Chapitre 12
Je me fige en entendant ce qu'il vient de dire, je ne suis pas sûr d'avoir très bien compris :
- Pardon, tu veux bien répéter s'il te plaît ?
- Nous partons tout de suite pour ma maison de vacances dans la montagne de Black Forest. Pourquoi cette nouvelle a l'air de te perturber à ce point ? questionne-t-il tout en buvant une gorgée d'alcool.
- Non pour rien, je ne m'y attendais pas tout simplement. On y reste combien de temps ?
- Une petite semaine normalement. Mais tu sais, tu auras tout ce dont tu as besoin là-bas alors pas besoin de te charger en affaires, argumente-t-il.
Je hoche la tête et me lève du canapé pour aller dans ma chambre et prendre mon sac à dos dans lequel je remets le peu d'effets personnels que j'ai. Puis je retourne rejoindre Gabriel qui m'attend tranquillement et je hausse un sourcil en voyant qu'il n'a préparé aucun bagage :
- Tu ne prends rien ? dis-je avec étonnement.
- Non, comme je te l'ai déjà précisé c'est ma maison de vacances, j'y ai donc déjà tout ce qu'il me faut. Au fait, je sais qu'il est inutile de le répéter mais ne compte pas essayer de te sauver, je m'occuperais personnellement de ta petite personne. De toute manière, tout mon domaine est surveillé par mes hommes.
Si cette idée m'avait rapidement traversé l'esprit, elle est morte avant même d'avoir pu éclore dans ma tête. Il était évident qu'il allait faire en sorte que je ne puisse pas me barrer :
- Je n'y avais même pas pensé, osé-je lui répondre avec aplomb. Est-ce que ton frère vient avec nous ? Et Aaron aussi ?
Il a l'air étonné de ma sollicitude envers eux et ses yeux se plissent, suspicieux :
- Oui mon frère vient avec nous, c'est évident. Mais puis-je savoir pourquoi tu te soucies de savoir si Aaron nous accompagne ?
Serait-ce de la jalousie que je détecte dans ses paroles ? Ou alors de la possessivité ? Ces deux sentiments sont assez proches mais pourtant différents :
- J'aime bien Aaron car il est le seul à s'être montré gentil avec moi depuis que je suis arrivé.
- Je l'ai été moi ! s'indigne-t-il avec véhémence.
Eh bien, il ne manque pas d'air et se montre très énervé que j'apprécie le petit vampire. J'espère que cela ne retombera pas sur celui-ci. Cependant je pense qu'il ne lui fera rien car il aurait trop peur que je l'apprenne, enfin je l'espère :
- Peut-être, mais dois-je te rappeler que tu m'as kidnappé, que tu as laissé tes hommes me torturer dans une pièce sordide, que maintenant tu refuses de me laisser partir et que tu as fait de moi ton animal de compagnie contre ma volonté ? Je continue où je m'arrête là ?
Je vois à son air résigné qu'il a lâché l'affaire et que j'ai gagné la bataille :
- Très bien, et oui il nous accompagne puisque je l'ai désigné pour s'occuper de toi quand je serai absent.
Un petit sourire naît sur mon visage, je suis tellement content qu'Aaron puisse venir avec nous :
- Bon, puisque tu es prêt Killian, allons-y, me dit-il
En le suivant, je me rends compte qu'il n'y a aucun garde cette fois, et je suis très stupéfait. Gabriel est donc si certain que je ne tenterai pas de me sauver ? Ou bien de le prendre en otage ? Il n'a pas vraiment tort et puis je sais que si par miracle j'arrive à me sauver, tous ses hommes me traqueront pour avoir ma peau. Donc finalement à bien y réfléchir, je suis bien plus en sécurité avec lui :
- Pourquoi vas-tu dans ta maison de vacances ?
- Faut-il que je me justifie d'avoir envie de faire un break ? Je fais ce que bon me semble non ? répond-il tout en marchant.
- C'est vrai. Mais je me disais que tu avais sans doute une bonne raison. Après tout tu as l'air d'avoir beaucoup de travail et donc ce n'est sans doute pas le bon moment pour prendre du repos.
