Chapitre 4 1/5
L'odeur de sang et de fumée s'insinuait jusque sous terre. Étouffé dans le lointain, Lieserl entendait le bruit des armes et des boucliers s'entrechoquer, les cors retentissant par delà les cris, et les braisiers qui crépitaient sous le vent.
"Comment en suis-je arrivé là ?"
Assis en tailleur au milieu d'une pièce exigüe creusée à même la terre, Lieserl fixait l'étroit passage qui menait à la sortie. Maintes fois, il avait essayé de soulever la trappe qui surplombait l'échelle de corde, sans succès. Maintes fois, il était revenu à son emplacement d'origine, en jetant un bref coup d'oeil à ce que contenait la salle. Des caisses remplies d'or et deux hommes ; l'un ligoté et torturé, un oiseau écrasé dans la bouche ; l'autre le regard éteint, affalé contre le mur, de la bave dégoulinant sur sa tunique.
"Comment en suis-je arrivé là ?"
Il ne cessait de se poser cette question, incrédule de l'irréelle vérité de la réponse.
Il se remémorait son séjour dans les catacombes, sa rencontre avec Thrill, toutes ces journées vécues avec lui, heureux. Que devenait-il ? Où était-il ? Et Belette, la chèvre, lui manquait-elle ?
Affamé et désespéré, comme aux premières heures de son existence, il se demandait si ce n'était pas les dernières qu'il vivait. Alors il se plongea dans ses souvenirs. Car c'est tout ce qui lui restait.
***
- Au fait, moi c'est Bodran, dit l'homme alors qu'ils clopinaient tous deux en direction d'une cabane de fortune.
L'homme semblait être apprécié parmi les mendiants. Il souriait à chacun de ceux qu'il croisait, et les visages s'illuminaient par là même. Comme une petite once d'agréable se baladant au milieu du malheur.
- Dis, Bodran, comment le soleil il tient, là-haut ?
- Tu es un petit homme curieux, répondit-il. Ma mère me disait souvent que le soleil, c'était des milliards de petites chandelles allumées par les anges pour nous réchauffer et nous éclairer.
Lieserl sourit à son tour. La réponse lui plaisait. Elle n'était pas si éloignée de celle qu'il avait donnée à Thrill.
- Dans les Terres-Nadir, il paraît qu'il y a plein de soleils, mais des tout petits disséminés partout dans la nuit, comme des petites lucioles qui volent.
- Ce doit être beau... J'aimerais bien y aller pour voir ça.
Bodran s'arrêta, et lui prit les épaules en le regardant dans les yeux.
- Il faut que tu gardes espoir, petit curieux. Si c'est le cas, tu pourras faire ce que tu veux.
- Tu as gardé espoir, toi ?
- Oui. C'est très important. Et tu vois, je fais ce que j'ai toujours désiré faire. J'aide les gens, et j'essaie de leur redonner confiance en l'avenir.
- Pourquoi eux, ici, et pas d'autres ?
- C'est une longue histoire, un peu triste. Je te la raconterai une autre fois, d'accord ?
- D'accord ! Et quand tu auras fini ici, on ira aux Terres-Nadir pour contempler les milliers de soleils dans le ciel !
Bodran s'esclaffa, un rire franc et jovial.
- Tope là, petit curieux !
Quelques minutes plus tard, ils pénétrèrent dans une vieille maison délabrée, dont la lumière filtrait à travers les murs rongés par le temps.
- Tu peux rester ici autant que tu veux, dit Bodran. Ça ne paye pas de mine mais ... j'essaierai de t'apporter un peu de nourriture, et quand tu te seras remis de ces vilaines blessures, je t'apprendrai à en trouver toi-même, d'accord ?
- Merci Bodran, dit Lieserl en hochant la tête.
- Essaye de dormir un peu. Je vais essayer de trouver un peu de consoude pour ton oeil.
Avec un ultime sourire, il s'en alla.
Pour la première fois depuis longtemps, Lieserl sombra immédiatement dans le sommeil.
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