Chapitre 5

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Carnet de bord du Capitaine Berhard Hammerschmidt

Notre patrouille vient officiellement de prendre fin.

Avant-hier en fin de matinée, le lieutenant Hartmann repère un convoi américain qui file vers l'Est. Nous attaquons immédiatement et nous avons le temps de couler un cargo avant d'être pris en chasse par deux croiseurs. Après un grenadage intensif, nous réussissons à prendre la fuite, mais non sans subir de sérieuses avaries. Les ordres reçu de l'amirauté suite à cet incident sont sans équivoque.

« Abandonner la patrouille et se consacrer exclusivement à l'opération Roderic ».

Jusqu'à présent, l'Opération Roderic était un objectif secondaire qui dépend uniquement du Signore Evangelisto Barbo, notre passager... et ce que j'ai pu déduire des cauchemars de Hans me donnent la très déplaisant impression que notre passager a commis un crime lors de son escale en Islande... pas un "crime de guerre" comme cela se pratique contre une population hostile, mais un véritable assassinat crapuleux dont les motivations m'échappent encore.

Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de cette fameuse "Opération Roderic" et j'ignore même en quoi consiste notre rôle dans cette mission, mais Barbo le sait très bien et je me trouve maintenant devant un cas de conscience: dans quel mesure puis-je faire confiance à un homme qui est fort probablement un assassin ?

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— Faites surface Monsieur Seiddler ! montez dans la baignoire avec trois hommes, scrutez les alentours à la jumelle et signalez-moi tout ce qu'il y a d'anormal.

Le capitaine Hammerschmidt lacha le périscope et jeta un coup d'oeil à son second. L'officier ne répondit pas.

— Monsieur Seiddler ? répéta Hammerschmidt.

— Pardonnez-moi capitaine, j'étais en train de réfléchir.

— Il ne faut jamais réfléchir en temps de guerre, sinon on se fait tuer bêtement par des gens qui ne réfléchissent pas et qui agissent... un bol d'air frais vous fera le plus grand bien, et à moi aussi. Guterman, prévenez le signore Barbo que c'est le moment de sortir de son trou.

— Bien Capitaine, répondit le matelot. Je vous envoie son excellence.

Le Capitaine Hammerschmidt ne releva pas l'ironie du commentaire. Kurt Guterman méprisait Evangelisto Barbo depuis le début du voyage, mais depuis que le Capitaine lui avait imprudemment fait part de ses soupçons, ce mépris s'était mué en une haine sourde et féroce qui n'attendait que l'occasion d'éclater. Il trouva le signore Barbo penché sur une vieille carte marine lorsqu'il pénétra dans sa cabine.

— Signore Barbo, nous faisons surface et le Capitaine souhaite vous voir.

— Et bien j'arrive tout de suite, le temps de faire le point...

— Sauf votre respect monsieur, votre carte ne semble pas vraiment à jour, et n'est-ce pas au Capitaine de faire le point ?

"sauf votre respect"... cette expression ne correspondait absolument pas à ce que Guterman pensait du "Sorcier Juif", mais le matelot avait l'habitude de masquer son mépris ou sa haine par une politesse excessive en paroles qu'il accompagnait d'un regard glacial. Cela suffisait pour mettre mal à l'aise certaines personnes, mais Barbo ne daigna pas lever les yeux pour répondre.

— Je veux bien croire qu'elle n'est pas à jour, répliqua Barbo, puisqu'elle a plus de cinq cent ans. Mais elle contient exactement les informations dont j'ai besoin. Je sais où nous devons aller. Le capitaine sait ou nous sommes et il fixe la route pour aller là où je lui demande d'aller, nous sommes donc complémentaires.

— Vous n'avez pas de compas et aucun instrument de navigation, fit Guterman. Comment faites vous pour faire le point ?

— On appelle ça de la magie matelot, répondit Barbo en rangeant un petit objet dans un tiroir.

