Chapitre 2
Le sous-marin fit surface à quelques centaines de mètres de la côte. Son écusson, une femme vêtue de soie écarlate et chevauchant un dragon à trois têtes, semblait illuminé par la pleine lune lorsque les trois hommes montèrent sur le pont.
Le premier de ces hommes était le Capitaine Bernhard Hammerschmidt. Il observait la côte à la longue vue. Le second portait un uniforme d'officier sous-marinier semblable à celui du capitaine et le troisième était un petit homme basané en costume à carreaux dont la présence en ces lieux paraissait incongrue.
— Là-bas capitaine, dit l'officier.
— Bravo Monsieur Seiddler, vous avez l'oeil. répondit le Capitaine Hammerschmidt.
Un flash lumineux provenant de la côte venait d'attirer leur attention. Hammerschmidt attendit que le lieutenant confirme d'un hochement de tête qu'il s'agissait bien du signal convenu, puis il s'adressa au passager.
— Votre taxi ne devrait pas tarder, Signore Barbo, y'a-t-il autre chose pour votre service ?
— Je vous sens légèrement ironique, capitaine, répondit le passager.
— Pourquoi le serais-je, voyons ? Je vous ai laissé ma cabine pour que vous puissiez "travailler" pendant le voyage, nous sommes passés à proximité d'un convoi britannique sans l'attaquer pour ne pas mettre en danger votre précieuse existence et je dois encore vous fournir deux membres d'équipage pour votre escapade nocturne. Tout va donc pour le mieux.
— Et vous en oubliez, ajouta le signore Barbo. Savez-vous que vos hommes me surnomment "le sorcier juif" quand ils pensent que je ne les entends pas ? Par moment, j'ai l'impression qu'ils ne se rendent pas compte que nous sommes dans le même camp, et j'ignore ce que vous en pensez.
— Mes hommes ont une excuse répondit le capitaine, les Italiens les ont beaucoup déçus en Afrique du Nord, il n'attendent rien d'eux dans l'Atlantique Nord et votre apparence ne fait rien pour les rassurer. La faute en revient à votre Duce qui s'est montré un bien faible allié.
— Il a commis beaucoup d'erreur, renchérit Barbo. Mais vous ignorez la pire de toutes: il a chassé d'Italie le Mage Aleister, celui qui m'a tout appris et dont la science nous permettra finalement de gagner cette guerre, par mon intermédiaire et avec votre aide bien sûr. Notre foi soulèvera des montagnes et ces montagnes écraseront nos ennemis.
— Vous oubliez une chose, Signore Barbo, ni moi ni mes hommes n'avons foi en la sorcellerie, et cela ne changera pas tant que vous n'aurez pas prouvé votre efficacité.
— Alors ayez foi en la cause pour laquelle vous vous battez, ce sera très suffisant... Ah, je crois que le petit Hans arrive. Nous reprendrons cette conversation plus tard.
— Hans ? s'exclama Hammerschmidt. Qu'est ce qu'il fait ici ? Ce gamin n'a aucune expérience. Je vous ai attribué Weiss et Guterman pour vous accompagner.
— Sans doute Capitaine, mais je trouve que le jeune Hans Feuerbach a un grand potentiel... Et je prendrai Weiss pour second matelot, c'est un solide bonhomme et il pourra m'épauler en cas de mauvaise rencontre. Pour ce qui est de Guterman, je suis bien forcé d'avouer que je n'ai pas tellement confiance...
Il s'interrompit soudain et le deux hommes restèrent silencieux, un homme était en train de grimper à l'échelle. Bientôt; un quatrième homme monta dans la baignoire.
— Monsieur Guterman ! s'exclama le Capitaine. En voilà une surprise, nous parlions justement de vous. Vous pouvez redescendre, le Signore Barbo a décidé de se passer de vos services.
— Sauf votre respect Capitaine, répondit le marin, je vais au contraire être obligé de monter parce qu'il y a du monde sur l'échelle. Figurez-vous que le petit Hans s'imagine qu'il va descendre à terre, on n'a pas réussi à le convaincre qu'il se faisait des idées... Il est juste derrière moi.
— Oh c'est de ma faute Monsieur Guterman, fit Barbo de sa voix aigrelette. Le Capitaine a cru bien faire en vous désignant pour cette mission, mais je tenais absolument à prendre Hans... Vous sous-estimez ce garçon. Il est malin comme un singe.
— Ha ! Malin comme un singe ? répéta le marin. Dans ce cas il cache bien son jeu... Au fait, il n'a pas été fichu de soulever votre coffre, il a fallu qu'on l'aide Karl et moi. Quelle idée d'embarquer un coffre pareil dans un sous-marin, vous auriez pu prendre un sac, comme tout le monde.
— Monsieur Guterman, grogna le Capitaine, cessez vos insolences ! Savez vous seulement à qui vous vous adressez ?
Guterman marqua un temps d'arrêt avant de répondre. Lui et ses compagnons tiraient l'impressionnante malle du passager.
— Oui Capitaine, souffla-t-il enfin. Un envoyé spécial de Berlin chargé d'une mission dont nous ignorons tout. Veillez accepter mes excuses, Signore, si je vous ai froissé.
— Un envoyé spécial grâce à qui vous êtes ici, et non sur le front russe, ajouta Barbo. Mais rassurez vous matelot, vous ne m'avez pas froissé le moins du monde... Vous pouvez aider votre camarade à mettre ma malle sur le bateau de pêche ? Nous serons de retour avant l'aube.
— Je vous le conseille, répliqua le Capitaine, parce dans le cas contraire, je serai dans l'obligation de vous laisser sur place. Vous êtes sûr que vous vous débrouillerez avec seulement deux hommes ? Même s'il n'en a pas l'air, Guterman aussi est malin comme un singe.
— Non merci Capitaine, répondit Barbo. Deux hommes et pas un de plus. Je préfère que monsieur Guterman reste à bord. Il a la Baraka et vous en aurez besoin plus que moi si un garde côte américain pointe le bout de son nez.
Quelques instants plus tard, un petit bateau de pêche s'éloignait du sous-marin en direction des côtes islandaises avec ses trois passagers.
C'était le 4 juillet 1944.
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