Chapitre 2 1/3

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Dessus-le-Trou n'a pas toujours été sous le joug de la misère. Cette cité des hommes naquit de la volonté de quelques âmes de profiter du nombre croissant de convois chargés de marchandises et marchands, attiré par le commerce grandissant des nains vers le monde extérieur.

Ainsi s'érigèrent petit à petit auberges et échoppes en tous genres, et toutes infrastructures nécessaires à la bonne santé d'une cité.

Mais le temps passa, et peu s'arrêtaient à Dessus-le-Trou, préférant le confort de la ville naine en deça. Lorsqu'il fut évident que ce carrefour ne tenait pas ses promesses de prospérité, et face aux difficultés engendrées par l'environnement froid et aride, beaucoup décidèrent de l'abandonner.

C'est ainsi que Dessus-le-Trou devint ce qu'elle est aujourd'hui : la dépouille d'une cité inachevée, dont les restes défraichis ne sont maintenant habités que par ceux qui n'ont pas les moyens d'en partir... ni de la faire vivre.

 Elbert Fortz, "Nos cités, l'âme de notre civilisation."

 Vart Erco aimait le chant des oiseaux. Il les connaissait tous, et savait exactement à quel animal correspondait chaque mélodie. Il s'agenouillait souvent à l'ombre d'un bosquet, fermait les yeux pour savourer les gazouillements reposants.

 Il avait aussi développé un don dans l'art de les imiter. De temps à autre, un oiseau se laissait tromper et s'approchait, piaillant et sautillant en quête de son congénère, paradant parfois lors de la saison des amours.

 Et Vart l'abattait, d'une flèche bien placée.

 En revanche, il détestait les nains, ces égoïstes nabots, cupides et insensibles. Après la chasse, à chaque retour à Dessus-le-Trou, la même colère sourde l'envahissait. Les mendiants affamés, les détrousseurs à la petite semaine. Les maisons de fortune, et les tentes en chanvre. Le rempart et la Grand'Porte.

 Un rempart érigé pour empêcher les miséreux et les indigents de descendre se réfugier à Grand'Arch.

 Tous avaient un jour essayé d'y pénétrer. Tous s'étaient fait rabrouer et jeter dans la boue.

  • Vart ! Par ici !

 Il se détourna de la triste vision des rebuts et s'approcha de l'homme qui venait de l'interpeller.

  • Bodran.
  • La chasse a été bonne, à ce que je vois, dit ce dernier en souriant.

 Un unique gibier pendait à la ceinture de Vart, qui cracha par terre.

  • Ces maudits piafs deviennent chaque jour plus rusés.
  • Ce n'est pas grave, ce n'est pas grave ! Je dois te montrer quelque chose ! dit-il enjoué.

 L'homme fit un signe de tête en direction d'une maison délabrée, un peu plus loin, et s'y dirigea prestement malgré sa jambe gauche estropiée.

 Vart le suivit. À l'intérieur, le plancher craquait à chaque pas, et la lumière du jour filtrait à travers les fentes des murs rongés par le temps. L'endroit était vide, à l'exception d'une table et de quelques vestiges d'un mobilier sommaire.

 Sans l'attendre, Bodran révéla une trappe sous une pile de débris soigneusement désorganisé et s'y engouffra.

  • On a trouvé quelque chose, dit-il lorsqu'ils furent en bas. Tu vas pas en croire tes mirettes.

 Ils suivirent un étroit passage en terre creusé, et déboulèrent dans une pièce exigüe. De petits coffrets y étaient entreposés, ainsi qu'un homme ligoté et bâillonné.

  • Regarde ! Regarde dans les caisses ! jubila l'infirme.

 Il ne tenait plus en place. S'il le pouvait, il aurait sautillé d'excitation.

 Vart s'approcha de l'un des écrins et l'ouvrit. Ses yeux s'illuminèrent. De l'or. De l'or, jusqu'à ras bord.

  • Et c'est pas tout, regarde dans celle-ci !

 Vart suivit la direction du doigt fébrile. Une douzaine de pierres précieuses s'offrirent à lui. Des rubis, des émeraudes, des saphirs. Tous taillés avec une extrême précision.

  • C'est fini ! s'écria Bodran en souriant à pleines dents. Hein ? Cette vie misérable. On va enfin pouvoir rentrer dans Grand'Arch ! Les nains vont tomber sur le cul ! Lorsqu'ils verront ça, ils nous laisseront entrer comme des princes !
  • Les nains ? demanda froidement Vart.

 Le sourire de Bodran disparut lentement pour laisser place à l'interrogation.

  • Eh bien... oui? répondit-il.
  • Je n'ai cure des nains ! Dois-je te rappeler ce que nous endurons chaque jour, par leur faute ? Si je le pouvais, je leur ferais avaler ces pièces pour qu'ils s'étouffent avec !

 Les deux hommes s'observèrent pendant un instant.

  • Mais... qu'est-ce qu'on va en faire, alors ?
  • Et lui ? éluda Vart en faisant un signe de tête à l'inconnu toujours ligoté.
  • Il était avec. On a essayé de le faire parler, mais il n'a même pas ouvert la bouche.

 Vart prit l'une des gemmes, l'observa pendant un instant, puis s'amusa à la faire rouler entre ses doigts alors qu'il réfléchissait. S'il jouait fin, l'occasion se présenterait enfin pour lui de s'élever hors de la misère de Dessus-le-Trou.

 Il se déplaça et se mit face à l'homme, impassible. Lentement, il décocha une flèche de son carquois, le regard percé de malveillance.

  • À ton avis, demanda-t-il à l'attention de l'estropié, quel genre de chant pousse un homme lorsqu'on lui décolle les ongles ?

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