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Je ne rapportais pas tout à Camille de mes échanges avec Marianne. Cependant, un soir, il se coupa et me dit des choses dont la source ne pouvait être que Marianne. J’avais été nul sur ce coup ! Mes dons d’observation, c’était du pipeau. Camille et Marianne se connaissaient bien, très bien, et j’avais été leur jouet, pour mon bonheur, mais leur jouet.

Je me jetais sur Camille et je le rouais de coups, très amicaux, lui reprochant de m’avoir masqué leur relation. Il avait beaucoup de force malgré ses apparences. Je finis par le maitriser, le chevauchant, mes jambes bloquant ses bras. Cette joute m’avait excité et je sentais mon désir monter. Je ne me savais pas cette attirance pour Camille.

Je suis troublé. Je bascule pour me retirer, avant qu’il ne perçoive mon état. Il retient mon mouvement, murmure :

– Reste.

Les lumières se sont éteintes entre temps. Je ne sais que faire. Sa main saisit l’arrière de ma tête, la force à se courber. Nos lèvres se rencontrent. Quelle émotion de sentir son corps se détendre d’un coup et toute son énergie passer dans ce baiser ! Quand nos lèvres se sont séparées, pour ne pas voir nos larmes, une étreinte forte nous souda un long moment.

Il me susurra à nouveau :

– Reste.

Cette phrase était un aboutissement. Depuis l’année précédente, nous partagions certaines nuits, ornées de petites caresses, juste pour sentir la prévenance de l’autre. Je lui avais souvent répété que tout être humain a besoin de contacts physiques, de sensations corporelles, aussi nécessaires que la nourriture. J’avais été plus loin, lui proposant mon corps s’il voulait explorer ces contrées. Il avait repoussé, affirmant que cela ne l’intéressait absolument pas. Il n’avait pas ce besoin. J’avais attaqué différemment, tellement je voulais qu’il fasse un pas vers le plaisir, lui disant que des jouissances du corps étaient possibles, sans sexualité, en acceptant de porter certaines caresses à l’extrême. Il m’avait rétorqué, mi-moqueur, mi-curieux, que je me surestimais, que je me trouvais trop savant. Ce n’étais pas parce que je sautais la moitié des garçons du lycée que je pouvais m’avancer comme cela. Je ne relevais pas ses exagérations, étonné de son audace ! J’étais heureux pour lui, tout en lui affirmant qu’il fuyait les plaisirs du corps, car convaincu qu’ils lui étaient interdits. S’il était si sûr de ne jamais jouir, qu’il me laisse essayer, avais-je avancé, certain de son refus. Nous reprenions régulièrement nos petites luttes sur le sujet, jusqu’au jour où il me désarma « Pourquoi pas ? Mais pas maintenant, plus tard, je voudrais bien ! ».

Un jour où il m’avait énervé en fuyant le débat, je le provoquai en lui disant que s’il n’avait pas de sexe, il pouvait le montrer sans problème. Il me traita de voyeur. « Mais on ne peut pas être voyeur quand il n’y a rien à voir ! » Je crois que ce n’est pas cet argument douteux, mais le renforcement de sa confiance qui finalement lui a permis de se montrer entièrement nu à moi peu après, avec une timidité touchante. Il avait comme un sexe féminin, partiellement, avec une ébauche de minuscule pénis en haut, le tout sans un poil. C’est à cause de ce petit bout de chair qu’il avait décrété garçon. Cela lui permettait de pisser debout, quand même.

Il se montrait et m’expliquait, très simplement. Au fond, je m’en foutais complètement de comment il était. Qu’il ait fini par se montrer à moi me faisait exploser de joie, car il me prouvait sa confiance infinie. Après cette présentation, je l’avais entouré de mes bras, longuement, le serrant avec toute l’affection et le respect que j’avais pour lui.

Nous en étions restés là.

***

Ce soir-là, il m’ouvrit son âme, il m’offrit son corps. Ému, je me glissai à ses côtés. Cette confiance absolue me bouleversait. Quelle responsabilité ! Comment lui faire découvrir la sensualité en le respectant, en le préservant dans sa particularité ?

Il me permettait tout, confiant et ouvert. Finalement, je ne lui aurais prodigué que quelques caresses, légèrement intimes. Nous n’étions pas allés très loin, mais il avait gravi la montagne et franchi le col. Il s’endormit, me serrant si fort que je ne pouvais plus respirer. Son relâchement du sommeil me fit pleurer de joie. Savoir qu’il était entré dans un monde inconnu me comblait. Je l’aimais tant.

Au matin, quand je me réveillai le tenant dans mes bras, un flot de bonheur me traversa. Il s’éveilla à son tour, réalisa où il était et ce qu’il avait vécu. Avant de me voir, je vis son visage se détendre et rayonner. Il se tourna vers moi :

– Merci.

Il était resplendissant. Que j’aimais quand le jeune cerf me souriait !

Les lumières étaient allumées et les mouvements commençaient. Je n’ai eu que le temps de lui répondre par un effleurement des lèvres avant de me lever.

