Chapitre 19

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La planète-nourricière fut décevante à souhait. Xaer espérait rencontrer des arbres et des plantes et à la place, il eut à faire à un immense laboratoire qui semblait sans fin et qui clonait et transformait différents types de nutriments. L’endroit était froid, il dut porter un peu plus de vêtements encore à son plus grand désarroi mais en dehors de ça, le contact se passa bien. Kalaas’ynguris offrit quelques souches de sources alimentaires et il en reçut d’autres. Ils allèrent ensuite sur le petit satellite où travaillait un scientifique qui était très curieux de découvrir l’évolution des mathématiques chez les Liis et de voir s’ils pouvaient répondre à certains calculs complexes irrésolus. Ce fut moins le Liis qui fut interrogé que son vaisseau, mais cela ne donna rien de concluant. Ils repartirent avec quelques milliards de données peut être inutiles et la certitude que la solitude n’avait rien de bon sur le très long terme. Ce mâle n’allait pas bien.

Ils partirent ensuite dans une zone où il y avait une très grande pluralité de cultures et bien des espèces dont Xaer n’avait jamais entendu parler. Ce fut régulièrement difficile et petit à petit, à force d’observation Xaer apprit.

Bien-sûr, cela, leurs hôtes l’ignoraient totalement. Ainsi, on pouvait comprendre la surprise que ressentit Natilian Lormi lorsqu’après avoir préparé en grande pompe la salle d’accueil des transporteurs il vit apparaître non pas une personne mais deux. Oh lorsqu’il avait reçu la réponse à son invitation, elle était bel et bien signée de deux noms, mais l’un d’entre eux était un Oom, un reproducteur. Il s’était attendu à ce qu’il reste dans le vaisseau. Lui-même avait été en couveuse pour chercher une matrice, il avait trouvé un mâle superbe mais au bout de quelques essais inconcluants, il avait décidé de faire une seconde demande. A présent, ils étaient deux dans ses quartiers, le mâle Furh et une petite femelle Kri, adorable elle-aussi. Il aimait la pluralité des corps et trouvait bien du plaisir avec eux. Mieux encore, depuis qu’il les avait, ils avaient réussi à eux deux à lui faire trois petits. Trois jeunes Otaï, c’était plus d’enfants qu’ils n’en avaient jamais vu dans sa propre famille.

Cependant voir apparaître ainsi un reproducteur sur le tarmac n’était pas du tout habituel ! Alors Natilian s’approcha tout en évaluant les différentes possibilités. Peut-être que ce petit Oom portait actuellement un enfant ? Certains mâles détestaient les laisser seul dans ce type de situations, préférant les garder à l’œil. Lui-même n’avait pas éprouvé ce type de difficulté peut-être parce qu’ils étaient déjà deux. Dans d’autres cultures, il était de bon ton d’afficher publiquement les ventres ronds des porteurs de vies. Cependant, au plus il s’approchait au plus le ventre si plat de Xaer lui sautait aux yeux. Ce n’était pas ça.

Compilant rapidement les différentes possibilités dans son esprit, l’Otaï finit par conclure que proposer un lieu de repos pour le reproducteur pourrait être mal perçu. Le plus sage était surement d’éviter de s’avancer sur une théorie et de suivre au mieux les protocoles comme il l’avait prévu. Il attendit alors pour pouvoir dérouler les phrases rituelles tout en observant impatiemment le Liis. C’était le premier de son espèce qu’il rencontrait, bien entendu. Il était plus grand que l’Oom, mais pas si grand que ça. Il portait un vêtement clair comme sa peau et il semblait presque monochrome. Quelle drôle d’espèce aux traits si froids ! Le Liis s’arrêta alors que le petit Oom s’avançait encore jusqu’à venir se placer entre eux d’une façon très surprenante.

- Bonjour, êtes-vous Natilian Lormi avec qui nous avons été en contact ?
- … oui, bonjour.
- Parfait ! Je suis Xaer, compagnon de Kalaas’ynsguris dokaï Liur. Mon compagnon et moi-même sommes ravi de vous rencontrer, je vous propose d’échanger avec moi dans un premier temps pour éviter les impairs.
- Oh, je pensais que nous pourrions parler directement ?

Tout en posant sa question, puisque s’en était une, il s’était penché vers Kalaas’ynsguris pour l’interroger immédiatement, mais aussitôt Xaer se décala pour rester dans son champ de vision et lui bloquer l’accès. Peu importe que ce mâle soit bien plus fort que lui physiquement, auprès que Kalaas’ynsguris, il ne risquait rien. Au fil du temps cette évidence avait reçu des preuves qui lui laissait une froide certitude quant à sa sécurité.

