Alexandre se lève précipitamment, manque de trébucher, se met face au miroir.

Il malaxe sa poitrine ( il avait toujours eu envie de le faire ) soulève son bas de pyjama du bout des doigts.

Il touche chaque recoin de son nouveau faciès, s'approche au maximum du miroir, recule et crie :

« Oh putain de $!%?§$ »

Il tente de reprendre ses esprits et regarde autour de lui. Des meubles Louis XIV encadre chaque fenêtre au style classique et aux bordures dorées, le plafond de la chambre atteint les quatre mètres de hauteur et un grand lustre en cristal surplomb la pièce.

Il se tourne vers le lit. Le drap et les oreillers du baldaquin sont faits de soie rose fuchsia, les couvertures de taffetas émeraude.

Sur une petite table de nuit, un journal intime girly. La couverture du livre est remplie de photos d'elle et d'un homme à ses côtés.

Sur certaines, elle l'embrasse langoureusement, les mains posés délicatement sur son cou, sur d'autres elle l'enlace amoureusement. Une écriture manuscrite encadre chacune des photos du couple :

« À mon grand brun ténébreux aux yeux de cieux.»

« Je t'aime tellement »

« 11/11/2020, meilleure soirée de ma vie »

« À refaire !!! »

« On est tellement beaux »

Alexandre, amusé, se dit qu'elle a dû se faire larguer. ( Après tout, elle a l'air trop collante cette fille ).

D'un naturel curieux, il ouvre le journal intime.

La première page est une feuille imprimée à caractère typographique. On y retrouve des caractéristiques à remplir, les questions/ réponses banales, des traits de caractère, la date de naissance :

PRÉNOM : Clémentine, mais je préfère Clé, parce que je suis la clé de ton cœur baby.

NOM : Tu ne le sauras pas.

DATE DE NAISSANCE : 23/10/2003

SIGNE ASTRO : SCORPION

CELIB OU EN COUPLE : En couple avec Thomas.

En amour plutôt possessif ou plutôt je m'en foutiste ? : Plutôt je m’en foutiste.

Qui sont tes meilleures amies ? : Margaux et Clémence.

As-tu une pire ennemie : Céline

Pourquoi la détestes-tu ? : Elle s'approche trop de Thomas.

Quelles sont tes qualités ? : Je suis intelligente, cultivée, belle. On dit souvent que je suis la star du lycée.

Tes défauts ? : Je suis peut-être un peu possessive et impulsive.

La page suivante est encadrée de dessins faits au stylo à plume, des marguerites encadrant chaque marge, des bulles d'encouragements pour les examens à venir.

06/09/2020

Chère journal

Je t'avoue que j'ai un peu la frousse de la rentrée. Tu sais, même si on fréquente la même école depuis l'enfance Margaux, Clémence et moi, j'ai un peu peur que l'on ne se retrouve pas dans la même classe.

Tu sais Margaux, c'est vraiment une fille adorable. Je l'aime trop. Elle est un peu timide, un peu renfermée sur elle-même, elle marche dans les couloirs en regardant vers le sol... mais tu sais, je me dis qu'avec le temps elle va s'affirmer.

Clémence, elle, elle est parfois difficile à approcher. Parfois, elle me regarde avec un grand sourire joyeux et d'autres fois, j'ai l'impression qu'elle me hait. Ça lui passera, je pense qu'elle est un peu jalouse de ma relation avec Thomas, mais je ne lui en veux pas.

Je les aime tellement, si tu savais. J'espère qu'on restera amis jusqu'à la fin des temps.

Je m'imagine déjà à leurs mariages, apportant un bouquet de fleurs en tant que demoiselle d'honneur, tenant leurs robes blanches derrière elles. Aaaah... si tu savais à quel point j'attends ce futur si beau !

Ce futur où je serais leur demoiselle d'honneur puis leur marraine, accueillant dans mes bras leurs premiers nés.

Les discussions tard le soir en sortant du boulot, un verre de Cosmopolitan à la main.

Une musique de jazz en fond sonore, Thomas qui serait encore en retard et qui m'embrasserait avant de rejoindre la conversation et de dire quelque chose comme :

« Ohlalala vous et vos conversations de filles alors !»

Je m'éparpille, mais j'ai tellement hâte que ce futur arrive. Pour nous trois, pour notre si belle amitié.

Je vous aime tellement les filles.

Alexandre ne peut s'empêcher de grimacer. Cette fille est donc au lycée et lui, il a vingt-sept ans. Il est enfermé dans ce corps qui n'est plus le sien et il va devoir recommencer le lycée. Un lycée privé, lui qui a vécu dans un lycée public.

