Chapitre 24 : Le Quartier des antiquaires

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 Le contrecoup du voyage n’avait pas mis longtemps avant de se faire sentir. Quelques heures à peine après leur arrivée sur la planète-frontière, des courbatures et un mal de crâne avaient saisi Adallia qui avait peiné à lutter contre ces désagréments physiques pendant les premiers jours. Elle n’avait eu, en revanche, aucun problème à retrouver son cycle de sommeil normal ni à s’habituer à la présence presque constante des deux soleils de Koutcha. Si bien que son corps avait presque fini par retrouver une seconde jeunesse après un certain temps et qu’elle n’avait eu aucun besoin des remèdes qu’elle avait achetés avant son départ. La jeune femme se demandait même si elle n’allait pas finir par les jeter.

 Adallia médita sur cela pendant que l’assistant technique qui gérait les volets de sa chambre laissaient progressivement la lumière filtrer à l’intérieur de la pièce. La jeune femme était déjà réveillée depuis un petit moment et avait envie de sortir prendre l’air. Elle fit une rapide toilette dans la salle de bain, s’habilla, puis ouvrit les portes du balcon. Tyrandre les avaient installés dans les résidences diplomatiques réservées au personnel de la Confédération. Dehors, l’atmosphère était particulièrement agréable. De grandes cours fleuries émaillaient les lieux tandis que les murs en pierre des bâtiments conféraient un cachet rustique à l’ensemble. Cet extérieur contrastait de prime abord avec la modernité que l’on trouvait au sein des appartements, mais les deux styles s’imbriquaient en réalité l’un dans l’autre avec goût et harmonie.

 Depuis son balcon, Adallia observait Scaracande qui n’était pas si paisible pour une petite cité. On entendait le tumulte s’élever des différents quartiers et se propager jusque dans le centre administratif de la ville, là où se trouvaient les résidences diplomatiques. Malheureusement, la liberté de mouvement de la jeune femme et de BIDI-O étaient restreintes par Kendar Wo-Cysbi qui les avaient cantonnés au seul centre. L’enquêteur leur avait expressément interdit de quitter cette zone sans son autorisation. La ville n’était pas des plus sûres au-delà de cette limite.

 Scaracande, comme toute bonne cité implantée sur une planète-frontière avait fructifié grâce au commerce avec les différentes civilisations et aussi aux trafics illégaux qui pullulaient très souvent dans les systèmes lointains. Elle avait attiré un nombre d’individus peu recommandables dont certains travaillaient comme mercenaires. Ceci expliquait que le Gouvernement central tolérait les activités illicites, car les mercenaires pouvaient intervenir dans les territoires en cours d’exploration où se développaient de nouvelles colonies. Leur appui permettait d’étouffer dans l’œuf toute velléité d’indépendance ou empêcher que ces colonies ne se rapprochassent de trop près des Cyborgs. Cette main d’œuvre était donc considérée par la Confédération comme un mal nécessaire, et Scaracande, une « cité-corsaire » où tout le monde pouvait y trouver son compte.

 Adallia et BIDI-O avaient visité de long en large la zone centrale de Scaracande placée sous bonne garde confédérale. Le problème était que même si l’endroit était plutôt joli, avec ses esplanades marbrées et ses longues allées bordées de différents végétaux, il n’y avait pas grand-chose à faire. Les gens présents dans cette zone étaient principalement des employés du Gouvernement qui ne leur prêtaient aucune attention, au point que la jeune femme et l’Androïde se demandaient si le personnel n’avait pas reçu des consignes à leur égard. BIDI-O avait tenté de prendre contact avec les rares Androïdes qui travaillaient dans les environs, mais ces derniers ne s’étaient pas avérés plus loquaces que les Humains.

 Pour aider tromper l’ennui, les deux compagnons avaient appelé en visio-holographique Kaïlye qui s’impatientait de savoir comment se passaient les choses pour eux. Ils lui avaient raconté leurs journées monotones et leur envie de partir explorer Scaracande. Bien qu’elle déplorât que ses amis ne pussent poursuivre leurs recherches comment ils l’entendaient, Kaïlye était rassurée de les savoir en sécurité et leur demandait de faire le plus possible attention au cas où ils seraient amenés à sortir. Elle essaya de masquer le fait qu’elle s’inquiétait davantage pour eux depuis qu’ils étaient partis et qu’ils lui manquaient terriblement. Au moins, Kaïlye avait tout le loisir de se disputer avec Sihryme et fit sourire ses deux amis quand elle leur raconta ses mésaventures avec l’archiviste.

