Chapitre 12 : Sédition
15 août 2115
Loyva
Quartier général de l'Armée
Après le succès de l'opération de lutte contre les pirates, le général Hanrel avait réuni une fois de plus tous les officiers de la base pour les féliciter et leur faire un compte rendu, selon les rapports que Tenson lui avait remis au petit matin. Puis, la réunion terminée, il proposa au capitaine de l'accompagner pour témoigner des résultats positifs devant le Conseil : celui-ci accepta sans problème. Mais le lieutenant Federico n'étant pas connue dudit Conseil, le général préféra ne pas l'emmener. A la place, il demanda au commandant Zalos de lui faire rapidement visiter la capitale, comme lui-même l'avait fait pour le capitaine. Il l'emmena donc dans les grands lieux de Loyva, comme le Palais, ou encore la caserne de la Garde Royale, puis lui demanda si elle voulait se rendre à un endroit particulier. Ce à quoi elle répondit en réclamant un bar, un café, en somme un endroit pour se relâcher un peu. Ils retournèrent donc au « Somuz enfoui », qui était repris par quelques militaires désireux de transformer ce repaire du crime en lieu paisible pour les soldats comme pour les civils. Les deux nouveaux clients s'assirent à la même table que Tenson et Hanrel quelques jours auparavant, car c'était l'une des rares qui n'avait pas été cassée durant l'intervention musclée de Podamis.
« Dites-moi Zalos. J'ai cru comprendre que vous n'aviez pas de femmes ici ?
-De ?
-De...Oh et puis zut. De gens comme moi !
-Oh, excusez-moi. Et bien non, tout le monde ici est plus ou moins semblable à moi-même. C'est bien pour cela qu'il ne faut pas vous vexer si les gens vous regardent avec insistance : ils ne comprennent pas bien ce...que vous êtes.
-C'est très désagréable.
-J'imagine bien, et je m'en excuse au nom de mon peuple. Je comprends que cela ne peut que vous déplaire, alors changeons de sujet. Êtes-vous nombreux à être venus sur Mars ?
-Une quarantaine d'hommes et de femmes, mais nous avons d'autres expéditions qui doivent arriver au fur et à mesure. Nous tentions de trouver une planète ou nous réinstaller, la nôtre étant devenue invivable.
-Vous êtes en train de perdre votre foyer.
-Oui. Notre foyer depuis des millénaires, et aujourd'hui nous n'avons pas d'autres choix que de partir.
-Je suis réellement désolé pour vous. Je ne sais pas si j'aurais un jour le courage de quitter Mars définitivement. J'y suis bien trop attaché pour cela. Et puis, nous pouvons encore vivre ici de longs siècles, voire de longs millénaires. Alors je pense que vous pourriez vous installer. Combien êtes vous sur Terre ?
-21 milliards. »
Le commandant Zalos releva les yeux et posa son verre. Il fixa Federico, l'air surpris.
« Je vous demande pardon ? Nous ne sommes qu'un milliard de Martiens à proprement parler.
-Seulement ? Pour une planète aussi grande ?
-Pour être exact, nous devrions être environ cinq milliards, selon nos rapports. Mais de nombreuses portions de la planète sont considérées comme « non martiennes » depuis une crise très vieille. Et dans ces zones, il y a beaucoup plus de gens, le tout faisant 4 milliards. Sauf qu'ils ne sont pas considérés comme Martiens. Et puis, nous avons quelques colonies sur différentes planètes.
- De toute façon, laissez-moi-vous rassurer. Les 21 milliards de Terriens ne viendront pas.
-Comment cela ? Pourquoi ?
-Le gouvernement n'aura jamais les moyens de transférer autant de gens. Ils viendront eux, avec leurs familles, les nôtres, peut-être une partie de la population et de l'Armée, des personnes qui travailleront pour eux, et c'est tout.
-Ils n'iraient pas abandonner autant de gens ?
-J'ai bien peur que si. Enfin, nous verrons bien ce qui se passera quand d'autres Terriens commenceront à arriver. »
*
15 août 2115
Loyva
Conseil de Mars
Tenson fut de nouveau introduit au Conseil, accompagné cette fois du général Hanrel, accueillis par le Grand Kanonmar et les membres présents, pourtant bien moins nombreux que lors de dernière réunion à laquelle le capitaine avait assisté.
« Vous revoilà, chasseur de pirates ! Racontez nous tout ce qu'il s'est passé. général Hanrel, j'aimerais entendre tout cela de la bouche du Terrien.
