Chapitre 12
A travers les galaxies, il y avait de nombreux modèles de vaisseaux, la plupart identifiable à une culture, même s'il s'agissait souvent de modèles uniques. Il était alors commun de désigner les vaisseaux par leurs cultures, leurs nombres de moteurs ou encore leurs puissances, mais en observant le vaisseau Liis qui s'était placé en orbite autour de la couveuse de Roch'mey, il était difficile de le décrire autrement qu'en disant de lui qu'il était petit ou insignifiant. Si habituellement, les vaisseaux permettaient de faire voyager des équipages lourds d'au moins cinquante adultes, celui-ci ne comptait qu'une seule et unique âme.
Pour le recevoir, l'Akoutie avait dû faire un certain nombre d'aménagement au sein de son propre bureau, surtout pour s'assurer qu'il n'y aurait personne d'autre dans les parages. Il s'était préparé depuis des semaines à cette arrivée qui le mettait en joie et qui avait fait grand bruit dans le milieu des couveuses. L'étranger avait passé commande à peu près de partout. Il avait reçu de très nombreux dossiers en réponse décrivant des garçons et des filles de diverses espèces clonables et manipulables génétiquement. Il les avait étudiés, un par un avec soin et attention. Il avait pu observer la totalité des vidéos des différents protocoles et s'il n'avait pas accès à toutes les informations qu'il aurait souhaité, il avait vu bien des choses qui lui avaient déplu. Aucune de ces couveuses n'avaient le moindre prétendant pour lui, c'était ça la vérité, mais l'appât du gain ou la volonté d'acquérir une excellente réputation avaient conduit certains à procéder à des manipulations extrêmes. Parmi eux, cette couveuse était la plus prometteuse. Au fil des jours, il y avait eu bien des abandons et finalement, il ne restait plus que deux candidats, intéressants, pas parfaits certes, mais pleins de promesses.
Lorsqu'il débarqua dans le bureau de l'Akoutie, il observa en silence le grand Koros qui tentait de respecter ses coutumes. C'était maladroit, malpolis et offensant. Il prit sur lui et répondit comme si de rien n'était, courbant l'échine, dévoilant un espace de sa nuque jusqu'à ce que ses cheveux longs glissent sur le pic présent sur ses vertèbres, puis il leva le menton et finalement les yeux dans une chorégraphie douce qui n'avait sans doute pas de sens pour son interlocuteur. Enfin, désirant écourter l'échange qui n'avait pas plus d'intérêt qu'une discussion avec soi-même, il écarta les paumes en direction de Roch'mey. Ce dernier tenta bien quelque chose en réponse, mais de quoi s'agissait-il ? Le Liss ne parvint pas à le deviner. Cela ressemblait à un mélange entre une insulte et un propos religieux. Il décida de ne pas y penser et tenta dans cette langue si gutturale de prononcer les bons mots.
- Je suis Kalaas'ynsguris dokaï Liur de l'espèce Liis.
- Je suis Roch'mey Taïji de l'espère Koros.
Sachant que son interlocuteur ne parviendrait pas à assembler les mots correctement, le Liis reprit sans attendre.
- C'est un honneur pour mon espèce de rencontrer la votre pour la première fois depuis longtemps. Nos différences sont puissantes et fondamentales, mais elles constituent une force que je salue et que j'honore.
Roch'mey tenta d'effectuer le bon mouvement de doigts pour répondre à la formule, mais il peinait à le faire correctement. Il était sûr d'avoir loupé un certain nombre de protocoles déjà, mais il ne s'attendait pas à ça. Ce qu'il connaissait de cette espèce revenait à un lot de protocole traduit de langues en langues, un bout de mur offert par ce mâle de valeur et une copie des données de son anatomie sexuelle. Il connaissait la complexité d'une telle rencontre, mais comment aurait-il pu s'y préparer ?
Devant lui, l'être était assez différent de tout ce qu'il avait pu connaitre. Il n'était pas bien grand contrairement à la majorité des espèces non clonables. Il avait une peau blanche, presque d'une teinte argentée. Chaque lumière qui s'accrochait à sa peau lui paraissait étrange, irréelle et l'effet ne s'arrêtait pas à son épiderme. Ses cheveux blancs étaient très longs, totalement lisses et il se perdait dans ces vêtements car le visiteur était vêtu de ce qui semblait être cent lambeaux de rubans tout aussi blancs et qui tombaient dans un immense drapé, jusqu'au sol. Entre les bandes, il pouvait pourtant voir sa peau. Seulement ce n'était pas ça qui le mettait mal à l'aise. Il y avait d'abord ces grands yeux totalement blancs, à l'exception d'un petit point noir, une pupille minuscule en leur centre. Le reste du visage semblait presque absent, minuscule et s'il avait l'habitude d'une grande variété d'espèce de part son travail, c'était la première fois qu'il rencontrait une espèce sensitive. Il l'avait senti dès que l'autre était arrivé. Dans les premières secondes, il avait semblé se synchroniser avec lui et depuis, il avait l'impression désagréable d'être comme ouvert. L'autre pouvait lire en lui comme dans un livre et il y avait ce goût dans l'air qui l'étourdissait légèrement. Il fit très attention à ne pas secouer la tête pour se reprendre et tenta d'exprimer les choses correctement.
