Chapitre 37 : New Washington
20 septembre 2115, 15:30
Route spatiale Mars-Terre
« Tom ! »
Le général Hanrel cria encore une fois le prénom du Terrien, glaçant tous les membres d'équipage présents. Dans le poste de commandement Catysmope, la crainte commençait à s'installer et on se préparait à quitter le navire. Le capitaine fonçait toujours droit sur le vaisseau amiral, esquivant les tirs de ses poursuivants. Tout à coup, trois chasseurs survinrent devant lui et ouvrirent le feu. Mais leurs tirs avaient pour cible les vaisseaux Catysmopes qui le mettaient en danger. Ces renforts impromptus passèrent à côté de lui et détruisirent plusieurs poursuivants. En même temps, de nouveaux vaisseaux surgissaient sur le champ de bataille : des frégates et de nombreux chasseurs venaient renforcer les Martiens. Plusieurs navettes d'abordage réussirent à passer les défenses adverses et pénétrèrent dans le hangar du navire amiral Catysmope. Les pirates de Gurracha venaient d'arriver de façon totalement impromptue. Tenson fit ralentir son vaisseau, lâcha un énorme soupir de soulagement et se dirigea en direction de la flotte de ses alliés. A peine arrivé dans le hangar, il était déjà rejoint par ses deux lieutenants, le général Hanrel, le chef Altyr et Gurracha. Le général Martien le prit aussitôt dans ses bras :
« Tenson, ne recommencez plus jamais un coup comme ça ! Mais de toute façon, vous ne l'auriez pas fait ? C'était une feinte ? »
Le Terrien préféra ne pas répondre, se contenta d'un sourire et changea de sujet.
« A présent que la flotte Catysmope est en pleine déroute, la route de la Terre est enfin libre. Nos vaisseaux de transport doivent immédiatement partir. Mes lieutenants et moi-même devrons partir avec la première navette pour expliquer la situation à nos responsables.
-Bien sûr, bien sûr. Je vais immédiatement donner l'ordre à mes transports de décoller. Je vais également contacter l'amiral Nox pour que les siens fassent la même chose.
-Je vous remercie. Gurracha ? Souhaitez-vous venir avec nous ?
-Avec vous ? Sur Terre ?
-Oui. Vos trois lieutenants sont également invités. Après tout, vous êtes Terriens.
-Et bien, ce serait véritablement un honneur. Cela fait tant de temps...
-Alors c'est décidé. Rappelez-les, les transports n'attendront pas éternellement. »
Après avoir éliminé les défenses Catysmopes, les pirates avaient réussi à accéder au poste de commandement, où ils trouvèrent l'amiral Ramizer.
« Messieurs, je suis prêt à mourir pour Orthor !
-Personne ne vous le demande, amiral. Posez votre arme et ordonnez la reddition de ce qu'il reste de vos forces.
-Certainement pas. Feu ! »
Les machines Catysmopes obéirent et commencèrent à défendre leur officier supérieur. Les pirates, moins nombreux, reculèrent et se mirent à l'abri.
« Chef ! L'amiral Catysmope refuse de se rendre. Que faisons-nous ?
-Je ne le veux pas mort, entendu ? Trouvez un moyen de l'arrêter.
-Nous allons tenter, chef. »
Mais Ramizer était dans l'un des coins de la grande salle, bien protégé par ses gardes.
« Pirates ! Garantissez une libre retraite à mes forces, ou ce sera l'autodestruction !
-Mais vous êtes fou ?
-Une libre retraite ! Aucun Catysmope ne sera prisonnier de vous, sales Humains ! »
Les trois sous-chefs pirates se regardèrent et contactèrent de nouveau leur supérieur :
« Chef ? Nous avons encore un problème.
-Quoi donc ?
-L'amiral menace d'autodétruire toute sa flotte si on ne laisse pas repartir avec ses troupes.
-Quoi ? Mais il fera sauter notre flotte par la même occasion ! Sans parler de nos hommes qui sont à l'abordage.
-C'est le problème, en effet. On tente de l'abattre ?
-Hanrel me fait signe que non. Dites lui que c'est d'accord. Cessez le feu, retirez vous et laissez les partir.
-On abandonne ?
-C'est ça ou la mort. Maintenant, dépêchez-vous, vous allez louper notre navette pour la Terre.
-Justement monsieur. On voulait vous en parler. Allez y, mais sans nous.
-Comment ça ? Mais c'est la Terre. Cela fait vingt ans.