-Si tel est votre désir, Kanonmar. Avec le général Hanrel et l'Armée Martienne, nous avons passé un mois à préparer une grande opération de contre-attaque. Nous l'avons très bien organisée, et elle a été magnifiquement exécutée par tout le monde, des commandants aux opérateurs. Nous avons pu frapper à la fois leurs financements, leurs soutiens, leur force militaire, leurs cachettes. Et le plus important, hier, nous avons porté le coup final en prenant leur quartier général et en arrêtant Aran Somuz, leur leader.
-Aran ? » s'exclama soudainement le roi. Des murmures parcoururent la salle et on pointait du doigt tantôt le roi, tantôt les militaires.
« Oui. Vous le connaissez ?
-C'est mon conseiller personnel le plus proche, personne en dehors de cette salle n'a besoin d'échanger avec lui. Non, vous mentez !
-Sire, j'ai procédé moi-même à son interrogatoire. S'il est absent aujourd'hui, c'est qu'il est entre nos mains. Vous pourrez le rencontrer si vous le voulez.
-C'est donc pour cela...
-Exactement. Vous constaterez que plusieurs des membres de ce conseil sont également absents. Et bien, ce sont pour les mêmes raisons. »
Les murmures se changèrent en protestations. Visiblement, les ministres et conseillers se sentaient visés par le simple fait que leurs collègues aient été impliqués. Le roi leva la voix pour affirmer ses prérogatives.
« Comment cela ? J'exige que vous nous fournissiez des explications !
-Ils faisaient partie des gens qui finançaient ou soutenaient d'une quelconque façon les pirates de Somuz. Tout comme le maire de Loyva. Si vous n'avez pas de nouvelles, c'est normal. Nous l'avons arrêté durant une rencontre avec deux criminels qui faisaient partie des pirates.
-Mais...Ce n'est pas possible. Pas autant de gens ! Peut-être en reste t-il...
-Sûrement pas. Nous avons purgé de tous les côtés : peut-être qu'une poignée a pu s'en sortir, mais à l'heure qu'il est, ils doivent être terrifiés et dans l'incapacité de redevenir dangereux. Cette histoire de pirates est donc totalement terminée.
-Vous me faites tomber de haut. Enfin, il semblerait que vous ayez rempli la mission que l'on vous avait confiée. Désormais, permettez moi de passer à l'aspect négatif.
-Quel aspect négatif ?
-Vous avez fait preuve d'une insolence presque outrancière en agissant depuis plusieurs semaines sans fournir le moindre rapport, la moindre explication à ce Conseil. Vous nous avez déçus. »
Les membres du conseil hochèrent la tête tandis que certain tapotaient du poing sur leur table. D'autres agitaient leurs mains et chacun voulait montrer à la fois sa désapprobation et son soutien au souverain. Hanrel regarda ses bottes en soufflant du nez tandis que Tenson, quelque peu décontenancé, ne lâchait pas le roi du regard. Calmement mais sèchement, il lui répondit.
« Nous vous avons déçu ?
-Parfaitement. Nous trouvons cela honteux qu'avec la bonté avec laquelle nous vous traitons, vous n'ayez pas daigné nous renseigner. C'est nous qui vous avions confié cette mission, vous étiez donc obligés de nous en référer. Vous n'agissez que parce que nous vous en avons donné l'ordre !
-Je crains que vous ne compreniez pas bien la situation. Je n'allais certainement pas faire un rapport à une assemblée où la moitié des membres étaient des pourris vendus aux hommes que j'ai combattu. Alors je n'ai plus rien à faire ici. La bonne journée !
-Non, attendez, vous n'avez pas le droit ! »
Tenson fit demi-tour et se lança vers la porte. Deux hommes de l'armée régulière tentèrent vaguement de lui barrer la route mais il fut très clair :
« Ecartez vous de mon chemin soldats ! Vous méritez mieux. »
Les deux soldats le laissèrent passer après avoir échangé un regard. Hanrel avait le regard fixé au sol, l'air grave et quelque peu troublé, mais ne disait rien.
« Général ! Cet homme est sous votre commandement, ordonnez-lui de revenir.
-Cet homme est sous le commandement de son propre Etat-major et de son propre gouvernement. Je me permets également de dire que c'est vous, Grand Kanonmar, qui avez été outrancier à son égard. »
De nouveaux frissons agitèrent la salle. Les membres tapotaient plus fort sur leur table et se tournaient vers le roi en lui demandant de réagir. Ce dernier n'avait cependant pas besoin d'encouragements, car il devenait rouge de colère.