- C’est une mauvaise idée. Si je ne peux pas répondre à l’une de vos questions, je lui demanderai.
- Mais vous êtes…
- Attention ça aussi c’est une mauvaise idée. Je suis le compagnon d’un Liis, je mérite tout le respect possible et imaginable. Je me mets simplement en avant car vous aurez plus de mal à m’offenser qu’à offenser mon compagnon. Je suis là pour vous aider mais je ne le ferais pas si vous êtes désobligeant.

Natilian hocha de la tête avec raideur. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait et il n’avait pas la moindre idée de comment gérer les choses avec le petit Oom, cependant, il était prêt à essayer.

- Merci alors… Comme je l’ai précisé dans ma lettre, notre situation est problématique. Nous sommes en concurrence avec d’autres fédérations et nos considérations éthiques nous causent des difficultés. Nous risquons de devoir fermer cet endroit ou de le revendre au plus offrant.
- C’est justement ce qui nous a conduit à venir jusqu’à vous, j’ai apprécié cet aspect de votre travail. Pouvons-nous visiter votre serre principale ?

L’Otaï accepta. Il avait du mal à s’adresser uniquement au petit Oom mais il les invita à les suivre. Une grande partie de la zone était dédiée à la culture d’espèces végétales mais en cherchant à les faire pousser naturellement comme à la grande époque des planètes sauvages. Le commerce était censé être raisonné pour que les plantes puissent réensemencer la terre et une grande variété d’insectes participaient activement à ce travail. Si leur hôte Natilian l’ignorait, c’était Xaer qui avait demandé à venir ici. Il voulait voir des plantes et des fleurs, il voulait caresser une écorce et sentir les parfums de la nature. Alors quand ils entrèrent dans la serre principale, il fut submergé par l’émotion. Les arbres grimpaient jusqu’au plafond de verre, des plantes grimpaient aux murs et une odeur entêtante flottait dans l’air. Il se figea, abasourdi en observant pour la première fois des animaux et son compagnon le rejoignit en silence.

Xaer se laissa aller contre lui un instant avec de lui dire :

- Je te présente Natilian Lormi, le jardinier de cette serre.
- Tu devrais lui demander, j’aime quand tu sens comme ça. Chuchota Kalaas’ynsguris à son oreille.

Le petit Oom frémit de la tête aux pieds avant d’offrir un sourire mutin à son compagnon. Dans son dos, il avait senti le début d’une érection mais ce n’était décidément pas le bon moment. Ils pourraient faire ça en rentrant dans quelques heures si tout se passait bien.

- Oui, tu as raison. Natilian, cet endroit est vraiment merveilleux.
- Merci, c’est le travail de plusieurs vies.
- Comment pouvons-nous vous aider ?
- Nous aurions besoin de graines provenant du monde Liis, si nous avons assez de variétés, notre projet pourra être soutenu plus largement, nous gagnerions des visiteurs, des scientifiques seraient ravis de venir et des projets de recherches pourraient être financer. Ce serait un tremplin formidable qui pourrait également nous amener à financer d’autres serres. La majorité de nos espèces viennent des vieux mondes Otaï et nous aimerions changer cela en ouvrant une serre dédiée à la végétation de Koros. C’est beaucoup de financement... Mais si vous acceptiez que nous procédions à un échange, nous pourrions vous offrir les espèces qui vous conviendrait contre quelques graines.

Pendant la supplique, Xaer commença à avancer entre les lignes de plantes et très naturellement, les deux autres le suivirent. A force de voyage, il avait pris l’habitude de prendre la tête des entretiens et petit à petit il avait découvert l’effet que ça faisait sur son compagnon. Oh ce n’était pas simplement une immense excitation qui l’envahissait, il se calmait, il s’apaisait, il parvenait à faire les observations qu’il souhaitait pendant que Xaer gérait la majorité des échanges. Il avait mis un certain temps à comprendre comment il aimait tenir ses négociations. Ce n’était pas si compliqué que cela. En faites, satisfaire son compagnon était même extrêmement simple. Au bout d’un moment s’arrêtant devant une fleur rouge sang magnifique, il demanda :

- Mon amour ?

Natilian frémit alors que Kalaas’ynsguris se tourna froidement vers son compagnon. Il ne semblait rien ressentir. Son visage était inexpressif et l’Otaï juste à côté d’eux eut peur pour le petit blond qui semblait prendre un risque totalement inconsidéré et s’éloignant tellement de la moindre forme d’étiquettes.

- Combien de graines différentes provenant du monde Liis avons-nous ?
- 449.
- Natilian, est-ce qu’un échange de 449 variétés vous conviendrez ?
- Ou-oui, ce serait… ce serait exceptionnel ! Pourrions-nous faire également un échange de donnée pour savoir comment traiter ces espèces ?

Sans attendre la moindre confirmation, Xaer accepta. C’était ainsi que les choses devaient se passer.

