Chapitre 33 : Retour
19 septembre 2115, 23:30
Vaisseau amiral de la Lune Pourpre
Alors que la délégation Martienne et les Terriens -encore en forme- se préparaient à aller se reposer, des pirates vinrent les chercher. Leur chef, Gurracha, tenait absolument à les voir immédiatement sur le pont de son vaisseau. Intrigués, les « invités » suivirent les sous-fifres jusqu'à leur hôte. Celui-ci paraissait également fatigué, et on le voyait pour la première fois assis. A vrai dire, affalé serait un mot plus approprié. A cette heure-ci, il n'avait rien d'un chef de guerre, d'un roi des pirates ou d'un dirigeant galactique.
« Les coups d'Etats sont épuisants, pas vrai ? » lança Tenson d'un air souriant.
Gurracha releva la tête alors qu'il étudiait une carte spatiale. Sans un mot, il se releva -assez péniblement, étonnamment- et s'approcha d'eux. Il posa une main sur l'épaule du général Hanrel et une autre sur l'épaule du capitaine Tenson, et commença à parler :
« Laissez-moi-vous expliquer. Je préfère que tout soit clair avant demain. Je vous ai déjà touché quelques mots quand à la suite des opérations, mais il faut que vous soyez au courant de façon plus détaillée.
-Concernant quelle suite ?
-Et bien, j'ai une chose assez importante à vous expliquer. C'est ce que l'on pourrait appeler mon plan global. En d'autres termes, mes ambitions pour la galaxie.
-Vous vous croyez déjà chef suprême de tous les systèmes ?
-Non, non, bien sûr que non. Contrairement à ce que vous pourriez penser, mon but n'est certainement pas de prendre en main la galaxie. Disons que je ne suis qu'un levier qui permettra de réveiller les gens.
-Et quels gens ?
-Les Terriens particulièrement. Je pense que vous êtes d'accord avec moi : nous ne pouvons pas laisser notre peuple dans l'ignorance la plus totale et sous une menace extérieure.
-Les Catysmopes ?
-Particulièrement. Mais la jalousie et la méfiance pourrait attiser de nouveaux conflits. Il faut donc agir en premier. Montrer à tout le monde que nous sommes un peuple comme les autres, et que nous méritons la même place que n'importe quelle autre race de la galaxie. Autrement, nous ne serons pas pris au sérieux et balayés.
-Ce sont des intentions louables, certes. Je n'ai donc pas à m'inquiéter de vos objectifs. Ce qui est l'objet de mes craintes, ce sont vos moyens, votre manière de faire.
-Je sais que vous m'en voulez beaucoup pour cette affaire de conférence galactique. Mais croyez-moi, c'était la seule et unique solution. Rien n'aurait avancé et vous auriez eu le temps de mourir dix fois de vieillesse avant qu'une décision ne soit prise.
-Je ne suis pas d'accord, mais admettons que vous ayez fait ce qu'il fallait faire. Et maintenant ?
-Maintenant, c'est très simple. Les Terriens vont devoir entrer dans la galaxie.
-Qu'entendez-vous par là ?
-Lorsque l'on nous a envoyé sur Mars, c'était pour trouver un nouveau foyer, car la Terre mourrait à petit feu. J'aimerais croire que la situation a changé et que tout va mieux, mais vous ne seriez pas ici si tel est le cas. Suis-je en train de me tromper ?
-Non. La Terre meurt, et ses habitants également.
-Pour le moment, la Terre est donc plus dangereuse pour nous qu'elle n'est un foyer sûr. Il va donc falloir faire entrer les Terriens au sein de cette galaxie.
-Vous nous parliez de la planète Namaria.
-Tout à fait. Elle se situe dans Le Foyer, comme Kolbarba, Orthor ou même Zavodar. Comment je vous l'ai dit, elle est vierge d'occupation. Nos milliards de Terriens ne poseront même pas problème au vu de sa superficie.
-Vous nous avez déjà expliqué tout cela.
-Cela, oui. C'est l'objectif. Laissez-moi vous parler de ce que vous appelez mes « moyens » et ma « manière de faire ». Au début, j'avais pensé utiliser ma propre flotte pirate pour transférer la population. Mais deux problèmes se posaient alors : premièrement, je n'ai pas assez de vaisseaux pour un projet de cette envergure. Deuxièmement, nous allons nous faire tirer dessus par à peu près n'importe qui dans la galaxie. J'ai donc réfléchi à un autre moyen. Et c'est là, général, que vous entrez en jeu. Les Martiens vont nous aider.
-A transférer les Terriens ?