-Tous les trois, on pense qu'on apportera rien. Vous êtes le chef et vous saurez parler pour nous. On va se charger de tout coordonner ici pour vous. Ca nous ferait plaisir, oui, mais il n'y a pas d'utilité. Vous serez attendu, comme Tenson et ses officiers. Ils peuvent nous oublier, ce ne sera pas un souci.
-Vous êtes sûrs ?
-Ca fait un petit moment qu'on y réfléchit, et notre choix est fait, oui.
-Très bien. Je n'irais pas vous forcer. De toute façon, on se retrouve après. Vous m'expliquerez ce que Ramizer vous aura dit en partant.
-Promis chef. Bon séjour ! »
Gurracha se dirigea vers la navette qui l'attendait, précisa que ses hommes ne venaient pas sans entrer dans les détails et attendit quelques secondes le décollage. Le transport s'envola et survola la bataille désormais finie. On pouvait voir les vaisseaux Catysmopes se rassembler, certains encore en feu, pour repartir sur Orthor, après une sévère défaite. Puis le vaisseau accéléra et vola vers la Terre. Même depuis l'espace, elle était tout aussi désolante que lorsqu'ils étaient partis. Seul Gurracha pouvait voir un très léger changement et il s'en trouvait affecté. Federico et Henri lui expliquaient en détail que rien n'avait réellement bougé : cela lui rappelait l'ampleur de la catastrophe. Pendant ce temps, Tenson guidait les pilotes vers la surface de New Washington, où ils se feraient annoncer au gouvernement planétaire.
*
20 septembre 2115, 16:00
Surface de la Terre
Aire de New Washington
Le vaisseau Martien se posa sur la base aérienne, encore parsemée de quelques avions ou hélicoptères totalement hors service. Quelques vestiges de bâtiments pouvaient être distingués, mais sans plus. La seule chose qui ressortait vraiment était la grande porte métallique qui se dressait devant eux. Le petit groupe s'avança devant et patienta quelques instants. Puis celle-ci s'ouvrit dans un grand bruit, soulevant une montagne de poussière. Les Humains entrèrent dans ce qui était un sas. La porte se referma, l'air fut purifié et les visiteurs pouvaient retirer leurs respirateurs artificiels. Une porte plus petite s'ouvrit à nouveau devant eux, et ils la franchirent. Derrière se trouvaient plusieurs soldats et un officier, qui prit la parole.
« Bienvenue. Je suis le commandant Carlotta Monacello, Légion Italienne, chargée de la sécurité de cette base. Remettez-moi vos armes puis présentez vous. »
Les quatre Terriens et le Martien posèrent leurs pistolets dans un bac, puis Tenson se chargea de répondre.
« Je suis le capitaine Tom Tenson, Légion Britannique. Voici les lieutenants Maxime Henri de la Légion Française et Carmen Federico de la Légion Espagnole. Nous sommes accompagnés de monsieur Gurracha, cosmonaute Mongol, et du général Loggs Hanrel, chef de l'Armée Martienne.
-Que du beau monde. Suivez-moi je vous prie. Madame la Présidente vous attend déjà.
-Si vous savez que nous sommes attendus, pourquoi nous avoir demandé nos noms ?
-Je ne connaissais pas votre prénom, capitaine. »
Assez rapidement, le groupe fut amené dans le bureau d'Anouchka Petrov, qui congédia son ministre de la recherche, Watanabe, qui sortit en saluant respectueusement les nouveaux arrivants.
« Ah ! Voilà les sauveurs de la planète. Comment avance l'opération Gaïa ?
- Tout avance bien, madame la Présidente. Comme vous le savez, Mars est totalement compatible avec nos organismes mais déjà habitée. Afin de ne pas surpeupler cette planète, monsieur Gurracha a eu l'idée de sélectionner une autre planète.
-Elle aussi compatible ?
-A cent pour cent, madame. Nous sommes allés la visiter et c'est la planète parfaite.
-Et c'est vous, monsieur Gurracha, qui en avez eu l'idée ?
-Oui. Depuis Procky IV, j'ai eu le temps d'apprendre beaucoup de choses sur la galaxie.
-Procky IV, bien sûr. Je vous le répète, mon père aurait été fier de vous. Vous n'imaginez pas à quel point il s'en voulait de ne pas pouvoir vous venir en aide. Et voilà que tant d'années après, vous êtes de retour. Vos compagnons ne sont pas venus ?
-Non, je les excuse. Ils ont fort à faire.