-Général ! Personne ne vous demande de commenter la situation.
- Rien ne l'obligeait à nous aider, mais il a œuvré sans relâche, avec professionnalisme, avec exemplarité, avec force, il a coordonné avec moi toute l'opération et en est le principal contributeur. Il a su m'aider à redonner confiance en nos hommes. C'est à lui et presque à lui seul que vous devez les résultats que nous sommes venus vous apporter aujourd'hui.
-Général Hanrel, je vous interdis totalement !
-Tandis que des juges, des commissaires, des membres de ce Conseil, votre propre conseiller trahissaient Mars et se livraient à des activités frauduleuses, ce Terrien se battait pour nous. Il a durement travaillé mais il était également avec moi à deux reprises pour se battre avec des armes : il a risqué sa vie à deux reprises pour nous, parce que nous lui avons demandé. Il n'a rien exigé en retour, si ce n'est le respect dû à son rang.
-Il ne nous aide que pour trouver un refuge à son peuple.
-Et comment pourrions nous lui en vouloir ? Voilà un homme dévoué à son peuple. Voilà un soldat, un homme d'honneur : exactement ce dont nous manquons sur cette planète. Durant des années, vous n'avez rien fait et vous avez refusé tous mes plans parce que vous les jugiez trop dangereux. Et bien, il vient de me venger en vous maintenant à l'écart, et j'en suis très heureux ! Il vient de venger le peuple Martien qui a tant souffert à cause de votre lâcheté. »
Cette fois, la mesure était comble. Les membres du gouvernement se levèrent et crièrent leur désaccord. L'un d'entre eux tambourinait littéralement sur sa table tandis qu'un autre ne criait pas des mots, seulement des bruits qui s'entendaient par dessus le reste. Le roi se leva et s'avança, descendant les quelques marches de son trône, mais le calme ne revînt pas.
« Général ! Cessez sur le champ votre diatribe ! Depuis quand les émotions dictent elles vos paroles ?
-Votre comportement envers le capitaine Tenson est pour moi inqualifiable de par sa stupidité. Je soutiens de toutes mes forces l'attitude qu'il a eu envers vous, car il avait parfaitement raison de le faire.
-Ah, sédition, traîtrise ! Le général Loggs Hanrel se révolte !
-Appelez cela comme vous voulez, couards. Tous les hommes que je côtoie au quotidien valent cent fois mieux que vous.
-Soldats, arrêtez-le ! »
Les soldats toujours présents firent un pas hésitant, mais Tenson, encore derrière la porte, ressurgit. Il leur ordonna de quitter les lieux et de rejoindre le Quartier général de l'armée. Ceux-ci se tournèrent vers le général, qui d'un signe de tête approuva. Hanrel marcha à la porte, posa ses mains sur les épaules du Terrien qui en fit de même, puis les deux sortirent. Rapidement, ils décidèrent d'également se rendre au QG. Sur le chemin, ils rencontrèrent Zalos et Federico qui couraient de la même façon. Ceux-ci expliquèrent que des anciens clients du bar, mécontents de la nouvelle direction, avaient lancé une controverse. Les deux officiers, s'interposant, auraient bon gré mal gré déclenché une bagarre générale.
*
15 août 2115
Campement Terrien
La nuit était déjà tombée depuis quelques heures sur le camp. La seconde équipe de Columbus en était à son tour de travail, tandis que la première se reposait. Mais l'expédition Magalhaes dormait presque intégralement, puisque tous travaillaient en même temps : Ravishna refusait de faire fonctionner ses hommes selon le roulement établi par Tenson pour Columbus. Seule, Abdelkrim travaillait encore. Elle s'était éloignée du campement pour être seule, et n'avait emporté que de quoi écrire. Elle en profitait également pour rédiger son journal de bord. Elle était là depuis une petite heure, lorsqu'une voix résonna derrière elle.
« Tiens donc. Que faites vous là ? »
Elle se retourna, surprise, et aperçut le capitaine Buton, accompagné de deux de ses hommes.
« Je travaille capitaine.
-A cette heure ?
-Je ne suis pas encore fatiguée.
-Moi non plus, j'ai toujours un peu de mal à m'endormir.
-On se demande bien pourquoi.
-Très amusant. Alors, comment avancent vos travaux ?
-En quoi vous regardent-ils ?
-Tout me regarde, mademoiselle Abdelkrim. On m'a confié la sécurité de cette expédition, et je tiens à la faire respecter partout. Vous êtes la personne qui a le plus de données en sa possession et cela concerne la survie de toute l'opération.