-Exactement. Mon projet est le suivant : la flotte Martienne aidée par la flotte de la Lune Pourpre transfère la population de la Terre jusque Mars, qui servirait de base transitoire. Puis, d'autres flottes galactiques prennent le relais et amènent tout le monde sur Namaria.
-En effet, c'est une opération de taille.
-Y croyez-vous ?
-Je pense que je le peux. C'est le seul espoir pour notre peuple.
-Parfait ! Général, seriez-vous prêts à jouer ce rôle ?
-A titre personnel, absolument. Mais je devrais en parler au Conseil de Mars, et c'est lui qui tranchera.
-Bien évidemment. Je sais que vous arriverez à convaincre les plus hésitants. C'est le destin de toute une planète, de toute une espèce qui est désormais en jeu.
-Gurracha ?
-Oui, lieutenant Federico ?
-Pour monter ce projet, il faut bien que les Terriens soient au courant. Comment allez-vous les convaincre, eux ?
-En plusieurs étapes. D'abord, nous allons nous rendre dans votre base sur Mars, tous ensemble. Nous expliquerons la situation à nos semblables. Ensuite, nous prendrons contact avec le gouvernement Terrien, qui se chargera de retransmettre les informations à la population. Enfin, nous préparerons l'opération, je vous ferai visiter Namaria et lorsque tous les préparatifs seront faits, nous retournerons chez nous.
-Nous ?
-J'y tiens beaucoup, capitaine. Je veux que vous m'accompagniez sur la Terre lorsque nous irons chercher notre peuple.
-Et bien, soit. Je n'y vois aucun inconvénient. Hormis le fait que nous sommes recherchés, avec le lieutenant.
-Vous m'avez également déjà expliqué cela. Mais ils oublieront ce détail lorsque nous arriverons.
-Je l'espère bien. »
*
20 septembre 2115, 06:00
Surface Martienne
Réveillés par des pirates à peine moins endormis qu'eux, les Martiens et les Terriens se rendirent de nouveau sur le pont. Gurracha semblait ne pas avoir dormi mais était de loin le plus actif. Il se retourna, vit les arrivants et leur adressa de larges sourires :
« Ravi de vous revoir de si bon matin ! Nous avons atterri sur Mars il y a quelques heures, mais j'ai préféré laisser les gens se reposer encore un peu. Préparez-vous, d'ici peu nous nous rendrons à votre campement. »
Tout à coup, une alerte sonore répétée se mit à résonner dans le vaisseau. Un pirate se jeta à terre en hurlant « Roquette ! ». Tous l'imitèrent, et le hublot du vaisseau vola en éclats.
« Des victimes ?
- Aucune monsieur.
-Etat du vaisseau ?
-Hublot détruit et tableau de bord également. Impossible de décoller !
-Armement ?
-Nos tourelles auxiliaires sont encore opérationnelles.
-Préparez vous à riposter.
-Chef ! Une importante force nous encercle. Des machines de combats ! »
Alors que dans le feu de l'action, Gurracha allait donner l'ordre de tirer, une voix s'éleva de l'extérieur.
« Rendez vous, saleté de vermine pirate ! Ici le commandant Varong, des forces militaires Martiennes ! Sortez tous les mains en l'air sans vos armes et alignez-vous à genoux devant mes troupes. »
Gurracha, troublé, se retourna vers Hanrel, qui riait.
« Dites-moi que vous le connaissez !
-Mais bien sûr. C'est un de mes meilleurs hommes. »
Il se dirigea seul vers la sortie du vaisseau et abaissa la rampe de lancement. Il descendit, les mains sur la tête et alla à la rencontre des deux machines qui attendaient en bas.
« Scan de l'interpellé en cours. Identité trouvée. Général Loggs Hanrel, chef d'Etat-Major et membre du Conseil de Mars. Vous êtes en état d'arresta... Ceci n'était pas prévu. Aucun programme de réaction trouvé. »
Le général riait de plus belle devant l'incompréhension de ses propres robots. Le communicateur des machines retentit et l'une d'entre elles répondit.
« Ici Varong, que se passe t-il ?
-Commandant, le général Hanrel est ici.
-Quoi ? »
Dans les secondes qui suivirent, le commandant Martien fit irruption en plein sprint.
« Mais, général ? Que faites vous dans ce...
-C'est une histoire un peu compliquée, Varong. Je vous demanderais juste de ne pas tirer sur ces gens.
-Très bien. Vous auriez peut-être dû prévenir de votre arrivée.
-Comment croyez-vous avoir obtenu ces coordonnées ? Je vous ai adressé un autre message d'ailleurs. Vous avez ce que j'ai demandé ?