Il va devoir incarner une fille mielleuse à souhait ( dans quelle merde je me suis fourré ! ) lui qui s'est fait expulser du lycée en seconde après avoir frappé l'un de ses professeurs après qu'il ait dit que son père avait mérité sa mort.

Il tourne une autre page du journal intime.

07/09/2020

Cher journal,

Je ne sais pas si tu te rends compte, mais je ne suis pas dans la classe de Margaux et Clémence ! J'ai passé la journée à pleurer, je t'écris avec les larmes aux yeux. Même le chocolat ne suffit pas à éteindre ma tristesse.

J'ai au moins un petit réconfort... Thomas est dans la même classe que moi.

Mais j'ai terriblement peur... Céline est aussi dans la même classe et je les vois se rapprocher et ils sont toujours placés l'un à côté de l'autre, Thomas n'arrête pas de m'assurer qu'il ne se passe rien entre eux, tu penses que je devrais lui faire confiance ? Tout se passe bien entre nous, je le sais.

Il m'a encore apporté des macarons au jasmin ce matin, avant le début des cours.

Alexandre grimace encore ( c'est vrai que son père lui en a ramené ce matin, je vais devoir bouffer ce truc dégueulasse...)

Il tourne encore la page, à la recherche d'autres détails sur la fille, sur cette fameuse Clémentine dont il occupe le corps dorénavant.

16/09/2020

Cher journal,

Je savais que je n'aurais pas dû m'inquiéter. Je passe vraiment une très belle année avec Thomas. À chaque fin de cours, on s'attend, on s'embrasse. On a même été élu le couple le plus mignon du lycée, tu te rends compte ?

J'ai plus trop de nouvelles de Margaux et Clémence, j'ai l'impression qu'elles m'évitent en ce moment.

Je ne sais pas pourquoi. Mais ça va le leur passer, je vais les inviter à dîner. C'est bientôt l'anniversaire de Margaux en plus, le vingt-cinq septembre exactement.

Né sous le signe de la Balance, ça lui ressemble tellement bien, elle qui est si docile, si indécise, si loin des conflits.

Je pense que je vais lui offrir le nouveau sac de Michael Kors, tu sais celui qui coûte quatre cents euros ?

Après tout, je ne peux rien lui refuser.

25/09/2020

Cher journal,

MARGAUX A REFUSÉE MON CADEAU ! J'ai payé quatre cents euros un sac que j'ai maintenant en double, je ne sais pas si tu te rends compte ? Clémence m'a encore esquivé ce matin, je ne comprends pas...

Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Et Thomas qui répond de moins en moins à mes messages, qui souffle quand je suis avec lui, qui est de moins en moins câlin...

Hier, j'ai mis mon ensemble sexy rouge, tu sais, celui que j'ai acheté à Victoria Secrets...

J'avais mon peignoir en satin par-dessus, des chaussures Jimmy Choo, mon parfum Calvin Klein, je me suis déplacé avec la Lamborghini de papa exprès...

Eh bah tu sais quoi ?

Il m'a repoussé.

Il a dit qu'il était fatigué. MAIS FATIGUÉ DE QUOI AU JUSTE ?

Avant on le faisait tous les jours, on se cachait dans les toilettes, je m'assurais toujours qu'il soit complètement comblé à ce niveau-là. Est-ce que j'ai grossi ? Je suis devenue laide à leurs yeux ?

Pourquoi suis-je si seule ?

Et cette fille-là, l'autre, Céline qui me regarde en classe avec son sourire faussement gentil. Tout le monde l'aime. Elle est studieuse, elle est bavarde. Elle s'entend bien avec tous les mecs parce que comme par hasard mademoiselle s'y connait en comics, Star Wars, Seigneur des anneaux et tout le tintouin.

Je n'arrive pas à la blairer.

Je ne peux pas.

Je ne comprends pas comment les gens peuvent autant aimer une fille aussi fausse...

Alexandre ferme le journal intime, il en a eu assez pour aujourd'hui. Il doit se doucher (découvrir les secrets féminins avec le pommeau de douche aussi) et attendre les invités.

Il entend encore crier le père (enfin son père maintenant, du coup) en bas.

Se préparer, trouver un bandage pour son bras dans la salle de bain, mettre des manches longues et répéter devant la glace son rôle de fille fleur bleue et capricieuse. Il se regarde une dernière fois dans le miroir de la commode (ça va le faire) ouvre machinalement l'un des tiroirs du haut, prends des habits, referme de la même façon.

Un claquement sec retentit, une démarche beaucoup trop masculine, des pas assuré, Alexandre ne sait décidément pas dans quel merdier il s'est fourré.