Les 7 ripailleurs

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Il était une fois, au coeur de l’hiver, une sage reine cousant à sa fenêtre. Distraite par la contemplation de la neige voletant dans le ciel, elle se piqua le doigt et trois gouttes de sang tombèrent sur la neige. Le rouge était si beau, la neige si éclatante, qu’elle songea : “Ah! Si seulement j’avais un enfant à la peau blanche comme neige, aux lèvres aussi rouge que le sang et aux cheveux noirs d’ébène !”

Peu de temps après, par la magie du scénario, elle mit au monde une petite fille qui correspondait trait pour trait à son souhait. Dommage que la daronne perdit la vie en plus des eaux.

L’année révolue, son daron, roi parmi les rois, prit une nouvelle épouse. Une femme d’une grande beauté, narcissique et arrogante, au point tel que l’idée même de ne pas être la plus belle de tout le royaume lui était le plus exécrable des tourments. Chaque matin, elle se contemplait dans son miroir magique et lui demandait :

« Miroir, miroir joli, qui est la plus belle dans tout le pays ? »

Alors le miroir lui répondait:

« Ô ma reine, vous êtes la plus belle en ce pays, et par-delà les montagnes aussi. »

Et elle était satisfaite, car elle savait que le miroir disait toujours la vérité.

Un matin pourtant la donne changea. Blanche-Neige, à l’aube de ses huit ans, resplendissait comme le jour, au point d’être mille fois plus belle que sa belle-daronne, reine parmi les reines. En substance, ce fut ce que lui dit son joli miroir ce matin-là.

La reine en devint verte. Désormais, elle avait des haut-le-coeur sitôt qu’elle l’apercevait. Durant les années qui suivirent elle la traita guère mieux que les domestiques, sans jamais parvenir à altérer le jugement de son, d’un coup, moins joli miroir. L’envie et l'orgueil se développait si fort dans son cœur qu’elle ne trouvait plus de repos, ni le jour, ni la nuit. Lorsque Blanche-Neige atteignit l’âge vénérable du mariage, c’est à dire 15 ans, la reine fit venir un chasseur et dit :

« Emmène cette jeune fille dans la forêt, je ne supporte plus sa vue. Tue-la et rapporte-moi ses poumons et son foie comme preuve de sa mort. »

Le chasseur obéit et entraîna la malheureuse pour une balade en forêt. Mais quand il brandit son couteau de chasse pour transpercer le cœur innocent de Blanche-Neige, près d’un parterre de primevères, la fillette se mit à pleurer.

“Cours donc, ma pauvre enfant” s’écria-t-il, pris de pitié, ajoutant dans son for intérieur que des animaux féroces s’occuperaient de son trépas.

Pourtant, il se sentait soulagé d'un poids immense. Il n’avait plus à la tuer. Aussi, lorsqu’un jeune marcassin bondit vers lui, il le poignarda, lui prit poumons et foie, et les apporta à la reine en guise de preuve. Le cuisinier dut les faire cuire dans du sel, et la terrible femme s’en reput, pensant manger les entrailles de sa douce et tendre bru.

Bru qui erra elle, comme une âme en peine dans l’immense forêt sombre, avant de finir par tomber sur une maisonnette au milieu d’une clairière calme et tondue au poil de cul. Sans frapper, ni se faire inviter, elle entra.

Tout y était petit, mais si délicat et si propret qu’il n’y avait rien à redire. Tout allait par sept : Une table, sept petites chaises devant sept petites assiettes, chacune avec ses petits couverts et son petit gobelet. Un délicieux fumet se dégageait d’une marmite en fonte. Blanche-Neige avait si faim et soif, qu’elle piocha quelques mets dans chaque petite assiette. Elle ne voulait pas tout prendre à un seul.

Fatiguée d’avoir tant erré, elle monta à l’étage où, de nouveau, sept petits lits étaient alignés le long d’un mur, recouverts de petits draps blancs comme neige. Elle les essaya, mais aucun ne convenait. L’un était trop long, l’autre trop court ou trop étroit. Le septième, enfin, fut à sa taille. Elle s’y endormit profondément.

A la tombée de la nuit, les maîtres du lieu rentrèrent. C’étaient les sept nains. Ils revenaient de la montagne, où ils cherchaient du fer, de l’or et des pierres fines. Lorsqu’ils allumèrent leurs sept petites lampes, la maison s’éclaira. Ainsi virent-ils que quelqu'un y avait pénétré, car les objets n’étaient pas à leur place habituelle

- Qui s’est assis sur ma chaise ? dit le premier.

- Qui a mangé dans mon assiette ? fit le deuxième.

- Qui a saucé mon pain ? s’interrogea le troisième.

- Qui a goûté mon schnitzel ? beugla le quatrième.

- Qui a utilisé ma fourchette ? gronda le cinquième.

- Qui a piqué mon boudin ? s’étonna le sixième.

- Qui a sifflé ma bière ? s’offusqua le dernier.