-Je pense, oui. Mais parlez moi donc de votre plan. Vous comptez transférer la population Terrienne sur cette planète, c'est cela ? Quel est son nom d'ailleurs ?
-Namaria. Et oui, il s'agit bien d'un transfert total. Dès que vous en donnerez l'autorisation, des navettes de transport commenceront à évacuer sur Mars. Puis, d'autres prendront le relais et ouvriront la route de Namaria.
-C'est une grande et belle opération que nous avons là. Je suis fière de voir que la Terre peut compter sur des gens aussi fidèles que vous. Vos actions à tous vont contribuer à sauver notre peuple. Lorsque ce cauchemar sera fini, vous serez récompensés comme il se doit.
-C'est un honneur, madame.
-Mais non, c'est tout à fait normal. A présent, continuons notre travail. Vous, Gurracha, et vous, général Hanrel, accompagnez moi au conseil des ministres. Général, vous aurez certainement des choses à nous raconter. Lieutenants Henri et Federico, vous avez quartier libre dans la base. Je vous accorderai bien une permission, mais l'urgence fait que je ne peux pas vous éloigner. Quant à vous, capitaine Tenson, je vous confie au commandant Monacello. Elle va vous expliquer notre part des opérations et ce qu'il nous reste à faire. Nous nous retrouvons tous ce soir, à 19h, au centre de communications. »
Chaque groupe partit alors de son côté. Tenson suivit l'officier, qui commença une sorte de visite guidée du Quartier Général, jusqu'à être interrompue par lui.
« Commandant Monacello. Voilà du sérieux.
-Et toujours capitaine. On ne peut pas en dire autant.
-Il paraît que je suis excellent à ce poste. Ca leur serait contre-productif de me promouvoir.
-Toujours aussi vantard.
-Ce n'est pas vrai peut-être ?
-Malheureusement, si. C'est ce qu'on voit dans tous tes états de service. Sauf les derniers.
-Les derniers ? Tu as accès aux états de service ? Ca fait longtemps qu'ils sont classés secrets.
-Pas pour tout le monde. Je ne suis que commandant, mais attachée personnellement à la présidente. J'ai pu me renseigner sur toute ton expédition.
-Et qu'est-ce que tu as appris ?
-Que pour le meilleur, tu es entouré de beaucoup d'imbéciles.
-Tu vises quelqu'un en particulier ?
-Les mêmes que toi je suppose. Tu as de la chance pour tes lieutenants. Ils sont très bons dans leur travail.
-Je n'ai jamais eu à m'en plaindre, ils connaissent leur métier. Et aussi leurs limites. Ils n'usent pas de leur autorité pour connaître un prénom.
-Eh ! Tu ne me l'as jamais dit.
-Tu ne me l'a jamais demandé non plus.
-Il n'empêche que toi, tu connaissais le mien.
-Tu étais sous mes ordres, j'avais ta fiche. Mais je ne l'ai jamais utilisé. Tu me reprocherais quelque chose ?
-Non, pas du tout. C'était inattendu, mais divertissant.
-Bon, tu comptes me faire visiter cette base longtemps ? J'y ai passé deux ans entiers, et elle n'a pas changé.
-Cette Terre est vraiment figée. On a du mal à s'en rendre compte lorsqu'on reste ici. Mais bien, bien. Si monsieur n'est pas satisfait de mes qualités de guide, il n'a qu'à décider lui-même où nous allons.
-J'ai une idée. Il y a encore le « Terra » ?
-Bien sûr que oui ! Tu imagines ce Quartier Général sans cet endroit ? »
Les deux officiers rirent ensemble et se rendirent à ce qui était probablement le bar le plus distrayant de tout New-Washington, et il était pourtant au cœur de la plus grosse base militaire de la planète. Le capitaine retrouva rapidement ses marques et marchait devant, suivi par le commandant, amusée. Ils arrivèrent à l'endroit, très animé et peuplé de militaires de la base, qui riaient et chantaient.
« Ah... Le seul endroit de la base où les responsables laissent une entière liberté à leurs braves soldats...
-Côté entière liberté, c'est sûr. On entend toujours des histoires amusantes au Terra. Qu'est-ce que tu prends ? Toujours ton célèbre thé ?
-Mon Dieu, mon Dieu... Ca fait des mois que je n'ai plus de thé. Il n'y en a pas sur Mars, et bien sûr, les autres expéditions n'en ramènent jamais. J'ai pourtant fait une note à ce sujet. En plus, il va être cinq heures, nous sommes pile à l'heure.