 Ce matin-là où Adallia contemplait la vue sur Scaracande depuis son balcon, la jeune femme eut une pensée pour son amie. Adallia se dit qu’elle aurait peut-être mieux fait de rester sur Ordensis à ses côtés. « Quelle tristesse d’être arrivée jusqu’ici et de ne rien pouvoir faire » pensa-t-elle. L’air maussade, la jeune femme s’appesantit sur son sort tout en observant, lasse, l’activité qui grouillait dans la cité. Mais à mesure que son regard plongeait dans l’horizon et qu’elle se laissait porter par l’atmosphère vibrante de la ville, le vide finit par s’installer en elle et ses sentiments négatifs s’évanouirent d’eux-mêmes. Elle ne pensait désormais plus à rien, la lumière du soleil abondait tout autour et l’enivrait d’une étrange quiétude. Elle demeura ainsi pendant plusieurs longues minutes, d’un calme olympien, jusqu’à ce que son connecteur se mît à clignoter. Kumara Jiva venait de la contacter.

 L’antiquaire avait répondu au message qu’Adallia lui avait envoyé au moment de son arrivée sur Koutcha. Il acceptait de la rencontrer dans sa boutique située dans le Quartier des antiquaires de Scaracande. Sans plus attendre, la jeune femme prévint Kendar Wo-Cysbi qui finit par donner son feu vert pour qu’elle et BIDI-O se rendissent en ville accomplir leur tâche. En revanche, l’enquêteur veilla à ce qu’ils restassent sous bonne escorte ; il chargea son agent sur place, Tyrandre, de les conduire à destination et de garder un œil sur eux.

 BIDI-O n’appréciait guère le jeune agent. Malgré l’apparente politesse dont ce dernier avait fait preuve au début, il se révélait assez froid et ne leur adressait que rarement la parole lorsqu’il les croisait. De plus, l’Androïde le soupçonnait de ne pas seulement être chargé de leur protection. Le petit robot l’avait surpris à plusieurs reprises en train de les épier au loin, comme pour s’assurer que les deux comparses respectaient bien l’ordre qui leur avait été donné de ne pas partir à l’aventure seuls. Adallia n’avait rien remarqué de particulier à ce propos, mais ne trouvait pas cela incohérent avec la situation dans laquelle ils étaient. Ce qui la troublait davantage était plutôt le fait que Kendar Wo-Cysbi ne se chargeait pas lui-même de les emmener voir l’antiquaire.

 Au moment de partir en ville, Adallia repensa à ce dont l’agent et Kendar Wo-Cysbi avaient discuté le jour de leur arrivée à Sacaracande. Tyrandre avait informé l’enquêteur que des forces étaient en mouvement dans la cité et que les individus qui étaient liés au projet de « vie cybernétique » s’en prenaient à d’autres trafiquants et aux mercenaires qui foisonnaient dans les parages. Les deux agents du Gouvernement n’étaient pas rentrés dans les détails, mais Adallia avait bien compris qu’une tension palpable se développait dans les bas-fonds de Scaracande. La jeune femme se dit que Kendar Wo-Cysbi devait être trop occupé à gérer cette situation et que c’était la raison pour laquelle il ne les accompagnait pas. En même temps, cela allait de pair avec le fait qu’elle ne l’avait presque pas croisé depuis le début de son séjour, comme si l’enquêteur cherchait à les éviter, elle et BIDI-O. Elle aurait bien aimé l’interroger sur ce qui se passait. Toutefois, face à cette distance que Kendar Wo-Cysbi mettait entre eux, Adallia pressentait que ce dernier ne souhaitait pas qu’elle et l’Androïde fussent tenus plus au courant sur cette question, ne serait-ce que pour leur propre bien.


✽✽✽


 Dans la voiture à gravitation que conduisait Tyrandre, la jeune femme se tortillait dans tous les sens pour trouver une position confortable à cause des dernières courbatures qu’elle avait dans le dos. BIDI-O, lui, analysait de long en large le paysage qui défilait sous ses yeux robotiques. Les zones périphériques de Scaracande étaient beaucoup plus pittoresques. La promiscuité des lieux se faisait ressentir par des passages étroits dans lesquels s’engouffraient les voitures qui peinaient à se frayer un chemin entre les passants. Heureusement, plusieurs canaux avaient été construits à différents endroits de la ville afin de permettre un meilleur trafic et de relier les principaux quartiers.

