Chapitre CXXII (2/2)
- Tu comprends, mais tu ne veux toujours pas !
- Disons que si une autre solution se présentait entre-temps, je sauterais sur l’occasion ! Mais tant qu’il n’y en a pas…
- Tu te résignes ?
- Voilà.
- Milos prendra bien soin d’eux, tu sais. Ils le connaissent presque mieux que moi.
- Oui.
- Tu as confiance en lui ?
- Bien sûr que oui. Je fais confiance à l’homme, mais aussi au médecin.
- Bon.
- …
- Alors partons demain, Orci. Le temps est idéal, il y a du vent, le ciel est clair, le bateau est prêt. Nous avons monté à bord de l’eau, du lait de chamelle, des fruits, de la viande…
- De la viande ?
- Pour moi ! Toi, tu pourras pêcher quand nous serons en mer.
- Ouf…
- Alors… Demain ?
- Demain, Lumi.
- …
- …
- Tu sais, je vois quand même quelques avantages dans le fait de partir tous les deux, tout seuls, sur un joli voilier qui a l’air de naviguer tout à fait correctement.
- Tu vas pouvoir tester tes capacités d’être un jour la seule maîtresse à bord ? De devenir capitaine ?
- Non. Encore que, le terme “maîtresse” est intéressant…
- …
- Mais je n’en suis pas encore à faire des plans de carrière sur le dos de Rutila. Ma place me va bien, je n’ai pas besoin de lui prendre la sienne.
- Tant mieux !
- Orci, nous nous sommes quittés, contraints et forcés, alors que nous vivions un amour certes puissant et lumineux, mais empreint d’insouciance et de liberté. Aujourd’hui, nous nous retrouvons du jour au lendemain avec deux berceaux sur les bras. Il faut que nous trouvions notre rythme. Moi, parce que j’ai pris l’habitude d’être seule avec les enfants. Toi, parce que tu n’as pas pu te préparer à les accueillir dans ta vie. Tu ne crois pas que ce voyage, même s’il n’a rien d’une lune de miel, pourrait nous aider à nous retrouver autrement ? A tisser de nouveau ce fil, entre nous ?
- Mais moi, je le ressens encore très fort, ce fil… Il n’y a rien à retisser, crois-moi.
- Moi aussi, Orcinus. Je t’aime, je te l’ai dit cent fois en deux jours ! Mais je trouve que quelques semaines en mer, rien que tous les deux, cela nous laissera le temps de combler le vide. De nous raconter mutuellement ce que nous avons vécu et ressenti. Cette forteresse dans laquelle tu étais prisonnier. Ces mois de grossesse que nous n’avons pas partagés. Ces nuits d’amour que nous avons loupées.
- Ah oui, j’aime assez cette troisième thématique.
(Je souris devant son air soudainement filou.)
- J’avoue que l’idée de t’avoir à portée de mains, sur un navire beaucoup plus petit que le trois-mâts des Lointains, sans regards indiscrets, sans amis moqueurs, sans horaires de quarts à respecter… C’est une chose qui me plaît bien.
- Dit comme ça, je crois que moi aussi.
- …
- Par contre, d’habitude, les lunes de miel, c’est plutôt pays chauds et détente au soleil, non ? Nous, nous allons vers des contrées sinistres, glaciales, pleines de pirates hostiles et d’animaux inconnus…
- Je prends le risque ! Et je te rappelle que les orques sont au sommet de la chaîne alimentaire des océans. Tu n’auras qu’à me protéger.
- Ou te dévorer.
- Pour ça, mon cher amour, tu n’as vraiment pas besoin d’attendre que l’on soit en mer.
(Il rougit, puis son sourire s’élargit.)
- Par contre, j’ai vraiment besoin que nos enfants dorment. Tu m’aides ? J’ai tout fait comme tu m’as dit, le biberon, le rot, le bain, le change..
- Alors extinction des feux et tout le monde au lit ! Les petits, et les grands… »
Tempeta et Delphinus, dûment préparés par leur papa, commençaient déjà à papillonner des yeux sous l’effet de la fatigue : il ne leur fallut pas longtemps pour rendre les armes. Orcinus et moi restâmes quelques minutes à les regarder, main dans la main, corps contre corps, dans le calme chaleureux et enveloppant de la nuit héliopola.
Puis il m’attira dans ses bras, m’embrassa furtivement et me mena jusqu’à l’immense lit qui trônait au milieu de cet appartement royal. Il me fit l’amour avec beaucoup de gourmandise, beaucoup d’application, comme on profite de la vie à l’aube d’un lendemain rempli d’incertitudes, d’inconnu… et d’éventuelles tempêtes.
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