulé par la pénombre. Les deux qui avaient osé braver la lumière étaient de sexe masculin et devaient avoir plus ou moins le même âge que Nathan. Le premier, un jeune homme à la carrure massive, portait un tee-shirt rouge Che Guevara. Le second, plus élancé et athlétique, arborait un maillot de foot de la capitale. Le jeune au tee-shirt rouge s’approcha de Nathan et lui donna une tape sur la joue.
— Alors, bien dormi ?
Nathan ne répondit rien. Le jeune au tee-shirt rouge poursuivit :
— On a bien cru que tu te réveillerais jamais. L’autre idiot à côté de moi a mal dosé son produit anesthésiant. En même temps, c’est son père le médecin, pas lui.
Nathan se remémora la vive douleur qui s’était insinuée dans sa nuque juste avant de perdre connaissance.
— J’ai dormi combien de temps ? demanda Nathan.
— Aaah ! Il parle ! C’est un miracle ! s’exclama le jeune au tee-shirt rouge, levant les bras au ciel.
— Répondez-moi, il est quelle heure ?!
— L’heure de nous aider à quitter ce trou, répliqua le jeune redevenu subitement sérieux.
— Donnez-moi l’heure, bon sang !!!
D’habitude maître de ses émotions, Nathan sentit cette fois-ci le pourpre lui monter aux joues, signe qu’il commençait véritablement à perdre patience.
— Eh, tout doux l’ami, tempéra le jeune au tee-shirt rouge. Il est sept heures moins le quart. Tu vois ? On peut discuter calmement, je veux juste t’aider, moi.
Six heures !! Nathan était resté inconscient près de six heures ! Il ne lui restait dorénavant plus que trois heures avant le coucher du soleil et il se trouvait je ne sais où dans Paris, retenu prisonnier par un trio d’abrutis complètement écervelés.
— Laissez-moi partir immédiatement ! ordonna Nathan en s’agitant sur sa chaise. Vous n’avez pas idée des événements qui sont en train de se dérouler !
— Tu parles de la révolte en cours ? l’interrogea l’autre jeune, celui au maillot de foot.
Une révolte ? Se pouvait-il que l’opération Durandal eût été un succès, malgré le système de détection de mouvements automatisé que Nathan n’avait pas eu le temps de détruire ? Se pouvait-il que Charles et les autres aient réussi à accomplir leur mission ? Peut-être bien.
— Qu’est-ce que vous savez de cette révolte ? s’enquit Nathan sur un ton redevenu subitement neutre.
Le jeune au tee-shirt rouge reprit alors la parole :
— Nous savons qu’elle sera bientôt matée et que les américains chercheront des responsables dès demain. Et toi, tu vas être parfait dans le rôle du bouc émissaire.
— Mais vous ne comprenez donc rien ! Il n’y aura pas de demain !! Si vous ne me relâchez pas tout de suite, tout est perdu !
— Oh si, je comprends très bien. Je comprends très bien que tu aimerais aller jouer au nouveau Jean Moulin avec tes petits camarades. Mais nous, on a d’autres plans te concernant. Comme t’échanger contre un laissez-passer pour la province, par exemple.
Nathan hocha la tête de dépit :
— Vous vous trompez lourdement, je n’ai absolument aucune valeur pour les américains. Personne n’a de valeur pour eux ici…
— Permets-moi d’en douter, objecta le jeune au tee-shirt rouge. Tu vois, on vous observe depuis un moment, Antoine, mon frère et moi. On a remarqué vos allers-et-retours dans l’appartement de la rue du Général Delestraint. Le problème, c’est que vous étiez toujours trop nombreux pour qu’on tente quoi que ce soit. Alors quand on t’a repéré tout seul ce midi, on s’est dit que l’occasion était trop belle pour la laisser passer.
— Cet appartement n’est rien d’autre qu’une planque pour abriter de la marchandise de contrebande. On n’est pas des résistants, on fait juste du business, mentit Nathan.
— Ah bon ? fit mine de s’étonner le jeune au tee-shirt rouge. Dans ce cas, peux-tu nous expliquer pourquoi la marchandise de contrebande que vous conservez dans cet appartement comprend un cadavre énucléé de soldat américain ?