- Nous sommes heureux de vous recevoir. Je m'excuse pour mes manquements.
Il passa son pouce sous son menton et l'avança de centimètres, incertain. Devant lui, le Liis ne démontrait rien de ce qu'il pensait et s'il semblait lire en lui, l'inverse n'était absolument pas permis.
- Roch'mey, je vois vos tentatives et si elles sont incorrectes, désobligeantes, incompréhensibles et des plus insultantes, il s'avère néanmoins que je suis... ancien.
L'Akoutie cligna des yeux dans un geste maladroit de sens et totalement incontrôlé alors qu'il essayait de suivre la pensée Liis sans y parvenir. Que voulait-il dire ? D'après les rares témoignages le moindre manquement protocolaire provoquait le départ immédiat du visiteur, mais Kalaas'ynsguris était toujours présent et il reprit :
- Je ferais de mon mieux pour ne pas me formaliser. Pouvez-vous me parler des deux garçons ?
- Oui... Merci pour votre indulgence. Le premier s'appelle Ne, un Furh. Il est courageux et appliqué. Le second s'appelle Xa, un Oom. Il est sensible et investi. Ils doivent tout deux recevoir une seconde particule et ce serait un honneur que vous la leur offriez.
Tout en faisant la présentation, il avait ouvert le dossier de chacun.
- Sont-ils prêts pour un coït complet ?
- Ils le sont.
- Le désirent-ils ?
- Oui, ils vous attendent. Cependant, ils ne maîtrisent aucun protocole Liis.
Le petit point noir navigua lentement vers lui alors que le reste du visage Liis restait totalement neutre, immobile et toujours aussi malaisant.
- Tout comme vous alors. Espérons que je serais m'en accommoder. Puis-je les rencontrer ?
- Oui. Je vous y conduis. Avez-vous pris une décision quant à la demande d'accompagnement ?
- Je la refuse.
Roch'mey grimaça mais acquiesça et conduisit son hôte hors de son bureau. Habituellement les visiteurs étaient plus ou moins ouvertement curieux, observant autour d'eux. La décoration avait une place très importante au sein des couveuses et trouver le moindre signe de leur espèce les mettait en joie. Le Liis quant à lui marchait d'un pas égal, froid comme la mort. Alors qu'il avançait, Roch'mey se sentit désolé pour les deux jeunes prétendants. Ils avaient effectué un excellent travail, dépassant toutes les limites personnelles pour correspondre au mieux aux attentes. Ils avaient fini par formuler tout deux le même souhait après des semaines de préparations aux mains d'un même examinateur, ils espéraient pouvoir être guidés dans les derniers instants. La demande avait été rejeté et le Liis allait leur faire horriblement peur. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Glissant les doigts sur une commande, il ouvrit la section de présentation où se tenait les deux garçons et il se décala pour laisser passer son interlocuteur. Lorsque le Liis rentra, Roch'mey se rendit compte qu'aucun bruit ne provenait de lui lorsqu'il ne parlait pas. Le tissu sur son corps ne bruissait pas. Ses pieds nus ne provoquaient aucun claquement sur le sol. Rien. Il n'en fut que plus mal à l'aise.
A l'intérieur de la salle, les deux garçons attendaient immobiles. Comme toujours Xa avait les paupières basses et si c'était un manquement au protocole, lui apprendre le contraire ne serait pas aisé. Ne quant à lui était bien plus extraverti et il observa l'entrée du Liis avec le cœur battant d'anticipation. Il espérait depuis toujours être lié à un mâle et c'était enfin le grand jour ! Il avait fait énormément d'efforts pour en arriver là et ses résultats étaient bons ! Pas excellents, pas suffisants, mais meilleurs que ceux de Xa, il en était certain : il avait entendu les examinateurs en parler entre eux. Cependant, s'il ressentait une attirance certaine devant le sexe Liis, ce dernier lui fit littéralement peur. Il n'avait pas l'air réellement vivant. L'effroi le gagna alors que ces yeux irréels se posaient sur lui.