 La voiture emprunta l’une de ses voies remplies d’eau au-dessus de laquelle des véhicules lévitaient et formaient de longues lignes. La présence de l’eau avait pour but de dissuader les conducteurs de s’arrêter et de permettre une fluidité de circulation. Quelques patrouilleurs de la Confédération naviguaient dans les canaux et vérifiaient qu’aucun incident ne survenait. De grands panneaux holographiques s’élevaient également dans les airs et rappelaient aux habitants et aux étrangers les règles à respecter à Scaracande.

 De chaque côté des artères fluviales, des bâtiments blancs à colombages, les pieds dans l’eau, juxtaposaient les entrées et sorties de plusieurs quartiers. Le véhicule dirigé par Tyrandre vira dans l’un d’entre eux où il était écrit « Bazar du bizarre », ce qui ne manqua pas d’interpeller Adallia qui trouvait le nom aussi étrange qu’original.

 La voiture alla ensuite s’arrimer le long d’un quai. BIDI-O fut le premier à sortir en bondissant sur le dock et en roulant dans tous les sens. Adallia vint à sa suite, heureuse de pouvoir se dégourdir les jambes et s’étirer. Une série d’odeurs d’encens émanaient dans l’air et éveillaient les sens. La jeune femme tenta d’identifier les arômes, mais n’y parvint pas. Ce n’était d’ailleurs pas la seule chose qui lui était étrangère. Elle vit ce qu’elle n’avait qu’entraperçu au spatioport de Mazabeha, à savoir une atmosphère ésotérique portée par une population provenant d’autres systèmes frontaliers. La plupart des visiteurs dénotaient par leurs habits, leurs dialectes et même leurs façons de se mouvoir. Ces caractéristiques culturelles étaient pour beaucoup influencées par d’autres espèces biologiques.

 Près de l’endroit où Adallia et BIDI-O venaient d’accoster, un groupe d’hommes et de femmes vêtus de voiles et de longues robes marchaient en file indienne, les mains jointes au niveau du bas-ventre, pour signifier leur appartenance à une caste religieuse. Aucun Humain n’avait l’habitude de procéder ainsi. En revanche, cela était fréquent chez les espèces qui communiquaient uniquement par mouvement des membres du corps.

 Tyrandre mit pied à terre à son tour. Il s’assura que le véhicule qu’il avait emprunté à la Confédération était bien verrouillé et pria la jeune femme et l’Androïde de le suivre dans le bazar adjacent. Le jeune homme, l’air concentré, conservait son mutisme coutumier et se contentait de les conduire à bon port en menant la marche.

 Adallia se plaça à ses côtés, histoire de le bousculer un peu.


 Où sommes-nous exactement ? demanda-t-elle.

 Euh... Nous nous dirigeons vers le Quartier des antiquaires, répondit Tyrandre, pris au dépourvu.

 Oui, bien sûr, j’ai regardé sur une carte où habitait l’antiquaire, mais ma question est plutôt de savoir qu’est-ce que c’est le « Bazar du bizarre » ? précisa la jeune femme.

 C’est une zone réservée aux marchandises importées des autres cités de Koutcha. La majorité des produits ici ont été acquis dans la cité cybernétique de la planète puisque c’est là qu’ont lieu les échanges entre espèces. Le Quartier des antiquaires fait partie de cette zone.

 Et c’est dangereux ici ?

 Les gardes que vous voyez dans le coin sont surtout là pour vérifier que les commerçants sont en règle, répondit de façon ambiguë le jeune agent.


 Au milieu des allées bondées de visiteurs parcourant les innombrables boutiques déambulaient effectivement des agents de sécurité de la Confédération accompagnés de petits cyber-robots. Les machines scannaient les objets placés dans les devantures et vérifiaient que ceux-ci étaient bien enregistrés dans l’inventaire officiel des magasins et autorisés à la vente.

 Le contraste entre les agents avec leur look parfaitement soigné et les locaux avec leurs détonantes apparences extra-confédérales était flagrant. Ce qu’il y avait d’encore plus évident était la fébrilité qui se lisait dans l’attitude des agents, dévisagés par les marchands et les voyageurs qui les frôlaient. Adallia remarqua des armes rangées au niveau des ceinturons des gardes, à moitié dissimulées sous leur manteau militaire. Le Gouvernement cherchait à imposer son autorité sans pour autant paraître trop provoquant et malmener les mœurs de la cité. Étant donné la réputation de trafics à Scaracande, Adallia avait du mal à croire que ces inspections ciblées avaient une quelconque efficacité sur la contrebande.