- Ce serait une bonne chose que ces espèces poussent dans vos serres sans… être vendues ou commercialisés. Votre richesse n’en sera que plus grande sur le long terme et… je crois que certains choses doivent rester préservées.
- Oui, oui. Nous ferons ainsi. Je ne voudrais pas voir ces graines poussaient dans de mauvaises conditions.

Xaer reprit sa balade et sélectionna quelques espèces à la main en demandant s’il serait possible de les faire pousser au sein même du vaisseau, des espèces demandant peu de choses, très communes pour la plupart. Depuis quelques temps, il avait décidé de modifier leur environnement en rajoutant un peu de vie. Oh le vaisseau tout entier pulsait et petit à petit il avait découvert qu’il emmagasinait leurs émotions pour les retransmettre. Quand il était arrivé les sentiments dans les murs étaient doux et sans l’acclimatation si horrible qu’il avait dû subir, ils auraient été de plus en plus inquiétant… à présent, ils étaient remplis à ras bord de luxures et d’envies. S’il se collait à eux, il finissait à quatre pattes à supplier son compagnon de le prendre bien fort, ce que le Liis faisait avec application même s’il ne parvenait toujours pas à la jouissance.

A chaque voyage, leur relation s’améliorait un peu plus et la compréhension gagnait entre eux, elle devenait si évidente que lorsqu’ils repartirent, Natilian ne put qu’y repenser. Il avait devant lui des données à trier pour plusieurs années et de quoi ouvrir deux serres dédiées aux plantes Liis ce qui était une aubaine merveilleuse qui allait assurer leur avenir. Cette petite serre qui avait voulu tout basé sur une bonne éthique et un amour réel des plantes allait devenir tentaculaire, immense et pourtant toujours respectueuses, il se le promit. Mais lors de cette entrevue, il avait gagné une chose plus importante encore, une chose qui l’amena à quitter ces graines si précieuses pour regagner ses quartiers là où il laissait ses propres reproducteurs.

En ouvrant la porte brusquement, il les surprit. Fil était nue comme toujours et au lieu d’admirer ses courbes généreuses ou ses seins lourds, il se perdit dans son regard noir d’encre. Il ne la connaissait pas. Elle était la mère de deux de ses enfants et il ne la connaissait pas. Derrière elle, un peu plus loin, Sina s’agenouilla en baissant gentiment le regard. Combien de fois l’avait-il rabroué pour ses manières ? Il le trouvait impertinent, pas assez soumis, pas assez délicat. Il avait corrigé cela de son mieux mais en voyant Xaer se tordre entre les bras de ce mâle froid pour obtenir un peu plus de contact, il l’avait envié. Il avait eu terriblement envie que ses prétendants issus de la couveuse la plus proches ne se glissent ainsi dans ses bras pour lui quémander une caresse. Mais ça n’arriverait pas et il avait l’affreuse sensation que c’était de sa faute même s’il ne comprenait pas exactement pourquoi.

- Est-ce que… Est-ce que vous voulez… vous balader ?

Les parents de ses enfants eurent l’air terriblement surpris mais ils acceptèrent avec joie, espérant de tout cœur parvenir un jour à construire un lien stable avec l’Otaï. En réalité, ils n’attendaient et n’espéraient que ça. Xaer n’avait absolument pas conscience de l’évolution qu’il provoquait bien involontairement en étant plus qu’un reproducteur, lui, qui souffrait terriblement de ne pas parvenir à créer la vie avec ce mâle qu’il avait appris à aimer. Cependant, à chacune de ses visites dans un nouvel endroit, à chaque fois qu’il levait le menton et les yeux pour parler à la place de son compagnon, il provoquait ce type d’évolution. Certains l’ignoraient, refusaient de lui parler, refusaient de communiquer ainsi avec le Liis et tout ce qu’ils y gagnaient, c’était de les admirer de dos alors qu’ils repartaient dans l’instant. Xaer faisait le nécessaire pour que plus jamais son compagnon n’ait à s’énerver. C’était plus simple et plus confortable ainsi.

Dans le vaisseau comme à chaque fois, Kalaas’ynsguris fit passionnément l’amour à son compagnon tout en l’honorant de baiser et de mots tendres. Il avait découvert, presque par hasard, à quel point il aimait l’entendre dire « mon cœur » et depuis, il ne s’en privait pas. Cependant, comme à chaque fois, il ne parvint pas à atteindre la jouissance. Ce n’était pas grave, ça ne le traumatisait absolument pas et le moment était tellement bon qu’il s’en passait très bien, mais cela rendait Xaer maussade. Les semaines s’étaient enchainées, les mois avaient couru et cela faisait maintenant près d’un an qu’ils vivaient ensemble sans aucune évolution notable sur ce plan-là. 

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