Rouge comme les rocs de Trafalgar
Les mots ont un pouvoir. Ils dessinent nos futurs, emportent nos rêves ou anéantissent nos espoirs. Ils nous collent à la peau et surtout voguent à leur convenance dans nos esprits.
Ceux qu’il a laissés sur l‘écran de son ordinateur me martyrisent. Vibrations silencieuses, ils déchirent mon âme en une torture mécanique. Cette phrase inachevée flotte dans un air nauséabond. Celui de la souffrance, de la rupture et de l’insoutenable évidence.
Je vais la quitter…
Quatre mots qui me prennent dans leurs filets. Plus je m’agite, plus ils s’enroulent autour de moi. Une tension habite mes entrailles qui brûlent d'un feu sauvage et implacable.
Je vais la quitter…
Ces lettres sont tout à la fois vertige, sueur et nausée. Elles voyagent en moi et plus elles me dévorent, plus elles m’obsèdent. Le pire est qu’elles traduisent ses dernières pensées. Elles ont accompagné sa chute fatale. Elles ont vu ses os se broyer sur les roches de Trafalgar au pied de ce qui fut la maison d’un bonheur à présent disparu.
La main de la mort l’a poussé dans le vide. durant un court laps de temps, son corps s’est fait léger, intemporel, avant de se disloquer comme un pantin désuni. Un instant semblable au vol du goéland avant de s’abîmer dans les eaux féroces au large desquelles l’Amiral Horatio Nelson avait succombé à une balle fatale.
Je vais la quitter…
Il ne m’a pas quittée. Il est parti comme un voleur d’âme sans avoir eu le privilège obscène de penser au poids de cette dernière phrase laissée sur son écran. Ces quatre mots se sont effacés en lui, mais ils restent tatoués en moi comme une douleur éternelle.
Désormais, pour le monde entier, je suis la veuve éplorée d’un acteur de génie trop tôt disparu. Tous l'ignorent, mais il m’a marquée au fer rouge.
Rouge comme le sang. Rouge comme l’amour d’antan. Rouge comme les rocs de Trafalgar.
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