 Un peu plus loin, une bagarre venait d’éclater. Une foule s’attroupa devant les querelleurs qui se disputaient à propos d’une transaction douteuse. Le marchand reprochait à un homme de l’avoir payé avec de la fausse monnaie. Sur les planètes-frontière, l’argent numérique n’était pas toujours utilisé, car on désirait utiliser un système monétaire physique local plus facilement échangeable avec les autres espèces. Cette situation favorisait l’apparition de monnaies contrefaites et l’on préférait même parfois avoir recours au troc. L’acheteur, un solide gaillard peu accommodant qui rappelait le style des baroudeurs qu’Adallia avait croisé lors de son voyage jusqu’à Koutcha, clamait avoir été trompé et ne pas savoir qu’il s’agissait de faux billets. Les agents de sécurité accoururent sur place et séparèrent les deux belligérants.

 BIDI-O, trop petit pour voir ce qu’il se passait, chercha un point surélevé pour grimper dessus, sans succès. Il demanda à Adallia de lui décrire la scène, mais la jeune femme ne voyait pas tout à cause de la masse compacte de gens, et entendait surtout ce qui se tramait. Pour mettre fin au contentieux, les agents proposèrent à l’homme robuste de restituer l’objet acheté et de lui confisquer lesdits billets après vérification des faits, ce qu’il accepta. Néanmoins, le marchand n’en fut pas satisfait pour autant et réclama l’arrestation du client, ce qui relança de plus belle la dispute. La plèbe abonda dans le sens du marchand, outrée que l’autre individu n’eût pas été appréhendé pour contrefaçon. L’atmosphère devenait électrique et les agents n’eurent d’autre choix que de mettre aux arrêts l’acheteur qui n’opposa, contre toute attente, pas plus de résistance.


 C’est courant ici, déclara stoïquement Tyrandre tout en observant l’incident.


 C’était peut-être vrai, mais Adallia comprenait l’indignation des gens. Le comportement des gardes envers le prévenu semblait beaucoup trop conciliant, et lorsqu’ils emmenèrent l’homme, celui-ci ne chercha pas à se débattre bien que sa force aurait pu lui permettre de tenter quelque chose. Adallia comprit aux invectives que lui lançaient plusieurs personnes qu’il s’agissait d’un mercenaire et qu’il était probablement couvert par les autorités.


 Ne le relâchez pas trop tôt ! railla une femme d’une voix amère.


 Si elle en doutait encore, cet épisode confirmait bien à Adallia qu’elle avait atterri ailleurs. L’altercation était désormais terminée et la foule se dispersa. Tyrandre en profita pour faire signe de le suivre et de reprendre la direction du Quartier des antiquaires.


✽✽✽


 Au détour d’une ruelle, les trois protagonistes tombèrent nez-à-nez devant une statue en bronze qui trônait sur un socle au centre d’une place. L’œuvre représentait un animal-totem, un gardien céleste, courant dans les croyances des systèmes frontaliers, et qui était représenté ici de façon curieuse. La bête, un fauve aux poils touffus et soyeux parfaitement retranscrits, avait été personnifié avec une couronne et des bijoux d’apparat ainsi que des objets rituels dans des bras qui lui avaient été adjoints sur les côtés. Sa personnification reflétait l’importance accordée à certaines pratiques consistant à diviniser davantage des figures tutélaires. En le voyant, Adallia ne put s’empêcher de penser au symbole chimérique de la peinture sur la  « vie cybernétique ». Elle se demanda si ce dernier ne pouvait avoir un lien avec une forme de déité protectrice.

 La statue marquait l’entrée du Quartier des antiquaires. Ici, le secteur était beaucoup moins fouillis et aucun étal de bric-à-brac n’était laissé à l’extérieur. Chaque boutique était installée le long de galeries couvertes d’arcades. Les lieux étaient particulièrement bien entretenus et fleuris avec de petits arbres aux feuilles pennées ou palmées. Des cafés, où l’on parlait affaires, étaient disséminés à plusieurs endroits. Les gens étaient plus posés et donc moins bruyants. Le Quartier des antiquaires ressemblait à une arrière-cours du « Bazar du bizarre » où l’on se serait volontiers exiler le temps d’un instant pour s’asseoir à l’une des terrasses des cafés et admirer les œuvres exposées dans les galeries.

