Cela fait deux heures qu'il l'attend

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    Ça fait deux heures qu’il l’attend. Il sait qu’elle viendra. Il a confiance en elle : jamais elle ne l’a déçu. Seulement, c’est une femme imprévisible. Elle viendra ce soir. Mais il ignore l’heure exacte.

    Il a tellement hâte de la revoir ! Il faut absolument qu’il lui demande… Osera-t-il ? Elle n’aime pas qu’il doute d’elle.

    Il lui a donné rendez-vous à l’orée de son bois privé. Au moins, ils seront tranquilles.  Tout à l’heure, il l’a décidé, il lui posera LA grande question. Grâce à l’endroit qu’il a choisi pour cela, romantique à souhait, il est sûr que personne n’écoutera : on ne le déstabilisera pas, et il parviendra peut-être à lui faire sa demande sans bégayer.

    Il regarde autour de lui. Oui, décidément, c’est l’endroit idéal. Isolé. Calme. Splendide. A quelques pas de lui, une petite mare perdue entre les chênes. L’eau est claire, étonnement claire. Transparente. Un peu trop.L’air embaume la mousse, la terre et la verdure. Il perçoit le doux murmure du vent dans les branches, faisant virevolter les feuilles ocres, oranges et dorées de l’automne ; ainsi que les discrets clapotis de l’eau lorsqu’une grenouille plonge dans la mare ou qu’une feuille se dépose délicatement à sa surface.

    Il regarde le reflet que lui renvoie l’eau cristalline. Un homme, jeune. Trente ans tout au plus. Blond, les cheveux ramenés en arrière. Des yeux pleins de cils, qui se perdent entre le bleu et le gris. Il porte un costume noir haute couture, qui lui donne un peu plus de carrure qu’il n’en a réellement.  Ses lèvres esquissent un sourire, en coin… ravageur. Le rendu est tel qu’il l’a voulu : parfait. La confiance en lui et l’élégance émanent de tout son être. Du moins en apparence.

Il jette un œil au bracelet en or qu’on devine à son poignet. Les aiguilles indiquent 23h16.

    Sa main droite plonge dans la poche de son veston. Rassuré, il constate que l’écrin est toujours là. C’est pour elle. Et elle n’attend qu’une chose : qu’il lui offre, il en est certain.

Il est en train de réfléchir à la façon dont il lui posera la question. Bien choisir chaque mot, qu’il n’y ait aucun doute possible. Il n’espère qu’une chose : qu’elle lui dise oui.

Il attend d’entendre cette réponse depuis si longtemps ! Il réfléchit… Oui, cela fait bien plusieurs mois.

Son pied tape le sol, en rythme, preuve de son impatience.

Son cœur fait un bond. Il entend le moteur d’une voiture. C’est elle ! Forcément, qui d’autre ?

    Il la voit maintenant. Il observe cette petite voiture noire, de ville, un peu exigüe, aux vitres teintées.  Elle change souvent de voiture. Pour l’instant, il n’a donc aucune certitude sur l’identité du conducteur, ou, il l’espère, de la conductrice. Le moteur est coupé, l’automobile garée tout au bord de la forêt.Une, puis deux minutes passent. Il commence à paniquer. Pourquoi ne sort-elle pas ? Elle doit avoir deviné ce qu’il veut lui demander, et elle hésite. Il ne voit que cette solution.

    Enfin ! La portière s’ouvre. Il voit une longue jambe fine, se finissant sur un escarpin noir et brillant, en émerger. Un frisson le parcourt. C’est bien celle qu’il attend. Ils se toisent l’un l’autre, un instant. Il a face à lui une femme magnifique. Ses longues boucles ébènes courent sur ses épaules nues, continuent jusqu’à un charmant décolleté, qu’il s’empêche de fixer. Une robe légère, noire, souligne sa taille, les volants caressent ses jambes métisses. Malgré son corps d’une beauté évidente, la première chose qui l’attire chez elle, ce sont ses yeux. De grands yeux verts, qui tirent étrangement sur le doré, le fusillent d’un regard à couper le souffle.

    Déchirant le silence, un « Bonsoir, Ulysse. » s’échappe de ses lèvres finement ourlées.

Il s’avance, et baise sa main, avant de prononcer à son tour : « Bonsoir, Pénélope. »

Ils discutent quelques minutes de la pluie et du beau temps, mais rien sur leur vie personnelle. Ils savent déjà tout ce qu’il y a d’intéressant. Et ils sont trop secrets pour cela.

Après ces quelques civilités, Pénélope demande : « Alors, pourquoi m’as-tu fait venir ce soir, hmm ? »

« Tu… tu n’as donc pas compris ? » souffle Ulysse. Elle lui répond que si, mais qu’elle veut lui entendre dire. Il déglutit. La regarde bien fixement. Ses yeux l’hypnotisent. Il inspire profondément, et se lance enfin… Ses yeux brillent de mille feux.

« Pénélope, t’es-tu occupée de Scylla ? » Reprenant tout son sérieux, la dite Pénélope, répond un simple « oui », qui glace le sang de son interlocuteur.

« C’est-à-dire… As-tu vaincu le monstre ? L’as-tu… Anéanti ? » le son lui a manqué sur le dernier mot, qu’elle a lu sur ses lèvres.

Elle se vexe « Tu oses douter de mes compétences ? Bien sûr que oui ! Ses six têtes sont coupées ! »

« Et sans perdre un seul marin… ajoute-t-elle dans un rictus inquiétant. »

« Très… très bien, conclut-il. » C’est la réponse qu’il attendait.

Il sort le petit écrin de sa poche, lui tend.

« C’est ce dont nous avions convenu ? »

« Évidemment ! »

Elle l’ouvre, et ses yeux dorés s’enflamment. Le diamant aigue-marine se reflète dans ses yeux. Vite, elle le glisse dans sa robe.

Il veut savoir une dernière chose : où est Scylla, maintenant ?

D’un petit geste du menton elle lui désigne sa voiture.

    Sur ce, sans un mot, après avoir déchargé le paquet, elle disparait dans la nuit, au volant de sa voiture noire.

Il n’ose pas vérifier si c’est bien Scylla, dans le paquet. Il ne supporterait pas de reconnaître le visage inanimé de celle qu’il a aimée. Après l’avoir fait disparaître, il retourne dans sa villa.

    Quelques heures plus tard, un petit renard affamé est attiré au bord de la mare, teintée de rouge. Poussé par la faim, il saute à l’eau, se démène, et déchire de ses crocs le tissu détrempé. Il tombe nez à museau avec le doux visage d’une jeune femme.

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