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Quand je commençai à établir des plans pour les vacances, Marianne me dit qu’elle avait prévu un voyage au Canada et aux États-Unis pour tout l’été. J’étais prêt à l’accompagner, je voulais vivre ces aventures avec elle. Cela semblait compliquer et la période des concours m’empêchait de comprendre ce qui coinçait.

Les résultats nous permirent, à Charly et moi, de continuer notre vie commune, entamée depuis cinq ans, avec ses bas et son, unique, haut. Il était bien sûr major dans cette prestigieuse école.

La moitié des vacances se passèrent avec un groupe d’amis, en randonnée dans les Alpes. La seconde, avec mon Camille : nous sommes montés en Écosse, le sac au dos, d’auberge de jeunesse en auberge de jeunesse. Je découvris son aisance avec la langue anglaise, son charme trouble nous aidant à nouveau à passer des moments merveilleux. Physiquement, iel restait dans cette androgénie captivante. Ses mouvements avaient changé, devenant gracieux, élégants. Son visage s’était épanoui, affichant un sourire constant. Iel me dira combien iel se sentait bien dans sa peau maintenant, ne cherchant plus à être un ou une. Iel joue avec son ambigüité sans vulgarité, avec intelligence et finesse. Je l’admire. Je lela remercie d’être mon ami.

Certaines nuits, nous fumes obligés de faire lit commun. Nous retrouvions ces moments d’affection profonde, serrant celui que l’on aime, le cœur débordant de bonheur.

Nous parlions souvent de Marianne, je lui dis mon affection si forte pour elle et mes regrets de n’avoir pu l’accompagner. Je n’avais pas fait attention, mais il me répondait en me parlant de son affection à lui, pour elle. Partager les mêmes sentiments pour notre amie nous rapprochait. Ce ne fut qu’à la fin, sur le bateau du retour, qu’il lâcha le morceau :

– Sylvain, tu es un ami merveilleux, avec qui je passe des moments toujours merveilleux.

– Oui, c’est pour ça que nous sommes amis !

– Cet été a été formidable. Je dois te dire quelque chose.

– Oui, vas-y !

J’attendais encore des paroles chaleureuses.

– J’ai eu beaucoup de mal à me retenir, je ne voulais pas gâcher nos vacances…

Cette fraction de seconde entre deux phrases, quand on a compris sans encore savoir. On sait que le monde ancien n’est plus, que tout est écroulé. Il allait me quitter ? Pourquoi ?

– Marianne a rencontré quelqu’un ! C’est avec lui, Arnaud, qu’elle est partie cet été. Voilà. Moi, je suis là, avec toi.

– C’est bien, je suis content pour elle. Je l’aime, mais nous ne pouvions pas vivre ensemble. Je ne suis pas encore clair dans ma tête. Je pars trop facilement quand un garçon me tente.

Plus tard, Camille me dit son étonnement sur cette réaction distante, calme. Il s’attendait à mon effondrement. Nous venions de passer un mois extraordinaire, le soleil brillait et, pour une fois, la Manche était bleue. J’étais bien, heureux, et savoir que Marianne avait trouvé quelqu’un me faisait plaisir pour elle. Qu’elle soit heureuse me rendait heureux.

Ce que je ne savais pas, c’est que le feu avait démarré. Il allait couver, discret, chauffant la structure à blanc. Quand il a éclaté, tout partira en fumée en quelques instants. Cela prit deux semaines, le temps de l’intégration dans cette école. Camille était reparti aussi vite, ignorant ma destruction lente. De toute façon, il était injoignable. Claire également. Il ne me restait que Charly, bientôt, sans illusion non plus sur ses capacités salvatrices.

C’est un automate sans vie qui est arrivé, indifférent à cette nouvelle vie, dans la joie non dissimulée de ses nouveaux Camarades.

***

J’étais détruit. J’aimais Marianne, j’avais ignoré ou méprisé l’importance de ce sentiment. Marianne était irremplaçable, j’étais certain de l’éternité de nos sentiments, certain de les retrouver. Qu’un autre ait pu pénétrer le cœur de Marianne, un bellâtre imbécile, un joli cœur sans intérêt, m’était insupportable. J’étais remplacé ! J’avais perdu son amour. J’étais désespéré, jaloux et en colère contre moi. Tout était ma faute. J’avais tout raté. Irrémédiablement. Je glissais lentement dans l’indifférence de tout. À quoi bon continuer ? À quoi bon vivre ?