 Peu après, le jeune agent arrêta Adallia et BIDI-O à proximité d’une nouvelle place, ceinturée là aussi par un réseau de galeries. Il se tourna vers les deux protagonistes et leur dit :


 La boutique de l’antiquaire est juste au bout de ces arcades, à votre gauche. Je vous attendrai dehors pendant que vous vous entretiendrez avec lui. Si jamais il devait y avoir un problème, envoyez-moi un signal avec votre connecteur.

 Euh... bien, c’est entendu, répondit la jeune femme qui n’avait pas imaginé que quelque chose pût mal se passer.

 Je veille sur Adallia, lâcha l’Androïde à l’adresse de l’agent, comme pour chercher à le provoquer.


 Tyrandre n’y prêta pas attention et alla s’installer avec nonchalance sur une terrasse de la place. Adallia et BIDI-O suivirent timidement le chemin indiqué juste auparavant par l’agent et remontèrent une série de boutiques richement décorées. La dernière d’entre elles n’avait rien à envier aux autres et présentait une façade qui laissait ressortir la lumière jaune intérieure.


 C’est ici ? demanda Adallia en regardant BIDI-O.

 Je crois bien, dit l’Androïde qui osa pénétrer dans l’antre en faisant coulisser la portée d’entrée.


 La jeune femme entra à son tour.

 La pièce principale du magasin faisait preuve de beaucoup de raffinement avec un mobilier ancien et exotique aux couleurs chatoyantes, ainsi que des peintures accrochées aux murs et des sculptures posées sur les meubles. Les thèmes iconographiques, aussi bien que les techniques utilisées, étaient très variées et renvoyaient à des mondes d’une incroyable complexité qu’il n’était pas toujours aisé d’identifier.

 BIDI-O fit le tour la pièce afin de chercher le propriétaire. Adallia, elle, savoura du regard la collection d’antiquités qui traînaient un peu partout. Mais une autre porte coulissante s’ouvrit à l’arrière du magasin. Un vieil homme, la barbe aussi blanche que ses cheveux, élégamment habillé avec un nœud papillon et un chapeau, se présenta à eux.


 Bonjour, est-ce que je peux vous aider ? dit-il d’une voix tout à fait charmante.

 Oui, nous avons rendez-vous avec M. Kumara Jiva, répondit Adallia qui trouvait que l’homme n’était pas si mal pour son âge.

 C’est moi-même. Ah, vous êtes sûrement Mademoiselle Nalanda ! Vous avez trouvé votre chemin sans difficulté ? s’enquit aimablement l’antiquaire.

 Euh... oui, même si je dois dire que beaucoup de choses sont assez insolites pour moi sur cette planète.

 Je veux bien vous croire. Et qui est votre compagnon ici présent ?


 L’Androïde vint se placer devant le vieil homme et lui tendit sa main mécanique par politesse. Il reproduisait ainsi, avec beaucoup plus d’assurance, ce qu’il l’avait appris à faire avec Kendar Wo-Cysbi.

 Kumara Jiva s’étonna du geste du petit robot, et lui serra la main avec un grand sourire.


 Voici, BIDI-O, annonça Adallia, il s‘agit de mon assistant.

 Je vois, et bien enchanté à tous les deux.

 Nous aussi, Monsieur, fit BIDI-O qui, en revanche, ne savait toujours pas quand relâcher la poignée de main.

 Vous avez de très belles œuvres dans votre boutique, fit remarquer Adallia qui souhaitait débuter la conversation sur de bonnes bases, et en faisant signe à l’Androïde d’arrêter son geste de salutation. Vous êtes installé ici depuis longtemps ?

 Cela fait quelques temps déjà, répondit le vieil homme, toujours d’un ton sympathique. J’ai été antiquaire toute ma vie. Je travaillais autrefois dans différents secteurs galactiques de la Confédération. Et puis, quand les Cyborgs ont ouvert Koutcha aux Humains, j’ai voulu prendre le large et m’installer ici, car il semblait y avoir un bon filon pour le marché d’art.

 Oui, il semblerait qu’on trouve sur Koutcha des œuvres uniques.

C’est exact, et je crois avoir compris que vous faites référence à la peinture sur laquelle j’ai écrit dans Réminiscence. Celle-là même qui vous a conduit à réaliser un si long chemin pour me rencontrer.


 Adallia, heureuse que l’antiquaire abordât la question, alluma son connecteur et fit apparaître l’image holographique de la peinture sur la « vie cybernétique ».


