Chapitre 4 4/5
- C'est risqué.
Thrill ne répondit pas, entièrement conscient des périls à venir. Les vents gémissants de panique qui s'engouffraient dans les rues, tels des fantômes plaintifs, ne l'aidaient pas à oublier.
Il s'en serait volontiers passé. Tous ces propos affolés, filtrant à travers les fenêtres et statuant de l'avenir incertain de Grand'Arch, ne faisaient que lui rappeler la situation de Lieserl. Son coeur se serrait à chaque mention du carnage de Dessus-le-Trou.
- Tu n'as pas de plan, continua Alinor.
- Bah ! Facile, on monte, on le récupère, et on s'en va.
Alinor sourit.
- Ce n'est pas un plan.
Le nain se retourna vers elle et croisa les bras. Autrefois, il avait été séduit par la franchise et l'assurance permanente de l'elfe. Cependant, l'angoisse de ces derniers jours ne laissait désormais place qu'à l'agacement.
- Je te remercie de ton soutien ! Et, à part d'évidentes affirmations, tu as mieux à proposer ?
- En effet.
- Ne me fais pas tourner en bourrique, ce n'est pas le moment ! pesta le nain après quelques secondes de silence.
- Il ne faut pas être un génie pour deviner ce qui va se passer. Grand'Arch s'est beaucoup agrandi ces dernières années, et, avec elle, sa population. D'ailleurs, j'ai été impressionnée en arrivant, dit-elle avec une lenteur calculée.
- Bon sang, mais abrège !
- Cette cité n'a plus les moyens de sustenter tous ses habitants. Vous êtes devenus dépendants des importations. L'Arcanie ne se risquera pas à une bataille frontale, ils vont faire durer le siège jusqu'à ce que vous mourriez de faim. Votre roi n'aura d'autre choix que de le briser, ou se rendre.
- Je ne vois pas en quoi ça arrange nos affaires. Il y a toujours un amas de pourritures d'arcaniens devant nos portes.
- C'est pourtant évident. Dans les deux cas, la réponse sera rapide. Si l'abdication est décidée, nous pourrons sortir. Sinon, au pire, le chaos du combat nous servira, au mieux, il se déroulera à l'écart de Dessus-le-Trou.
Thrill réfléchit un instant.
- Donc, tu me demandes d'attendre de voir ce qui va se passer ?
-Non.
Le nain soupira d'agacement. Alinor avait toujours aimé se jouer de lui pour ressentir ses tumultueuses émotions. Il n'avait jamais compris pourquoi.
- Comment ça, non ?
- Je te demande de te dépêcher et (elle appuya sur ce mot) d'attendre. Tu sais aussi bien que moi l'alternative que choisira Raygin. Alors prépares-toi ou tout ce que je viens de t'exposer sera passé lorsque nous sortirons d'ici.
Thrill se retourna, le visage rougi par la colère.
- Me dépêcher... Me dépêcher, qu'elle dit, alors qu'elle expose sa biographie... bien les elfes, ça... grogna-t-il dans sa barbe.
Pendant les minutes qui suivirent, le nain s'évertua à rassembler rageusement quelques affaires de voyage tout en tirant longuement sur sa pipe.
- Les Terres-Nadir, c'est pas tout à côté. Tu es sûr que ce sera utile ? reprit-il lorsqu'il fut calmé.
- Rien n'est sûr. Toutefois, mon coeur me dit que nous y trouverons quelques réponses, oui. Mais...
- Mais... ?
- Je ne sais pas, répondit-elle, la voix soudainement inquiète. Je ressens... Je ne sais pas.
Thrill fronça les sourcils. L'instinct elfique était un sixième sens conférant certaines certitudes dépassant ceux qui en étaient dépourvus. Qu'il soit source du contraire n'était pas habituel.
Sans insister, le nain se dirigea vers la porte d'entrée. Un courant d'air froid s'engouffra dans la maisonnée, le faisant frissonner malgré l'épais manteau en fourrure, les gants en laine et les bottes matelassées qu'il portait.
- Bonté de Pierre, entre l'assaut et ces températures, on finirait presque par croire tous ces fous qui disent que Tu ne veux plus de nous, murmura-t-il en sortant.
Au-dehors, Belette était paisiblement endormie sur son flanc. Elle se releva péniblement en bêlant à l'approche de Thrill.
- Alors, ma grande, ces températures ne te sont pas très agréables, n'est-ce pas ?
Il lui caressa l'encolure, puis la dirigea vers le portail du clos.
- C'est ici que nos chemins se séparent, brave bête. Il fait trop froid pour toi là où on va. Allez, file !
Encouragée par une petite tape sur l'arrière-train, Belette s'éloigna dans les ruelles de Grand'Arch, avant de s'affaisser à nouveau contre un bâtiment.
- Pas en forme, la bestiole.
- Il se passe des choses étranges, ici. Ce froid semble plus dense que la normale. Nous devrions partir.
Thrill acquiesca - sans pour autant comprendre le sens de ses mots - et se retourna une dernière fois vers son foyer, tandis que l'elfe aux cheveux de jais posait une main sur son épaule.
- Tu reviendras, et elle sera là pour t'accueillir à nouveau.
Le nain ne répondit pas, la mine grave et fatiguée. Il ne possédait pas sa clairvoyance, mais il devinait toujours quand elle mentait.
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