Je me tournai et tombai sur les yeux de Charly, narquois et interrogateurs. Avant que je réalisasse la situation, remarquant sans doute aussi la béatitude de mon visage, il m’envoya un sourire merveilleux. Il n’était donc pas qu’une chambre froide !

La journée passa sur un petit nuage. Je voyais que Camille vivait la même chose. Nous étions frères, amis, amants, maintenant, à la vie, à la mort.

Le soir suivant, comme si de rien n’était, nous avons repris nos petites joutes oratoires. Malgré moi, je m’échauffai et voulus recommencer la nuit précédente. Il me prit la main, la porta à ses lèvres et me dit doucement :

– Sylvain, hier, tu m’as offert un cadeau merveilleux. Tu m’as ouvert un monde dans lequel je ne me croyais pas admis. S’il te plait, gardons cette nuit unique. Je ne veux pas que nous devenions amants, je suis ton ami, ton éternel et complet ami, ne mélangeons pas tout.

– Mais Camille, je t’aime, c’est tout !

– Moi aussi, je t’aime, si tu savais ! Je veux garder ce que nous avons fait, pas le refaire maintenant. Tu es mon ami, pas mon amant, tu comprends ?

Non, je ne comprenais pas. Pour la première fois, j’avais associé sentiment et gestes. Oui, je comprenais, car le plus important était notre amitié, si belle et si intense. Non, je ne comprenais pas cette limite. Oui, il ne fallait pas tout mélanger. Je tournais en rond dans ma déception. Il me prit la main, m’invita à dormir avec lui, mais « comme avant ». J’ai longtemps pleuré sur sa poitrine, ne sachant pas très bien pourquoi.

Le soir suivant, je surpris dans les yeux de Charly une attente, qu’il effaça dès que nos regards se croisèrent. Je n’étais pas le seul à avoir perçu la demande. J’entendis le murmure de Camille :

– D’autres ont besoin de toi !

Surpris de sa remarque, je le fixai. Il me poussa d’une petite moue des lèvres, à la fois baiser et encouragement. Je devinai ce que cela devait lui couter. Je regardai Charly, je regardai Camille. J’étais déchiré entre mes deux… amis ? Amants ? Camille mit sa main sur mes fesses et m’obligea à aller vers Charly.

Je savais qu’ils s’appréciaient, même si aucune parole n’avait jamais volé entre le réservé et le taiseux. Je les avais vus échanger des gestes et des regards qui exprimaient l’envie de se connaitre. C’était à moi d’agir, pensai-je.

***

Camille m’avoua qu’il s’était lié avec Marianne dès les premiers mois de l’année passée, deux esseulés un peu timides dans leur discrétion. Ils s’étaient découverts beaucoup de choses en commun. Leur plaisir était de partager leurs observations. Camille n’était donc pas si fort que ça ! Marianne lui avait parlé de moi. En retour, il lui avait raconté comment je l’avais défendu, puis abordé. Elle lui dit qu’il avait beaucoup de chance. C’est grâce à elle qu’il accepta mes avances. Comme elle avait eu raison ! Il lui était reconnaissant et redevable. Je découvrais cette dette immense que j’avais envers Marianne, notre marieuse en amitié. Camille sentait son attirance de plus en plus forte pour moi. C’est lui qui a décidé de me faire voir Marianne : jamais elle ne le lui aurait demandé.

J’étais tombé sur les deux personnes les plus formidables, sans le savoir ! Je donnais une grande tape sur la tête de Camille, pour le remercier et le punir de ses cachoteries. Il ne s’y trompa pas. Quand je vis Marianne, quelques heures plus tard, je lui dis que Camille m’avait tout révélé, que je connaissais leur relation, qu’ils m’avaient manipulé. Et que j’avais puni Camille. Elle me regarda, anxieuse et désolée. Je lui demandais si elle voulait savoir comment je l’avais puni. Malheureuse, elle acquiesça mollement. Je m’approchais d’elle, lui pris son visage entre mes mains, me penchais et l’embrassais. Étonnée, elle ne tarda pas à se laisser emporter dans ce baiser qu’elle attendait depuis si longtemps. À mon habitude, j’avais été indifférent à la présence et aux regards de nos camarades qui nous entouraient. La timide Marianne était toute rouge de honte et de gêne. Je l’entourais de mes bras, lui fit traverser le groupe en lui disant dans l’oreille : « Ne crains rien, tu es maintenant sous la protection du pire mec du lycée ». Elle se colla à moi, prête à affronter la foule… qui lui souriait.

Les choses étaient claires pour tout le monde. Maintenant, je m’écartais de mes autres copains et passais la majeure partie de mon temps avec Marianne et Camille, trio inséparable. Devant moi, un jour, Camille expliqua à Marianne sa particularité. J’étais touché, à la fois par la confiance qu’il lui faisait et aussi en comprenant que j’avais été le premier à qui il s’était livré. Il me regardait avec ses grands yeux en racontant à Marianne.

Mes rares nuits avec Camille restaient très sages. Nous avions des caresses, sans jamais chercher cet embrassement des sens. J’espérais que nous le retrouverions un jour. Cette communion fraternelle nous convenait mieux. Comme avec Charly, le contact de son corps me comblait.

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