 Quelle étrange peinture, n’est-ce pas ? nota l’antiquaire en s’approchant.

 Oui, je n’ai jamais vu de représentation religieuse dans le cadre de la cybernétique. C’est pour cela que j’aimerais en savoir plus à son propos, dit simplement Adallia.


 Kumara Jiva fit tourner l’image de la peinture sur elle-même, comme pour vérifier qu’ils parlaient bien tous deux de la même œuvre.


 Pourtant, et si je puis me permettre, vous n’êtes pas spécialiste d’art d’après ce que vous m’avez dit. Pourquoi faire des recherches dessus ? demanda-t-il.

 Euh... c’est-à-dire qu’en tant qu’historienne, je souhaiterais savoir s’il existe une culture cybernétique à travers l’art religieux.


 L’antiquaire parût à la fois surpris et intéressé.


Vous faites donc partie de ces chercheurs qui défendent l’idée d’une culture cybernétique, n’est-ce pas ? dit-il.

 C’est cela... répondit bêtement et en grimaçant Adallia qui ne savait pas vraiment si cela jouait en sa faveur.

 C’est intéressant. Pouvez-vous m’en dire plus ?

 Euh... En fait, je cherche plus précisément à voir si cette peinture ne représenterait pas un système de croyances cybernétiques.

 À quoi pensez-vous précisément ?


 Adallia hésita quelques instants avant de formuler :


 Dans votre article, vous expliquiez que la présence des machines au centre de chaque assemblée renverrait à une « âme cybernétique ». Je me demande s’il ne s’agirait pas plutôt de « conscience cybernétique ».

 Je dois dire que c’est une remarque pertinente, abonda l’antiquaire d’un air impressionné. Et qu’est-ce qui vous a amené à cette conclusion ?

 C’est grâce à BIDI-O, expliqua Adallia. Il travaille sur la transrobotique, et c’est lui qui m’a mise sur cette voie.


 L’Androïde hocha la tête pour approuver ce que disait Adallia.


Nous essayons de comprendre la « vie cybernétique », déclara-t-il en direction du vieil homme.

 Oui, ce concept est aussi intriguant qu’il est sujet à débat, dit l’antiquaire.

 Que voulez-vous dire ? demanda Adallia, curieuse à son tour.

Je me suis toujours demandé pourquoi les Assegaï s’intéressaient tant à cette peinture.


 Les propos de Kumara Jiva confortaient intérieurement Adallia dans l’idée que les Cyborgs cachaient peut-être quelque chose. La jeune femme poursuivit :


 En savez-vous justement plus sur la « vie cybernétique » ?

 Pas davantage malheureusement, et c’est notamment la raison pour laquelle j’ai publié un article sur cette peinture lorsque j’ai appris que la revue Réminiscence désirait consacrer un numéro sur Koutcha. J’espérais qu’une diffusion large permettrait d’attirer des gens plus spécialisés qui m’aideraient à identifier cette œuvre.


 Adallia et BIDI-O se regardèrent. Le geste n’avait pas échappé à l’antiquaire qui demanda :


 Mais peut-être en savez-vous plus que moi à ce sujet ?

 Hm... tout n’est que supposition, avança prudemment Adallia qui cherchait le moyen de ne pas parler directement de l’enquête de Kendar Wo-Cysbi.

 Je comprends. Néanmoins, cela ne coûte rien de m’en parler, vous savez, dit Kumara Jiva d’une voix honnête.


 BIDI-O finit par répondre à la place de la jeune femme, toujours indécise sur ce qu’elle était prête à révéler :


 Nous pensons que la peinture représente un système de croyances autour de la singularité technologique, et que c’est ce qui explique pourquoi elle intrigue les Assegaï, expliqua-t-il de sa voix robotique.

C’est cela, abonda Adallia avec plus d’assurance et contente que BIDI-O eût pris l’initiative d’aborder les choses de cette façon. Et c’est pourquoi nous aurions besoin de comprendre d’où vient ce concept de « vie cybernétique ».

Savez-vous comment les Assegaï sonts entrés en possession de la peinture ? ajouta BIDI-O.


 Le vieil homme dévisagea les deux compagnons et leur dit avec pragmatisme :


 L’ennui est qu’il faudrait pouvoir interroger ceux qui travaillent pour eux.

 Qui sont-ils ? demanda promptement Adallia.

Ce sont des Hybrides...

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