2 - Les bonnes vieilles habitudes

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A peine ai-je posé le pied à l'intérieur que je suis parcourue d'une vague de nausées. Une intense transpiration collective forme cette atmosphère moite et vaporeuse qui me colle à la peau. La chaleur ambiante libère une odeur nauséabonde de renfermé. En dépit de cet accueil peu chaleureux, je m'oblige à faire face à mes réticences et avance le long du couloir ; je ferai avec, comme tous ces gens. Et des gens, il y en a. Une longue file d'attente qui se prolonge à perte du vue s'est déja formée devant moi. Je ne manque pas l'occasion d'examiner mes futurs adversaires. Cette proximité avec les autres me met rapidement mal à l'aise et l'anxiété habituelle qui m'habite en public commence déjà à pointer le bout de son nez. Vais-je rentrer chez moi en un seul morceau ? Mon excitation laisse peu à peu place à l'angoisse, et ma motivation s'envole en même temps que la file avance.

- Entre, me dit l'homme agé d'une cinquantaine d'années, assis sur son vieux fauteuil.

-Bonsoir, j'ai appelé plus tôt dans la soirée pour faire un cours d'essai, annoncé-je timidement

- Et ?

Et quoi ? C'est à lui de me le dire. Son air moqueur me donne envie de faire demi-tour sur le champ. Ma timidité se fait toujours passer pour de l'assurance. Il veut probablement blaguer, mais je ne suis pas douée pour ce genre d'interactions sociales. Il m'invite à retirer mes chaussures, me changer et je me décide à traverser la cage aux lions, défilant jusqu'aux vestaires sous le regard imposant des autres boxeurs. Les autres, justement, se connaissent presque tous et forment déjà de petits groupes de discussions bruyantes en attendant que la sonnerie marque le début du cours. Quelques solitaires s'étirent silencieusement, j'observe leurs mouvements et les reproduis dans mon coin sans grande difficulté. J'ai déjà décidé de mon camp.

Une première demi-heure de tests a permis de juger mes compétences, et la sentence tombe : niveau intérmediaire. Il me reste donc quelques bases de mes premiers entraînements datant pourtant déjà de plusieurs années. Heureuse d'échapper au fardeau des débutants, je reprends mes marques tranquillement. Poing-pied-poing, esquive, tourne. Je révise les différents mouvements, m'essaye à quelques touches avec d'anciennes filles du club. Ca rigole pas, et ça tombe bien, je ne suis pas venue dans l'optique de me faire des amis. Cette tendance qu'ont les nouveaux à venir soutirer la discussion me rend vraiment nerveuse. Je ne veux pas blesser, mais être réceptive ne me pas rendra pas service sur le long terme : je viens me vider la tête de toute émotion négative et repousser mes limites ; créer des relations amicales serait source de distraction et ne fait pas partie de mes objectifs.

Ce premier cours a été le début d'une longue série. Au vu de ma progression, l'entraineur a rapidement placé ses espoirs en moi. Enfin, en nous. Deux des filles de mon cours sont passées elles aussi au niveau confirmé. Elles sont mes meilleures partenaires de la section, tailles et poids équivalents, niveaux similaires et être en trinôme nous permet de tourner de façon plus équilibrée. Notre système nous fait progresser tout en nous confrontant une fois sur trois, à tour de rôle, à un garçon ou une fille d'un niveau supérieur. Les débuts dans cette section ont été plus qu'éprouvants et je dois bien avouer qu'elles ont été un soutien considérable.

Il y a trois mois, l'une d'entre nous a abandonné et n'est jamais revenue ; les prétendues pauses se soldent très souvent en arrêt définitif, j'en avais moi même fait l'expérience quelques années auparavant. La motivation n'est jamais chose constante et linéaire, de ce fait, je peux franchement la comprendre. Sans tarder, le professeur m'a imposé de ne m'entrainer plus qu'avec des compétitrices au championat national. Je me suis executée tant bien que mal à essayer de rivaliser, non sans relâche, mais en vain, je me suis finalement contentée d'encaisser toujours plus de coups. Et c'est déja pas mal. Les entrainements sont devenus quotidiens, et chaque soir je me traine au charbon pour éxecuter ma peine, encaisser ma dose de souffrance et de frustration : mais rien n'y fait, je stagne. C'est une phase parait-il normale.

Ce soir, je suis à bout de souffle. Je viens d'enchaîner trente minutes d'assauts sans répis, mais un gars à l'autre bout de la salle me fait signe. A peine l'ai-je rejoins qu'il me lance en retirant son protège-dent :

- Entraine-toi un peu avec moi au lieu de combattre toujours avec les mêmes. L'écart de niveau est trop grand, tu ne progresseras pas de cette façon.

Il me salue et monte sa garde sans perdre de temps. Le rythme qu'il m'impose est soutenu mais gérable et bien dosé. Je parviens à bloquer toutes ses attaques et me défendre correctement, tout en lui assénant quelques touches. Concentrée, trempée de sueur, soudainement la tête me tourne et ces secondes d'inattention suffisent à me faire baisser la garde : son coup de pied retourné me frappe le coin de l'oeil. Mon esquive fût trop tardive. Je ne fais mine de rien, ne laisse paraître aucun signe de faiblesse et réunis les dernières forces qui m'habitent pour terminer cet assaut avec honneur. "T'as pas mal ! J'ai pas mal ! T'as pas mal ! J'ai pas mal !" surgit cette célèbre réplique de mes pensées.

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