- Oh, je vois. Je ne m'attendais pas à tant de précautions. Mais tenez. »
L'officier plongea la main dans son uniforme et en tira une médaille brillante. Elle possédait un petit ruban, du même bleu que leur uniforme, et une inscription des deux côtés. Le général la récupéra en remerciant son subalterne.
« Pour qui est-elle, général ?
-Pour quelqu'un qui la mérite depuis longtemps. Maintenant, dites-moi. Vous faites toujours des opérations anti-pirates à six heures du matin, Varong ?
-Il n'y a pas d'heure pour faire respecter la Loi. »
Hanrel continua à rire, et Varong le suivit dans son humeur. Les autres occupants du vaisseau commencèrent à sortir.
« Mais dites-moi général. Où allez-vous ?
-Au campement Terrien. Vous avez des nouvelles ?
-Des Terriens, pas plus ni moins que d'habitude. Nous avons rencontré certains de leurs nouveaux officiers mais aucun ne s'est rendu à Loyva.
-Oh, voilà qui est très bien ! »
Gurracha semblait ne pas être très satisfait. Le général ne se préoccupait pas de la mission, le vaisseau était cloué au sol et il avait l'impression de perdre son temps. Il demanda à Tenson où était le campement et se mit en marche vers la direction donnée. Les autres lui emboitèrent le pas, sachant pertinemment pourquoi ils étaient là.
*
20 septembre 2115, 06:30
Campement Terrien
Le commandant Ricardo finissait sa tournée des postes de travail, lorsqu'il fut appelé par le major Hohenwald.
« Commandant ? Il faut que je vous parle, maintenant.
-Oh, bien sûr.
-C'est parce que vous êtes l'officier le plus gradé que je dois vous voir.
-Le plus gradé ? Que faites-vous de l'ingénieur-chef ?
-Je parle d'officiers monsieur.
-Et bien, le capitaine Buton.
-D'officiers militaires.
-Le colonel Taizhong ?
-Monsieur ! Vous ne vous croyez pas capable de m'aider ? Vous êtes l'officier supérieur en qui les hommes ont le plus confiance.
-Que faites-vous du colonel Taizhong ?
-Malheureusement, il est trop conventionnel. Nous souhaitons vous parler de quelque chose de trop compliqué pour lui.
-Alors de quoi s'agit-il ?
-Les hommes sont méfiants de ce qui se passe autour d'eux. Nous sentons bien que tout n'est pas clair et nous suspectons quelque chose.
-Vous suspectez ? Etes-vous officier de police, major Hohenwald ?
-Non. Mais je sais reconnaître les situations louches. Et le Major Malou, qui est le plus discret mais le plus attentif de nous tous, consigne tout ce qui lui paraît étrange.
-Fort bien. Dites moi tout.
-Et bien, monsieur, le capitaine Buton a parfois des réunions nocturnes. L'ingénieur-chef, le colonel Taizhong et lui-même se rendent souvent dans la navette de communication en pleine nuit. Qui est à ce moment gardée par ses mercenaires et pas par nos troupes.
-Réunion des officiers supérieurs pour faire un rapport au gouvernement, cela va de soi.
-Alors pourquoi n'êtes vous pas invité à ces petites réunions ?
-Je pense que je dois faire preuve de mes capacités de commandement avant de pouvoir prétendre avoir le même statut qu'eux.
-Soyons francs. Si tel était le cas, seuls Taizhong et vous pourriez faire ces réunions. Ils nous surveillent, colonel.
-Qui donc ?
-Les mercenaires. Ils épient les moindres de nos actions, de nos déplacements. A peine avons-nous découvert quelque chose qu'il y en a déjà dans les parages, avant que l'on n'ait eu le temps d'appeler nos propres officiers. Les avant-postes et les balises à l'extérieur, ce sont ces mercenaires qui se chargent de tout. Nous ne savons pas ce qui se passe dehors. Ils ont eu des morts, monsieur, et ils nous en tiennent pour responsables.
-Dehors, il y a des Martiens qui vivent et des membres de l'opération Gaïa qui travaillent, c'est tout. Ceux qui sont décédés connaissaient non seulement les risques, mais ils sont payés pour les prendre.
-Mais... S'il vous plaît, monsieur... Nous devons en avoir le cœur net. Laissez-moi avec quelques hommes accéder aux communications récentes. S'il y a quelque chose, nous le saurons alors.
-Etes-vous devenu fou ? C'est de l'espionnage, de la trahison !
-Non, c'est de la sécurité. Peut-être même de la prévention. Je ne suis pas agent de police mais je connais ce genre de situation. Rien ne se passe comme prévu lorsque ces gens sont dans les parages. Laissez-moi agir, je vous en prie. Personne n'en saura rien.