-Et bien, demande toujours, s'il te manque tant.
-Bonne idée. Dites-moi l'ami, vous auriez du thé ici ?
-Bien sûr ! Vert, noir, jaune ou blanc ?
-Anglais, Anglais ! Du thé bien Anglais.
-Euh... Je vais voir si j'ai ça. »
A peine le barman était-il parti qu'un officier accosta Tenson d'une tape sur l'épaule.
« Du thé Anglais ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Me dis pas que t'es un vrai Anglais ?
-Excusez-vous sergent ! Vous manquez de respect à un officier !
-Oh, faut m'excuser. Quel grade vous avez ?
-Capitaine.
-Un capitaine Anglais ? Vous avez toujours le droit d'être gradés ?
-Votre nom, sergent !
-Connolly, m'sieur. Et vous ?
-Ca ne vous regarde pas. Déguerpissez maintenant.
-Eh ! Pearse ! Viens voir qui fait le beau ? »
Un autre sergent arriva alors, l'air grognon. Tenson s'exaspéra alors.
« Connolly, Pearse... Oh goodlord, pas des Irlandais...
-Un problème avec nous ? Nous ne sommes peut-être pas à la hauteur de votre dignité, monsieur l'aristocrate ?
-Messieurs, je suis certain que nous pouvons régler cela tranquillement.
-Avec les poings ou avec les chopes !
-Oh non... Je n'ai pas envie de me battre aujourd'hui, alors allons y pour les chopes. »
Visiblement inquiète, Monacello tenta de le raisonner.
« Tom, c'est une mauvaise idée. Plus personne ne fait ça.
-Eux, si. On va voir si je tiens toujours. »
Les trois hommes se mirent assis autour d'une table et commencèrent. La règle était plus que simple : chacun vidait une chope et le suivant le faisait à son tour. Beau joueur, le capitaine fit remarquer qu'ils étaient deux et s'engagea à boire deux chopes à chaque fois, pour ne pas être favorisé. Le commandant se détendit, lui faisant entièrement confiance. Plus les chopes se vidaient, plus le bar était concentré et se regroupait autour de la table. Pendant que les deux Irlandais buvaient l'un après l'autre, Tenson riait et faisait des traits d'humour pour amuser les spectateurs. Bientôt, le dénommé Pearse se leva et se dirigea vers les toilettes, très digne, mais sans pouvoir finir son tour. Des acclamations retentirent dans le bar. Connolly réussit à tenir trois tours de plus, mais s'endormit sur sa chaise après avoir lutté, malgré le bruit. L'Anglais laissa de côté ses deux dernières chopes et se leva sous les ovations des autres militaires. Le barman s'approcha alors :
« Capitaine, j'ai votre thé, mais il n'est pas préparé. En revanche, pour vous féliciter d'avoir battu le record, la maison vous l'offre !
-Très aimable. Et bien, approchez. Hélas, cinq heures est déjà passé, mais nous pouvons encore nous rattraper. Laissez-moi-vous montrer comment nous buvons le thé chez nous. »
Un peu en retrait, l'Italienne souriait, un verre à la main. Elle semblait connaître ce moment par cœur.
« Tout d'abord, il faut ébouillanter la théière. Ainsi, nous allons réchauffer les feuilles de thé : elles pourront libérer tout leur doux parfum. Ensuite, mettons une cuillerée de thé dans la théière. Ajoutons-en une pour la théière même, cela en fait deux. A présent, versons l'eau frémissante sur les feuilles... Mais attention ! J'ai dit frémissante, jamais bouillante. Bien... Il ne reste plus qu'à laisser infuser ce magnifique breuvage, entre trois et cinq minutes. Je vais en profiter pour passer aux toilettes, et il ne me restera plus qu'à remuer et à servir. »
Les autres consommateurs l'applaudirent, enthousiastes, et retournèrent à leurs tables respectives. Monacello attendit une petite minute puis se dirigea vers les toilettes. Tenson venait de finir de se laver les mains et était en train de se les sécher.
« Tu n'as rien perdu à la levée de coude, dis moi.
-Je pense que c'est dans le sang. C'est de famille je crois. »
Sans répondre, le commandant sourit à nouveau puis lui lança un petit communicateur, en mettant son index sur la bouche, pour lui indiquer de ne pas parler. Tenson la regarda d'un air perplexe mais elle continua, enjouée :
« Il faudrait plus de journées comme celles-là, tu ne trouves pas ? »
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