Nathan ne sut quoi répondre. Le jeune au tee-shirt rouge reprit :
— Oui, on est allés faire un tour dans votre planque pendant que tu piquais un somme. Et quelle ne fut pas notre surprise de découvrir un cadavre nu au milieu du salon, le visage baignant dans son propre sang. Au début, on s’est interrogés sur la raison de ce meurtre. Puis on a remarqué un léger détail sur le cadavre. Un tatouage sur son épaule droite plus exactement : « Semper Fi ». Alors moi, je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait bien vouloir dire, mais mon camarade ici présent m’a dit que c’était du latin : « Semper Fidelis », toujours fidèle. Oui, on dirait pas comme ça, mais Antoine est bien plus cultivé que ne le laisse supposer son maillot de foot. Bref, là où ça devient intéressant, c’est lorsqu’on se rend compte que cette expression est aussi la devise du corps des Marines des Etats-Unis. Hein Antoine, c’est bien ça ?
Et le jeune au maillot de foot d’acquiescer avant de laisser son camarade reprendre :
— Bref, tu vois où je veux en venir.
— Je vois surtout que vous êtes une belle bande d’enfoirés de collabos, répliqua Nathan instantanément.
— Que veux-tu, il faut bien survivre. Et si pour ça, on doit livrer aux américains un résistant français coupable d’avoir assassiné un des leurs, je vois pas où est le problème.
Avant de poursuivre, le jeune au tee-shirt rouge sortit de sa poche une petite boîte en plastique jaune :
— Mon ami et moi allons donc nous rendre au QG américain de l’île de la Cité avec cet œil et quelques polaroïds du cadavre yankee comme signes de bonne volonté de notre part, et nous négocierons ton échange contre notre liberté. Quant à toi, tu vas nous attendre bien sagement enfermé dans l’autre pièce pendant que mon frère veillera sur toi. A moins bien sûr, que tu ne disposes de certaines informations compromettantes sur le reste de ta bande. Auquel cas on pourrait peut-être revoir ta situation et livrer tes camarades aux américains en lieu et place de ta personne.
Nathan réfléchit quelques secondes, puis annonça d’un ton résigné :
— Ok.
— Ok quoi ? s’impatienta le jeune au tee-shirt rouge.
— Ok, je vais vous livrer leurs noms, souffla Nathan.
— Nous sommes tout ouïe.
— Eh bien, il y a tout d’abord notre chef, un certain…
Nathan baissa la tête et se mit à chuchoter, forçant le jeune au tee-shirt rouge à se rapprocher légèrement.
— Plus fort ! lui intima le jeune au tee-shirt rouge.
Nathan releva subitement la tête et lui cracha au visage.
— Allez-vous faire foutre, ton putain de tee-shirt anarchiste et toi !!!
Le jeune au tee-shirt rouge frappa alors Nathan au visage. Sous la violence du choc, la chaise se renversa et Nathan s’écroula au sol dans un nuage de poussière. Il en avala une bonne partie, cracha, toussa, pendant que son tortionnaire, lui, essuyait les traces d’irrévérence qui maculaient son visage.
— Hmm, c’est bien ce que je pensais, soupira le jeune au tee-shirt rouge. Bon allez, on le ramène au cachot !
Les deux jeunes attrapèrent Nathan et le jetèrent sans ménagement dans la pièce où il s’était réveillé. La seconde d’après, la porte se refermait à double tour et Nathan se retrouvait à nouveau dans les ténèbres.
— Bon, on a suffisamment perdu de temps avec lui, annonça le jeune au tee-shirt rouge. Il faut se mettre en route immédiatement. Maxime, tu restes là pendant qu’Antoine et moi, on va au QG américain. Tu n’ouvres cette porte sous aucun prétexte, compris ?
— Compris.
Puis Nathan entendit les pas des deux jeunes s’éloigner. La situation était à présent désespérée, pensa-t-il. Il ne lui restait que deux heures et demie pour se défaire de ses entraves, s’échapper d’une pièce sans fenêtre et fermée de l’extérieur, mettre hors d’état de nuire un geôlier dont il n’avait eu l’occasion d’évaluer ni la taille ni la corpulence, et traverser Paris pour retrouver Chloé. Le tout sans explosif et sans œil. La situation était cette fois plus terrible encore que lorsqu’il était arrivé à Saint-Pétersbourg, il y a de cela deux ans.
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