J’avais essayé de trouver du réconfort auprès de Charly. Bien qu’habitué à son étrangeté, il était bizarre en ce début d’année. Je ne l’avais jamais connu aussi social. Il acceptait de répondre courtoisement aux questions, sans pour autant se laisser approcher.

Je n’avais pas la tête à l’observer, mais nous n’étions pas des inconnus l’un pour l’autre. Nous avions partagé intensément une relation, elle continuait. Qu’il m’ignorât, j’avais l’habitude de son mépris blessant. Qu’il ne perçût pas mon besoin de réconfort était terrible. Je n’existais que quand il avait besoin de moi

Je dus forcer, un peu, la porte de sa chambre, pour quémander une attention. J’étais prêt à tout. Le soir, je me serrai fort contre lui, mais il ne semblait pas comprendre. J’avais besoin de parler.

– Charly… J’ai besoin de toi !

– …

– J’ai besoin de tendresse, que tu me serres, que tu me consoles…

Toujours le silence. Il ne me demandait même pas pourquoi. Quelle indifférence pour celui qui avait partagé non seulement beaucoup de ses nuits toutes ces années, mais aussi ses confidences !

– Je peux au moins t’embrasser, j’aime le gout de tes lèvres, de ta bouche. Tu sais, je t’ai déjà volé des petits baisers dans ton sommeil.

Il ne répondait pas. Ce silence perpétuel était dur. À part l’épisode de Marseille, il ne m’avait vraiment jamais parlé.

– J’ai tant besoin de chaleur en ce moment.

Et ce fut la claque.

– La chaleur, moi je l’ai eue en totalité, d’un seul coup. Celle que je peux donner est partie avec. La tendresse, l’amour, la joie, plus jamais. Quand ton cœur part dans les nuages, tu n’existes plus. Tu es mort en restant vivant.

Il n’en avait jamais tant dit sur ses sentiments. Je cherchai un petit réconfort pour un ridicule chagrin d’amour auprès du mec qui avait été le plus ravagé par le malheur, sans remplacement possible. Alors ce fut moi qui le serrais, pour me faire pardonner. Charly, je l’aimais, au-delà de son silence, au-delà de sa beauté bouleversante. Je me rendais compte de l’affection profonde et sans retour que je lui portais.

Ma douleur limait mon énergie. Je ne pouvais rien faire, maintenant, pour Charly. Il ne pouvait rien faire, il ne fera jamais, pour moi. Je le délaissais de plus en plus fréquemment. Je le voyais s’activer pour combler son appétit sexuel. Il ne savait pas pourquoi je le délaissais. Il ne s’en inquiétait pas.

Je trainais ma mélancolie. Dans mon triste brouillard, je vis apparaitre des paillettes de soleil, un beau jour ! Les taches de rousseur dans ses yeux et sur son visage étaient un plus sur cette magnifique fille, au port altier. Elle était comme Élias, une personne qui transcende la foule. Pourtant, elle était plutôt distante. Assis dans ma tristesse, je l’ai trouvée installée à côté de moi, le sourire aux lèvres. On ne pouvait que l’accompagner dans son sourire, même si c’était mécaniquement. Ce furent ses premières paroles : « Waouh ! J’ai réussi à faire sourire l’ange triste ! ». Nous ne nous connaissions pas. La voir si près de moi, préoccupée par mes sourires et mes états d’âme me fit peur. Je me reculai, surtout dans ma tête, mais elle le sentit. « Sylvain, c’est ça, Sylvain ? Excuse-moi, je ne voulais pas t’agresser. Depuis un mois, je te vois triste. Tout le monde est heureux d’avoir intégré, surtout cette école, après le bagne de la prépa. Ils sont tous à faire la fête, sans arrêt depuis le début de l’année et toi, tu restes prostré dans ton coin. Malheureusement pour toi, ton spleen te transforme en ténébreux romantique, énigmatique et fascinant ! »

Elle parlait beaucoup, beaucoup trop. Elle me fatiguait. J’ai eu envie de la rembarrer, mais j’étais bien élevé ! J’essayai alors de la refroidir. Sa façon de parler était si particulière, si caractéristique que je lui lançai.