Guterman eut juste le temps de remarquer une pierre précieuse posée sur la carte, semblable à celle que Karl, le matelot qui était descendu à terre en Islande, lui avait montré. Dès lors son imagination le ramena aux cauchemars de Hans et l'idée que Barbo pouvait dissimuler un trésor en diamants et pierres précieuses revint au premier plan dans son esprit. Son regard s'arrêta sur le coffre, au fond de la cabine.

— Allons matelot; cessez de lorgner mon coffre comme s'il contenait une bouteille de rhum et conduisez moi à votre capitaine.

— Tout de suite Signore Barbo, répondit Guterman. Si vous voulez bien me suivre.

Guterman avait eu de la chance, il avait glissé la pierre précieuse dans sa poche sans que le sorcier ne le remarque.

Le sous-marin était en surface, Hammerschmidt et Seiddler surveillaient les alentours, chacun portant une paire de jumelles.

— Que voyez vous, monsieur Seiddler ?

— Absolument rien Capitaine. Et comme nous sommes en dehors des routes utilisées par les alliés, il n'y a pas la moindre chance que nous trouvions le moindre navire, sauf peut-être un bateau de pêche islandais dont le capitaine se serait égaré.

— Nous ne cherchons pas un navire, répondit le Capitaine Hammerschmidt. En fait, je ne sais pas ce que nous cherchons mais le signore Barbo ne va pas tarder à nous le dire.

— Et notre mission ? demanda Seiddler.

— Notre mission est d'obéir aux ordres, même si on ne les comprends qu'à moitié et qu'on ne les approuve pas davantage... Ah, voilà notre sorcier qui arrive.

En effet, le signore Barbo émergeait péniblement du sas.

— Et bien capitaine, fit-il en haletant, vous vouliez me voir ?

— Oui Monsieur Barbo, j'aimerais savoir ce que nous cherchons exactement.

— Oh... et votre officier doit absolument être là ?

— Si cela ne tenait qu'à moi, j'informerais tout l'équipage, mais je me contenterai de mon premier officier qui doit lui aussi superviser les recherches et prendre ma place en cas de malheur. Nous vous écoutons, et essayez de parler sans détours.

— Et bien capitaine, permettez moi de commencer par une question: avez vous la foi... et accessoirement, en cas de réponse positive, en quoi croyez vous ?

— ça commence mal ! soupira Hammerschmidt.

— Ne me dites pas que vous ne croyez en rien, fit Barbo. Moi je crois en la Magie, je crois en Thélème et en la puissance de la Dame écarlate. Mais je crois aussi en l'avenir de la race Aryenne et au destin de l'Ordre Nouveau. Je crois en la Waralda prônée par Himmler et bien entendu en la Neue Europa débarrassée des éléments sémites et négroïdes. Je n'espère pas faire de vous un disciple d'Aleyster Crowley, mais si nous mettons de côté tout ce qui a trait à la Magie, vous et moi croyons en la même chose, respectons les mêmes valeurs.

— Admettons, fit Hammerschmidt de plus en plus méfiant.

— Oh non, ne vous contentez pas d'admettre, regardez les choses en face: nous sommes en train de perdre la guerre, nous reculons sur tous les fronts et seul un miracle peut encore nous sauver - et là, je ne vous donne que la version optimiste des événements, certains ne croient plus au miracle - mais vous continuez à vous battre, et vous vous battez en connaissance de cause dans le corps d'armée qui subit le plus de pertes: la Kriegsmarine. Vous pourriez mettre fin à cette guerre pour vous et vos hommes d'une manière très simple, il suffirait de hisser le drapeau blanc... mais vous ne le ferez jamais parce qu'au fond de vous même, vous croyez encore en quelque chose, même si votre conscient vous dicte que cette croyance est "irrationnelle".

— Vous marquez un point, Barbo, fit Hammerschmidt. Je crois en l'avenir de mon pays d'une manière ou d'une autre, même si une victoire militaire est maintenant peu probable.

— Ayez plus de foi capitaine, car c'est précisément la foi que la magie et la politique ont en commun... personne n'aurait misé un pfennig sur le national socialisme après le putsch manqué de Munich, et pourtant dix ans plus tard, il était au pouvoir. La situation actuelle est assez comparable, mais il nous reste la foi. Himmler croit fermement que notre mission peut sauver le Reich, ayez autant de foi que lui car la victoire dépend peut-être de votre capacité à croire en quelque chose que vous ne pouvez ni voir ni comprendre.