Un sourire éclaire son visage pendant que nous longeons les couloirs :
- Tu es un petit malin, enfin je n'avais pas de doute là-dessus. Effectivement, j'ai beaucoup de choses à faire et je ne compte pas prendre de repos, enfin pas tout de suite. Sache que tous les ans je vais à Black Forest avec le plus de personne possible afin de nous retrouver isolés du monde. La plupart de mes hommes en profitent pour laisser leur nature surnaturelle prendre le contrôle en toute liberté. Notre manoir est enfoui profondément dans la forêt donc il n'y a aucun risque que des humains nous voient. De plus, je peux mieux me concentrer sur mon travail quand j'y suis.
- Je vois, et bien allons-y.
Nous déambulons encore un long moment dans les couloirs, exempt de toute présence.
Nous arrivons dans l'immense jardin qui entoure l'hôtel de luxe dans lequel réside le gang de Gabriel. Il y a des hommes qui s'affairent partout, transportant des bagages vers des voitures qui attendent de l'autre côté du portail.
Nous sortons de la propriété et il m'invite à m'engouffrer dans un véhicule dans lequel nous sommes quatre : Gabriel, son frère, le chauffeur et moi.
Azraël, qui est sur le siège passager, se tourne vers nous après avoir mis sa ceinture :
- Salut Killian, tu vas bien ? Mon frère a été cool cette nuit ? questionne-t-il.
- Ça peut aller, disons qu'il n'a pas fait trop de bêtises.
- Killian m'a cassé le nez pour se venger du fait que je l'ai embrassé. C'est vraiment cruel.
Son frère le regarde avec un air totalement désespéré :
- Pour ta gouverne grand-frère, sache que ça ne se fait pas d'embrasser les gens comme tu l'as fait hier avec Killian. Alors je peux parfaitement comprendre qu'il ait voulu te le faire payer, j'aurais fait la même chose si j'avais été à sa place.
Gabriel grogne un peu, il sait que son frère a raison. Le voir aussi énervé du « remontage de bretelles » par Azraël me fait extrêmement plaisir.
La voiture commence à rouler dans les rues de Dark City. Tous les commerces nocturnes sont fermés et les diurnes les remplacent petit à petit.
Je regarde Gabriel qui lit, ce que je suppose être un rapport ou quelque chose d'approchant :
- Le trajet dure combien de temps ? lui demandé-je.
Il redresse la tête et me regarde avec ce sempiternel sourire narquois :
- Trois heures. J'espère que tu as apporté de quoi t'occuper pendant le voyage, sinon tu risques de t'ennuyer un peu.
Il reprend sa lecture. Heureusement que j'ai pensé à emprunter deux ou trois livres pour le séjour. Après tout je ne sais pas ce que je serais autorisé à faire là-bas : sortir dehors, aller m'aérer dans la forêt, ou tout simplement rester encore enfermé dans une chambre toute la journée.
Il ne nous faut pas longtemps pour sortir de la ville. Je vois les immeubles défiler à travers les vitres teintées de la voiture et quand nous passons le dernier d'entre eux, je me sens inquiet, je ne suis plus protégé maintenant et ceux qui en ont après moi vont sans doute me retrouver plus facilement. J'espère en tout cas que le fait de changer d'endroit aussi rapidement va un peu brouiller les pistes.
Comme me l'a dit Gabriel, le trajet est long, très long même. Mais je n'ai pas le temps de m'ennuyer car je suis plongé dans la lecture de mon livre. Ce n'est que lorsque je sens l'odeur des arbres, d'herbe et de bois que je redresse la tête. Le paysage a changé, ce n'est plus une route de bitume encerclée de chaque côté par un paysage grisâtre et morne que je vois, mais une forêt dense séparée en deux par une piste en terre. Tout est si intense ici, le marron de l'écorce, les couleurs flamboyantes des fleurs et le vert des feuilles.
Comme c'est la première fois que je viens ici, et je me questionne à savoir d'où cette montagne tient son nom « Black Forest ». Il n'y a rien de sombre ou de noir ici, tout est chatoyant.