-C'est absurde. Il n'y a que vous qui signifie quelque chose de mauvais ici.
-Charmant. Allez, montrez-moi vos conclusions. Ne m'obligez pas à vous forcer la main.
-Vous ne forcerez rien du tout. Rentrez au camp et jouez les chiens de garde. »
Buton la saisit alors par le bras gauche. Mais le bras droit lui asséna une gifle violente. Avant qu'il ne réalise ce qu'elle venait de faire, Abdelkrim lui envoya son genou entre les jambes. Cependant, elle rata et lui percuta la cuisse.
« Sale chienne ! » cria le mercenaire, avant de se retourner vers ses deux hommes.
Ceux-ci s'avancèrent, menaçants. La jeune femme recula de quelques pas, consciente qu'elle ne pourrait pas faire face à trois adversaires. Mais une voix intriguée se fit entendre derrière eux.
« Salia ? Que se passe -il ? »
Les mercenaires se retournèrent, et virent le lieutenant Henri, à une dizaine de mètres d'eux. C'est le mercenaire qui répondit.
« Oh, bonsoir lieutenant. Comment allez-vous ?
-Dégagez Buton. Rentrez au campement et éloignez vous d'elle.
-Sinon ?
-Sinon je vais vous faire regretter le jour où vos parents ont décidé de s'envoyer en l'air.
-Monsieur s'essaye à la répartie. Vous pouvez mieux faire. Tentez d'approcher, pour voir.
-Désolé, mais non. Je refuse de me battre contre vous.
-Mauviette !
-Ce combat est beaucoup trop déséquilibré. Vous n'êtes que trois.
-Comment cela, « que trois » ?
-Et bien oui, vous n'avez aucune chance. Je n'aurais aucun mérite à vous battre. »
Abdelkrim ria malgré son inquiétude devant la menace qui pesait sur le lieutenant, ce qui ne manqua pas d'agacer le capitaine. Il fusilla du regard le Français. Les trois hommes jetèrent leurs fusils au sol. Henri se plaça dans une posture d'attente plus que neutre. Buton envoya ses deux combattants en premier. Lorsqu'ils furent arrivés à portée, l'attaqué se mit soudainement de profil et leva le pied pour frapper au visage celui de droite, qui, surpris, voltigea dans la poussière du sol Martien. Celui de gauche parvint jusqu'à Henri mais fut trop lent. Aussitôt, il reçut un coup de poing direct, suivi d'un second, et enfin un coup de pied à l'estomac qui le fit tomber à la renverse. Le premier était en train de se relever, lorsque le Français se rapprocha et le frappa au dos, le rejetant à terre. Les deux mercenaires étaient au sol, hors de combat, en quelques coups. Buton eut un mouvement de recul, puis Henri s'avança vers lui.
« Alors capitaine ? Est-ce désormais votre tour ? »
Sans répondre, l'Américain tenta de donner un coup de poing. Henri esquiva, saisit le bras de son adversaire et le retourna dans son dos. Puis, d'un coup du tranchant de la main dans le dos, il le mit à terre. Il s'écarta un petit peu, attendant qu'il se relève. Lorsque ce fut fait, Buton tenta lui aussi de donner un coup de pied au visage, mais avec vivacité, le lieutenant s'empara du pied et le maintînt en l'air. Il sourit puis le leva d'un coup plus haut, ce qui renversa le capitaine qui s'écrasa à nouveau. Il se releva une autre fois, et sortit un canif.
« Allons capitaine. Je croyais que nous nous battions sans arme. »
Avec un cri de colère, Buton fit deux pas en avant, le couteau pointé devant lui. Le lieutenant dégaina alors son pistolet et pointa le buste de son adversaire.
« Si vous prenez une arme, moi aussi. Voyons avec quelle rapidité vous m'atteindrez. »
Buton grogna et regarda ses hommes qui se relevaient péniblement. La déception leur faisait aussi mal que les coups. Ils firent quelques pas de côté pour laisser la voie libre vers le camp. Abdelkrim s'avança à son tour vers Henri et lui sourit :
« Et bien... Je ne pensais pas que quelqu'un me ferait autant plaisir un jour. Ils l'ont bien cherché.
-Après tout, vous les aviez prévenu.
-Je vous propose que nous rentrions maintenant. Je ne supporte pas leur compagnie.
-Vous avez raison, laissons les là. Prenez vos affaires, nous retournons au campement. »
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