Chapitre 25

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St-Pétersbourg, samedi 24 juin 2023

 « C’est donc ça la mort ? », songeai-je à haute voix : une chaude sensation de flotter dans une atmosphère cotonneuse, nimbée de lumière.

 — Je ne suis pas sûre de bien comprendre le français, me répondit en russe une voix féminine.

 Mon corps ne répondait que très imparfaitement à mes injonctions et il me fallut un temps infini pour arriver à tourner la tête en direction de la voix qui venait de s’adresser à moi.

 — Vous devriez éviter de bouger, vous êtes encore très faible.

 Cette voix, douce et slave, provenait d’une charmante infirmière russe, dans la trentaine, les cheveux blonds attachés en arrière. Elle était occupée à remplacer ma perfusion.

 — Pouvez-vous m’expliquer pourquoi je me sens si bien alors que je suis quasiment incapable de bouger ?

 — La morphine qu’on vous injecte toutes les heures. Elle masque la douleur.

 Je comprenais mieux la sensation de flotter que je ressentais.

 — Très bien, mais qu’est-ce que je fais là ?

 Ma mémoire me faisait défaut. Mon dernier souvenir me ramenait aux bords de la Neva. J’étais seul, assis sur un banc, occupé à attendre la mort. Ensuite, plus rien.

 — Tout ce que je sais, c’est qu’on vous a repêché dans le fleuve. Les passants qui vous ont secouru ont cru que vous étiez mort. Vous ne respiriez plus et aviez perdu beaucoup de sang.

 — Du sang ?

 — Vous avez reçu plusieurs coups de couteau à l’estomac. Vous ne vous rappelez pas de vos agresseurs ?

 — Non…

 — Ça ne va pas aider à les retrouver. Ceux qui vous ont fait ça voulaient vous voir mort, assurément.

 Je repensai à Anton et à ses hommes de main. Ils avaient finalement réussi à me retrouver.

 — C’est donc un miracle si je suis encore en vie, ironisai-je.

 — Je ne crois pas aux miracles, jeune homme, je crois aux hommes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que votre volonté de vivre est sans commune mesure. Beaucoup auraient déclaré forfait et sombré au fond du fleuve. Mais pas vous. Vous vous êtes battu pour vivre.

 « Je me suis battu pour vivre ? », moi ? Moi qui, il y a encore peu, voulais mourir ? Moi qui avais perdu le goût de vivre, qui m’étais dégoûté de moi-même ? J’aurais eu cette pulsion de vie au moment de mourir ? Oui. Et je la sentais encore en moi en ce moment même. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas ressenti cette sensation de plénitude, cette paix intérieure, celle-là même qui redonne des couleurs au monde extérieur.

 — Vous semblez heureux, me fit remarquer l’infirmière.

 — C’est peut-être parce que je le suis réellement.

 — Après ce que vous venez de traverser, vous restez optimiste. C’est à la fois admirable et en même temps assez inhabituel...

 — Je suis en vie, c’est tout ce qui compte. Il faut traverser l’hiver pour savoir apprécier le printemps.

 Elle esquissa un sourire.

 — Très joli proverbe. D’où est-ce que ça vient ?

 — Je n’en sais rien, je crois que ça m’est venu comme ça.

 — Bien, il va falloir vous reposer maintenant. Vous êtes encore très faible, vous sortez tout juste de trois jours de coma et vos blessures restent profondes.

 — Trois jours ?!

 — Oui, trois jours. Nous sommes samedi et on vous a retrouvé dans la nuit de mercredi à jeudi.

 — Est-ce que vous avez retrouvé mes papiers d’identité sur moi ? m’inquiétai-je subitement.

 — Euh, attendez.

 Elle fit quelques pas pour s’emparer de la feuille de soin accrochée au bout de mon lit et la parcourut des yeux :

 — Si j’en crois votre dossier médical, vous vous appelez Nathan, vous êtes né le 27 juin 2001 et vous êtes français, donc oui, je pense qu’on a dû retrouver vos papiers sur vous.

 Trois jours s’étaient donc écoulés depuis que les sbires d’Anton avaient tenté de me tuer. Les urgentistes avaient retrouvé mes papiers sur moi ce soir-là et m’avaient admis à l’hôpital sous mon véritable nom. Et pourtant j’étais toujours en vie. Incompréhensible. A moins que… Oui, c’est ça : Anton avait dû me croire mort en balançant mon corps dans le fleuve et n’a pas cru bon de continuer les recherches.

 Je poussai un soupir de soulagement. Anton me pensait mort. J’étais enfin libre de quitter ce pays et de rentrer chez moi.

 — Dans combien de jours pensez-vous que je serai capable de quitter cet hôpital ?

 — Il vaudrait mieux que vous demandiez au médecin. Il va bientôt passer vous voir.

 — Mais environ ?

 — Je dirais : pas avant une semaine. Et encore, deux seraient certainement plus sages. Pourquoi ? Vous avez des projets urgents ?

 — Je pense rentrer en France et reprendre mes études.

 — Je comprends, après ce que vous avez vécu, beaucoup voudraient rentrer chez eux et retrouver leurs proches. Vous voulez étudier quel domaine, si je ne suis pas trop indiscrète ?

 — Les Beaux-Arts. La peinture plus particulièrement.

 — Vous peignez ?

 — Non. Je n’ai même jamais touché un pinceau de ma vie.

 — Et vous voulez étudier les Beaux-Arts ? C’est fantastique ! Je dis toujours qu’il n’est jamais trop tard pour trouver sa vocation. Si vous êtes sûr de le vouloir, alors foncez.

 Je le voulais. Je ressentais en moi cette irrépressible envie d’aller à Paris, d’y étudier les Beaux-Arts et de recommencer à vivre. Comme un signe du destin, cette nuit où j’avais manqué de mourir avait redonné un but à ma vie. Oui, je retournerais chez moi, je foulerais à nouveau les trottoirs de la Ville Lumière et j’y étudierais la peinture. Et peu importe les moyens, ne comptait plus que la fin. Une fin qui prenait corps aux Beaux-Arts de Paris.

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