C’est alors que le premier nain se retourna et aperçut des empreintes crasseuses sur le sol poussiéreux. Elle menait vers leur chambre commune.

- Qui est allé dans ma chambre ? tonna ledit nain.

Les autres accoururent et s'écrièrent :

- Ce n’est pas ta chambre, mais la nôtre bougre de daim, dit le deuxième.

- Tout de même, qui donc s’est permis de venir pioncer dans notre chaumière ? philosopha le troisième.

- Qui s’est étalé dans mon lit ? s’écria le quatrième, décidément fort en gueule.

Les autres nains suivirent et renchérirent l’un après l’autre. Le septième nain chaussa ses besicles et finit par découvrir la jeune fille endormie. Il appela les autres, qui se pressèrent autour du lit en poussant des cris de surprise. Ils coururent chercher leurs sept petites lampes et flashèrent Blanche-Neige.

- Vains dieux ! Mais c’est qu’c’est une beauté ! s’exclamèrent de concert les voyeurs.

- Mattez-moi ces gigots ! chuchota très fort le cinquième.

- Et ces miches ! Pour cinq écus, on en prendrait une solide tranche, murmura avec emphase le sixième.

Leur ravissement fut tel qu’ils ne la réveillèrent point.

Le septième nain, dormit lui avec ses compagnons. Une heure dans chaque lit, et déjà, la nuit était passée.

Au petit matin, quelle ne fut pas la surprise de Blanche-Neige de se voir entourée par sept petits barbus, le nez déjà rougi d’un coup de picon.

- Qui es-tu ? lui demandèrent-ils gentiment pour la rassurer. Et d’où viens-tu ?

Elle leur raconta alors qui elle était et comment sa belle-daronne avait voulu la faire assassiner. Elle leur parla du chasseur qui lui avait laissé la vie sauve, puis sa longue course jusqu’à leur maisonnette. En écoutant son récit, les nains furent tout émus.

- Vains dieux ! C’est po une histoire qu’on entend souvent dans le coin ! s’écria l’un d’eux.

Peut-être le deuxième, peut-être le cinquième. Difficile à dire maintenant, car la nuit les avait tous chamboulé.

- Si tu veux tu peux rester chez nous autant de temps que tu le souhaite, déclara un autre, le premier sans doute.

- En échange, ma petite loute, tu devras tenir notre ménage. Faire la cuisine, les lits, laver, coudre, veiller à l’ordre et la propreté, ajoute un énième barbu, une lueur dans les yeux.

- Warum ? Nous n’avons pas besoin d’une domestique, sort un autre énième petit homme.

- J’accepte de tout coeur, répondit bêtement Blanche-Neige.

Ainsi, elle resta avec eux, veillant à ce que tout fût toujours en ordre. Le matin, les nains partaient dans la montagne pour faire leur affaire. Lorsqu’ils revenaient, le soir, le repas était prêt. Toujours, les nains l’invitaient à partager leur table. Plutôt deux fois qu’une, d’ailleurs.

Chaque soir se plaçait sous le signe de l’opulence pour la jeune fille. Son assiette terminée, les petits chefs lui servaient une nouvelle part de ragoût, de filet mignon, de boudin blanc ou de coeur de pigeon. De légume, il n’y avait trace, non sans un pincement pour la jeune fille qui se forçait de moins en moins à se laisser péter la panse.

Un beau soir de bamboche, un nain monta sur la table, une pleine pinte de gnôle à la main. Les autres applaudirent et s’emparèrent de leurs verres. Bien vite, Blanche-Neige, devenue grasse et pesante, se retrouva avec un bécher de cognac dans les mains. Sur la table, le nain porta une santé :

- Je lève, hic, mon verre à la divine Blanche-Neige, sans qui notre maisonnée n’aurait jamais pu accueillir une telle orgie. Mes cousins… frères… il est venu le temps de faire chanter la ripaille !

Ils vidèrent leurs verres et les cassèrent sur le bois de la table. Puis d’un bond seul, ils sautèrent sur la jeune fille.

Blanche-Neige cria de surprise. Torchée à l’eau-de-vie, c’est à peine si elle sentit une piqûre quand les tessons s’enfoncèrent dans sa graisse. Tout juste s’affola-t-elle lorsque sa vision devint plus trouble et qu’un nain joua au bouvier avec ses boyaux. Quand Blanche-Neige ferma les yeux pour l’éternité, l’auteur du discours les préleva au hachoir afin de parfaire son collier personnel.

Ainsi se termina l’histoire véritable de la douce et candide Blanche-Neige. Sa veillée funèbre dura trois jours et trois nuits, au terme de laquelle ses ossements soigneusement récurés furent placés dans un large cercueil de verre. Ainsi même dans la mort, on pût la contempler de tous côtés et les nains, appréhender les dauphins un peu trop curieux.

Quant à la belle-daronne, reine parmi les reines, elle était déjà morte depuis longtemps, emportée dit-on par une intolérance à la chair animale. Le bruit court que son mari a déjà retrouvé une épouse.

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