— Est-ce pour cela que vous avez affiché les photos de Himmler dans le carré des officiers ? demanda tout à coup le lieutenant Seiddler.

— Mais oui lieutenant, c'est pour cela. Bien qu'il ne soit pas un authentique sorcier, Heinrich Himmler est pourvu d'un puissant potentiel magique que nous appelons le vril. C'est ce qui lui donne le don de double vue qui lui a permis d'entrevoir les chemins d'Eric le Rouge et de monter l'opération Roderic. J'en ai également affiché deux ou trois dans les coursives et une dans la salle de contrôle... Celle qui a été prise avec sa fille Gudrun en 1938 au stade de Berlin. C'est à mon avis la plus importante de toute car elle illustre exactement ce pourquoi nous nous battons: de très grands hommes au service d'un très grand peuple.

— Laissons de côté les photos et la sorcellerie pour le moment, le coupa Hammerschmidt, et parlons plutôt de cette fameuse "Opération Roderic".

— A votre aise, Capitaine, répondit Barbo. Comme vous le savez sans doute, Eric Thorvaldsson, plus connu sous le nom d'Eric le rouge, ou Roderic, a été banni d'Islande après avoir commis un meurtre. Lui et les siens naviguent vers l'Ouest et découvrent le Groenland. Ses fils Leif et Thorvald Ericsson sont les premiers européens à débarquer en Amérique pour y fonder des colonies. Le premier aryen né en Amérique se nommait Snorri Thorfinnsson et son fils Einar, fervent païen tout comme Eric le rouge, rassembla un important groupe de colons pour s'installer durablement dans ce nouveau monde ou ils n'auraient pas à subir les persécutions des chrétiens. Cependant la vie dans ces colonies n'était pas facile car ces territoires étaient habités par des skraelings qui leur menaient la vie dure. Einar Snorrisson mena une flotte de quarante Knärrs en direction d'une terre qu'il venait de découvrir, mais ils ne sont jamais arrivé à destination, Ils ont disparu sans laisser de traces au large du Svaldbard.

— Et bien ils ont tout simplement coulé.

— Non Capitaine, répliqua Barbo, ils n'ont pas coulé, ils ont découvert un passage vers l'Agartha... oh, vous ignorez certainement ce dont il s'agit bien sûr. Sachez donc qu'il y a de vastes zones aérées à l'intérieur de la terre, les plus proches de la surface sont explorées par des spéléologues et ne sont pas habitables, mais il existe des zones plus profondes qui ont élé colonisées dans un lointain passé et certaines strates ont vu éclore des civilisations bien plus avancées que les nôtres, bien que leurs connaissances soient d'une autre nature... oh mais je ne vais pas vous ennuyer avec d'autres histoires de magie, je me contenterai de vous dire que ces civilisations ont été créées par les premiers aryens et l'aide de ces peuples frères nous permettra de gagner cette guerre.

— Nous cherchons donc... un gouffre qui mènerait au centre de la terre ? Une île volcanique ?

— Bravo Capitaine, s'exclama Barbo. Je reconnais bien là votre esprit pratique. Pour être honnête, j'ignore totalement sous quelle forme se présente le passage, mais je suis persuadé que nous le trouverons... en fait, nous en sommes tout près. En longeant la côte de Svaldbard, nous allons forcément le trouver.

— Vous savez signore Barbo qu'aucune île ne se trouve dans les parages. S'il y en avait, il y a longtemps qu'elles auraient été découvertes et répertoriées.

— Nous ne cherchons pas spécialement une île, Capitaine, reprit Barbo. Soyez aux aguets et relevez tout ce que vous trouvez d'anormal... Oh, pendant que j'y pense, avez vous des nouvelles de notre ravitailleur ?

— J'ai capté un message radio ce matin me signalant son arrivée et un point de rendez vous, je suis aussi impatient que vous de le voir, mais il faudra encore attendre quelques jours.

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