- Qu'il sorte, il empeste.
Ne se leva précipitamment et prit la fuite par la porte à l'arrière de la pièce. Le regard était trop froid sur lui et pour la première fois de sa vie en entendant le son sec, il s'était senti en danger. En quelques secondes à peine, Xa se retrouva seul avec le Liis qui s'était permis de congédier l'Akoutie d'un mouvement de main. Le peu qu'il percevait de l'être était terrifiant, mais la partie encore consciente de lui-même tenta de se raisonner : il avait été préparé tendrement et longuement pour le satisfaire. Le mâle n'avait aucun intérêt à le blesser ou à lui faire un quelconque mal.
En levant légèrement les yeux sur lui, il tenta de retrouver ce qui l'avait attiré dans son anatomie intime dans le reste de ses traits, mais il peina à y parvenir. Le Liis s'avança jusqu'à lui, lui tourna autour sans la moindre considération, toucha ses cheveux puis ses épaules. Que faisait-il ? Xa ne comprenait pas. Le Liis finit par s'arrêter devant lui et puisque le garçon était toujours à genoux, il s'installa dans une position similaire et chercha son regard en vain.
- Tu es capable de sentir bon. Aimes-tu obéir ?
- Oui.
- Aimes-tu commander ?
- Ce n'est pas mon rôle.
- Rôle... hum. Rôle. Ah. Ton rôle, c'est d'enfanter.
- Oui.
Roch'mey leur avait expliqué la problématique de la culture Liis et depuis ce jour, Xa espérait que le mâle le guiderait pour qu'il ne commette pas d'impair, mais à la place d'ordre, l'autre parlait d'une voix étrange, presque désincarnée et à chaque mot, à chaque mouvement, le jeune prétendant craignait de commettre l'erreur de trop.
- Désires-tu avoir un enfant avec moi ?
Xa ne put s'empêcher d'observer le vide avec les yeux légèrement plus écarquillés qu'en temps normal. Cette question personne n'aurait jamais dû la lui poser. Il possédait une matrice, il avait un rôle à accomplir, les choses étaient aussi simples que cela pour lui, mais quelque chose dans la voix du Liis le poussa à réfléchir davantage. Cette question n'était pas anodine. Voulait-il d'un enfant avec cet être étrange, inquiétant quasiment irréel ? Il leva un peu plus franchement les yeux et l'observa. C'était une sensation très étrange car en quelques dixièmes de secondes à peine, le Liis s'était synchronisé sur lui et la sensation de malaise empira drastiquement. Néanmoins, Xa avait trouvé sa réponse.
- Si vous êtes un bon père, oui.
- Alors tu aimes diriger. C'est une bonne chose.
Le Liis se redressa, recula d'un pas puis sur un ton plus étrange encore tout en effectuant quelques gestes rapides de la main, il avança :
- Tu seras Xaer dorénavant car tel est ton nom. Je serais un bon père, si tu en es à la hauteur, mais l'accord doit être scellé immédiatement si tu en es capable, approche-toi et touche-moi.
Un nom a deux particules. Il venait de recevoir un nom à deux particules ! Son cœur battit un peu plus vite dans sa poitrine sous la joie de ce cadeau unique et il se releva heureux de pouvoir suivre des ordres, cependant très vite, il comprit que ce ne serait pas si évident. Une vague de chaleur très violente le saisit. Tout son corps le grattait de l'intérieur et entre ses jambes son sexe s'était fait plus dur que jamais. L'autre enleva ce qui lui servait d'habit, dévoilant son corps et ce fut pire encore. Xa devenu Xaer se sentit en ébullition et avant d'avoir fait un pas, il s'effondra tout en éjaculant, incrédule. Il observa un instant sa semence au sol avant de se souvenir de l'ordre et vacillant comme un jeune animal, il se releva et avança. Le Liis ne faisait pas le moindre geste pour s'échapper, aussi, il ne fut pas si difficile que ça de poser ses doigts dessus, puis ses lèvres affamées et tout son corps qui se frotta à la peau étonnamment dure de l'être.
Soudain, alors que le petit Oom l'embrassait avec passion, il dit d'une voix maussade au possible :
- On dirait bien que tu m'as eu.
Et la pression, la chaleur, les envies de luxure terrifiantes, tout retomba dans l'instant, laissa Xaer perdu et vaguement horrifié par la situation. A entendre ce ton polaire et à voir ces manières glacées, il ne pouvait qu'avoir peur.
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