– Versailles ? NPA ?

– Villa Montmorency !

– Montmorency ?

– Ah, provincial avec un petit verni seulement ! La villa Montmorency, c’est le 16e du 16e !

– Grande bourge' ou aristo ?

– Eugénie, simplement, si tu veux bien.

– Sylvain, petit bourgeois provincial sans intérêt. Vous n’avez pas des rallyes ou des trucs comme ça pour vous marier entre vous ?

– Ange triste, petit bourgeois provincial avec un petit vernis. On ajoute hérisson ou porc-épic ?

– Désolé, mais je ne peux rien pour toi.

– On ajoute porc-épic mal léché, ce qui est compréhensible de la part d’un porc-épic !

Elle arriva à m’arracher un sourire.

– Le deuxième ! Au troisième, je te lâche. On continue ?

Je haussai les épaules, je n’avais rien d’autre à faire.

– Tu sais, je t’ai repéré très vite. Je sais que tu as un grand copain. En fait, c’est lui que j’ai repéré, le métis asiatique. Qu’est-ce qu’il est beau ! Et comme vous êtes souvent ensemble…

Je sentis que je pouvais la faire arrêter, partir.

– Charly ? C’est mon pote, c’est mon amant depuis cinq ans et demi. On s’entend super bien, au moins pour le sexe, fanfaronné-je.

C’était dit pas très gentiment. Mais bon, tout était à plat, elle prenait ou elle se cassait. J’avais juste oublié qu’elle était de la Haute et qu’il en fallait un peu plus que deux petits pédés pour la démonter.

– Je m’en doutais un peu. Vous êtes trop mignons. Oui toi aussi ! affirme-t-elle en réponse à ma moue. Vous êtes ensemble depuis cinq ans et demi ? À nos âges, c’est une belle liaison, dis donc ! C’est lui qui a rompu ?

Et moi, de lui répondre, de lui parler de ma vie intime, sans m’en rendre compte.

– Non, c’est mon amant, pas mon amoureux, et mon pote, un bon pote.

– Tu as un autre amour alors ?

– Tu fais une étude sur la vie sentimentale des porcs-épics provinciaux mal léchés ?

– Oui, mais j’ai resserré uniquement sur ceux qui ont de l’humour, même déprimés. Mon échantillon est minuscule.

Puis elle rit

– J’ai gagné, tu viens de sourire, le troisième, je te laisse dans ton jus noir.

Elle se leva, attendant bien sûr que je lui demande :

– Tu peux rester. Nous avons raté ce cours. De toute façon, le prof est chiant. Nous avons une heure. Mais je ne sais pas si…

– Je ne blaguais pas. Je te laisse si tu veux.

– Tu as réussi à m’arracher trois sourires. Merci, car je les sens encore en moi. Tu peux continuer à jouer avec moi.

– Je ne joue pas. Ta tristesse m’a émue, tellement elle est forte et perceptible. On devine que c’est un chagrin d’amour. Et quand on voit la force du chagrin en toi, on se dit que quand tu donnes ton amour, il doit avoir la même force. C’est fascinant. Qui t’a brisé le cœur ?

– Je ne lui ai pas donné mon cœur. Elle me l’a pris, puis elle me l’a pulvérisé.

Elle ne réagit pas sur la disjonction entre mon amant de sexe et mon amour au féminin. Belle éducation, beau savoir-vivre !

– Tu me dis son nom ?

– Marianne. Je te dis n’importe quoi ! C’est de ma faute, c’est moi le responsable. Marianne, elle est adorable, c’est mon amie, même si elle ne vit pas dans les beaux quartiers.

Là, elle relève :

– Tu veux dire que ça ne te gêne pas d’avoir des amis dans les beaux quartiers… Quatre ! Si j’atteins six… Non, trop facile, mettons dix sourires dans cette heure, j’aurais droit à une bise ? Cinq ! Tu triches. Je monte à douze. Sois un peu triste quand même !

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