-Alors pourquoi me demander mon autorisation ?
-Parce que je vous respecte, comme les autres membres.
-Et si je refuse, vous le ferez quand même, bien sûr. Pourquoi ne suis-je pas étonné ? »
Le major ne put donner sa réponse tout de suite. Des cris se faisaient entendre, et les soldats couraient vers la porte. On pouvait apercevoir Tenson et Federico, accompagnés de plusieurs individus. Buton sortit d'une navette et fit un signe de tête à ses hommes : tous les mercenaires s'élancèrent en le suivant, l'arme à la main. Ricardo prit le poignet d'Hohenwald, qui se retourna surpris.
« Major, si vous devez agir, agissez maintenant.
-Merci mon colonel ! »
Hohenwald se mit au garde à vous et hocha la tête à deux militaires, qui foncèrent avec lui dans la navette de communications, désertée de ses gardes. Le colonel rejoignit lui aussi la porte, d'un pas assuré mais la tête confuse par ce qui se passait. Les mercenaires encerclaient les deux Terriens qui s'étaient évadés, qui pour leur part restaient impassibles. Buton les interpella :
« Capitaine Tenson et lieutenant Federico, pour crime envers le gouvernement de la Fédération, agression envers un officier supérieur et évasion, vous êtes en état d'arrestation ! Levez les mains. Les Terriens, avancez-vous. Que les aliens reculent sur le champ ou ils seront arrêtés en même temps. »
Tout le monde obtempéra mais Gurracha, Terrien, s'avança en même temps que les deux officiers.
« Toi, le Martien ! Recule avec ceux de ton espèce.
-Navré, je suis Terrien. Ma place est ici.
-Que dis-tu ? »
Le capitaine tendit deux doigts vers le Mongol, et deux mercenaires s'avancèrent. Chacun attrapa un bras pour le faire reculer. Mais avec force et rapidité, Gurracha les attrapa à la gorge et les souleva, leur faisant lâcher leurs armes. Tous les mercenaires reculèrent en pointant leurs fusils vers lui.
« Repose-les sale chien !
-Veuillez le pardonner, capitaine Buton. Il n'aime pas trop que l'on ne le reconnaisse pas. Si vous pouviez vous excuser et comprendre qu'il est l'un des nôtres, cela le calmerait à coup sûr.
-Des nôtres ? Il n'a jamais été dans cette base !
-Et pourtant, c'est un Terrien.
-En tant que responsable de la sécurité, je ne laisserai pas un étranger entrer ici en toute impunité en prétendant qu'il est Terrien. »
Heureusement, le ministre de la Défense s'empressa d'arriver à son tour.
« Capitaine, au nom du ciel, baissez votre arme ! Dites à vos hommes d'en faire autant ! Monsieur, s'il vous plaît, lâchez ces hommes. »
Les mercenaires baissèrent en effet leurs armes, et Gurracha, voyant la bonne foi de ce nouvel arrivant, déposa les deux hommes de Buton au sol, qui ramassèrent tant bien que mal leurs fusils pour courir rejoindre leurs rangs.
« Permettez-moi de me présenter. Je suis le ministre de la défense, Vandervoorde. Ne tenez pas compte du climat un peu tendu qui règne ici. Certaines personnes ne peuvent se voir sans générer des tensions.
-Je pardonne cela. Quant à moi, je me nomme Gurracha. Je suis un astronaute Mongol, envoyé il y a de nombreuses années sur Mars, dans le même but que vous.
-Pardonnez-moi ? Mais comment est-ce... Attendez. Serait-ce possible ?
-Procky IV.
-Mais oui c'est cela... Je me rappelle, désormais. Procky.
-Exactement. Vous y étiez ?
-Non, je n'étais au courant de rien sur le moment. J'en ai entendu parler par la suite, mais pour être franc, je n'y croyais pas trop. C'est donc bien réel ?
-Tout à fait.
-Et vous êtes encore là ?
-J'en suis le premier étonné.
-Suivez-moi, monsieur. Nous devons avoir beaucoup de choses à entendre de votre part.
-Plus que vous ne l'imaginez. J'ai effectivement à vous parler. Pourrions-nous être en contact avec votre gouvernement ?
-Evidemment. Dans une vingtaine de minutes, nous devions justement avoir une connexion avec Petrov en personne.
-Petrov ? Monsieur Petrov est encore en vie ?
-Monsieur ? Non, madame. C'est la présidente de la Terre, Anouchka Petrov.
- Oh, pardonnez-moi. J'ai confondu alors. »
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