Le véhicule s'enfonce de plus en plus dans la forêt jusqu'à un grand terrain plat et dégagé. Toutes les voitures se garent et les occupants en sortent, nous y compris. Je regarde les deux frères, un peu étonné :
- Pourquoi ne continuons-nous pas en voiture ? questionné-je en les suivant.
Azraël me sourit en sortant son sac du coffre le jetant sur son épaule. Pourquoi a-t-il emmené un sac alors qu'il doit sans doute avoir des affaires dans leur maison de vacances ?
- Pour ne pas offusquer Dame Nature ! Tu auras peut-être du mal à me croire, mais un esprit veille sur cette forêt. Il nous a accordé l'autorisation de venir ici à la condition que nous polluions le moins possible et que nous protégions sa forêt des humains qui voudraient la détruire. Alors nous laissons les voitures ici pour éviter de faire trop de dégâts.
- Je vois.
Nous commençons à marcher, bizarrement je ne vois pas les hommes de Gabriel, peut-être sont-ils passés par un autre chemin ?
Je n'ai pas le temps de penser à autre chose car un puissant vent secoue soudain les arbres faisant stopper net les deux frères.
Des feuilles se mettent subitement à tourbillonner devant nous et quelques instants plus tard, tout retombe, dévoilant une personne totalement étrange.
Je n'arrive pas à dire si c'est une fille ou un garçon. Impossible à deviner car l'apparition n'a pas de forme précise qui pourrait permettre de le savoir. Sa peau est d'un marron sombre qui ressemble à l'écorce des arbres, ses cheveux ont l'air d'un énorme tas de feuilles d'un vert éclatant, posé sur sa tête. Ses yeux sont aussi bleus qu'un océan et ressemblent à deux boules liquides encastrées dans son visage androgyne.
L'esprit, car ça ne peut être que cela, est légèrement transparent, si bien que l'on peut presque voir totalement au travers :
- Je ne veux pas d'étranger dans ma forêt, déclare-t-il en me lançant un regard méchant.
Bon, apparemment cet esprit ne connaît pas la politesse et je ne suis pas le bienvenu ici. Gabriel se place devant moi :
- Pourtant dans notre accord il est dit que nous pouvions emmener tous les membres de mon gang.
- Stupide Nephilim, n'essaie pas de me berner. Il ne fait pas partie de ton gang, il n'a pas la même odeur que les autres. Je ne veux pas de lui dans ma forêt, soit il s'en va, soit je vous interdis l'accès à votre maison et je vous chasse à jamais.
- Tu ne le feras pas, parce que tu as besoin de nous pour que les humains laissent cet endroit tranquille. Tu sais ce qui arrivera si nous partons. Ils vont s'empresser de venir tout détruire pour y construire des maisons et se servir du bois de tes arbres. De plus, je me porte garant pour Killian, je te promets qu'il ne fera pas de bêtises et n'apportera aucun malheur.
L'esprit me regarde d'une manière qui me fait frémir de la tête aux pieds, j'ai l'impression qu'il sonde tout mon être en se demandant s'il peut me laisser passer ou pas. Après un long moment, il finit par abdiquer et se reculer :
- Très bien il peut venir, mais si jamais il fait du mal à mes animaux, je jure que je lui arracherais le cœur et que je te ferais payer de l'avoir amené ici.
- Je te donne ma parole que ça n'arrivera pas répond Gabriel d'un ton étrangement calme.
L'ange déchu sourit de toutes ses dents, il a l'air content d'avoir gagné et l'esprit grimace avant de disparaître dans une nouvelle gerbe de feuilles. Gabriel se tourne ensuite vers nous :
- Bon, allons-y, maintenant que l'esprit de cette forêt t'a accepté ici, nous n'aurons plus aucun problème !
Nous reprenons donc notre marche silencieuse sur le petit sentier de terre. J'ai l'impression d'être observé, ce qui est normal, l'esprit doit sûrement me surveiller.
La marche dure un long moment, mais je ne suis pas fatigué. Je suis très endurant et heureusement, car la plupart du temps le chemin monte en pente raide et caillouteuse.
Après presque deux heures de marche supplémentaires, nous arrivons enfin à la maison de vacance de Gabriel.
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