Chapitre CX (2/2)
(Lumi) « - Bonjour, Orcinus.
(Orcinus) - Pardonnez-moi, Majesté, je n’avais pas vu que vous étiez présente. Je vous croyais à Champarfait, veillant sur le trône de feu votre époux.
- Mais…
- …
(Devant son attitude méfiante, pour ne pas dire hostile, mais aussi parce que j’étais consciente que nous n’étions pas seuls dans cette antichambre pleine de courtisans zélés et de diplomates accrédités, je renonçai à m'expliquer et préférai changer de sujet.)
- Milos est là également, si tu souhaites le voir.
- Avec plaisir ! Mais pourquoi n’est-il pas sur le voilier, avec les Lointains ?
- Euh… Il a échangé son poste avec Sikinos, qui voulait de nouveau naviguer.
- Sikinos ?
- L’ancien médecin du bateau d’Eperlanus et de Nautila, tu sais ?
- Ah ! Je m’en souviens, oui. Le seul survivant de cet affreux naufrage.
- C’est cela.
- Bien. Est-ce que je pourrais saluer Milos, puisqu’il est ici ? Je serais heureux de le voir.
- Je… Je vais aller le chercher.
- Inutile, dis-moi… Je veux dire, dites-moi où il se trouve, Majesté, et j’irai le retrouver.
- Arrête de m’appeler Majesté ! Et reste ici, je m’occupe de le prévenir pour qu’il vienne te rejoindre. »
Je m’enfuis plus ou moins de la pièce, réussissant miraculeusement à mettre un pied devant l’autre sans m’écrouler. J’avais imaginé cent fois nos retrouvailles, mais jamais je n’aurais cru qu’il emploierait un tel ton à mon égard ! Il était dur et tranchant comme un silex ou comme un ressentiment, quand je n’étais que guimauve, faiblesse et palpitations…
Milos m’accueillit avec une tendresse et une compassion toutes paternelles : il lui avait suffi de voir mes yeux rouges, ma démarche affolée, ma respiration saccadée pour comprendre qu’Orcinus était bien là, mais que tout ne s’annonçait pas rose… Il me caressa la joue comme si j’étais une toute petite fille, secoua la tête avec un sourire très doux, presque moqueur, puis il prit la direction de la grande salle pour retrouver celui qu’il avait en partie élevé. Malgré toute sa compassion et toute son affection pour moi, Milos n’aurait pas différé d’une seconde l’heure de revoir son cher Orcinus !
Mais il ne s’attarda pas. Et après une petite demi-heure, que j’avais passée à jouer avec mes enfants étonnamment sages tant ils devaient sentir que ce n’était pas le moment de faire des caprices, le médecin vint me retrouver, avec un sourire immense et les yeux humides.
« - Ma chère Lumi, tu ne vas quand même pas rester enfermée ici alors que ton amoureux est à quelques mètres, libre comme l’air marin, debout sur ses deux jambes et visiblement parfaitement fidèle à lui-même ?
- …
- Moi en tout cas, je suis heureux comme un enfant ou comme une grand-mère de le revoir ! Il m’a pris dans ses bras comme quand il avait sept ou huit ans et que je lui apprenais à pêcher : s’il attrapait quelque chose, il sautait de joie sur le pont du bateau.
- Disons que je n’ai pas eu droit à une telle démonstration d´affection. Seule la banquise sous laquelle repose notre cher Tempetus me semble plus froide que le regard qu’Orcinus a daigné poser sur moi.
(Milos sourit encore plus fort, à mon parfait agacement.)
- Vraiment ?
- Oui. Il m’a à peine adressé la parole, et il m’a appelée Majesté.
- Ah !
- …
- C’est drôle… Parce que moi, il m’a posé des questions sur toi.
(Mon coeur sembla recommencer à battre.)
- Comment cela ?
- Eh bien, pourquoi tu es là, si tu vas bien…
- Ah bon ?
- Oui.
- …
- Il m’a dit aussi que j’avais vieilli, le petit saligaud !
- Oh !
- Il a toujours été d’une franchise insupportable. Car il n’a pas tort… Je me suis regardé dans le grand miroir de la salle du trône, et en effet, à force de jouer les nounous dans les couloirs sombres de ce palais, je suis plus pâle qu’un rayon de lune, plus maigre qu’un crayon et plus raide qu’un rayon de bibliothèque.
- N’exagérons rien… Et puis c’est ma faute, de toute façon. C’est moi qui t’ai obligé à rester enfermé ici. Mais maintenant je suis là, Milos, tu vas pouvoir profiter du soleil et de ton temps libre. Tu l’as bien mérité.
- Certes, un peu de bon temps me fera du bien… Mais si tu crois t’en tirer à si bon compte, et profiter de ma santé pour éviter Orcinus jusqu’à ce que mort s’ensuive, tu te mets un doigt dans l'œil ! D’ailleurs, si jamais tu le cherches, tu le trouveras sur son bateau. Il va dormir à bord… Seule la jeune fille qui l’accompagne sera hébergée au palais.
- Comment ça, une jeune fille ? Quelle jeune fille ?
- Je ne sais pas. Et si tu restes terrée ici, tu ne le sauras pas non plus ! Allez Lumi : je sais que tu es courageuse… Ce n’est pas le moment de reculer. »
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