Le lendemain matin, après avoir passé une bonne partie de la nuit à retranscrire mes aventures sur mon clavier, je repris le chemin de mon travail.

Le 5 rue de l’Egalité n’existait plus, ou plutôt il n’était plus qu’un amoncellement de pierres blanches, de madriers et de tuiles. Les engins lui avaient fait la peau.

J’en fus bien sûr totalement bouleversé. Bien que peu confiant, j’espérais, au fond de moi même, y revoir la boutique et son trio magique. Je ne sais d’ailleurs pas si j’y serais rentré à nouveau.

Mais tout cela avait disparu.

Je ne pus cependant m’empêcher de franchir la palissade qui encerclait le chantier et montai sur les gravats pour voir s’il m’était possible d’y retrouver quelque indice. Je cherchai activement, soulevant quelques débris ici ou là. Mais ne trouvai rien qui aurait pu dénoncer la présence de la librairie.

• Eh vous, qu’est ce que vous foutez là. Descendez immédiatement, ce chantier est interdit au public, vous n’avez rien à faire ici, me lançât, l’air menaçant un ouvrier.

Résigné, j’entamai ma descente lorsque qu’un petit bout de papier fatigué attira mon attention. Je me penchai pour le ramasser et je vis que c’était une carte. Son cartouche indiquait : Cartographie du voyage botanique de Joseph Pitton de Tournefort au Levant.

Tout ému, je le pliai rapidement en quatre et l’enfournai dans ma poche avant que l’ouvrier ne s’en aperçoive.

Rentré chez moi, j’ai encadré cette feuille et elle orne toujours mon salon. Je ne peux y jeter un œil sans penser à mes amis de la boutique et des Etats des saisons éternelles.

Je fis donc le récit de mes aventures que plusieurs éditeurs acceptèrent de publier. Je choisis celui qui me semblait le plus en rapport avec l’aventure et mon livre connut un certain succès en librairie.

Fort de cette notoriété inattendue, je fus invité pour diverses séances de dédicaces. Ma librairie de quartier suivit le mouvement et me convia à son tour pour rencontrer mes lecteurs.

Ceux-ci se succédaient calmement, chacun ayant un petit mot gentil qui me permit de personnaliser mes autographes. En fin d’après-midi, un jeune homme de belle stature portant des lunettes de soleil et un sweat à capuche s’avança et me tendit deux ouvrages identiques, de grande taille, reliés de cuir. Absorbé par la découverte de l’ouvrage, j’accordai peu d’attention à son porteur. Je l’ouvris et lu :

Voyage aux Etats des saisons éternelles, par Harold L.J.

J’avais devant les yeux une magnifique édition de mon ouvrage. Pétri d’émotion, je le feuilletais et découvris en quatrième page une carte tout à fait crédible de notre odysée de Eilifuis jusque Tanans, dessinée à l’ancienne avec les toponymes portés à la main.

Je n’eus pas besoin de lever la tête pour savoir qui était face à moi. Je le fis cependant.

L’homme retira ses lunettes et la vue de ses yeux bleus profonds me projeta quelques mois en arrière lors de notre périple commun.

• Bonjour Harold, comment vas-tu ? me lançât Télémaque. Je suis venu te faire parapher l’un de ces livres afin qu’il figure en bonne place dans notre bibliothèque. Il le mérite.

Complétement désarçonné je ne trouvai pas les paroles. Et c’est ma main qui lui répondit sous le titre :

à mon ami Télémaque.

Toi qui tiens ce livre entre tes mains, puisses-tu faire avec lui un aussi extraordinaire voyage que celui que tu vas lire dans ces pages.

Fais lui confiance, fais toi confiance, et, surtout, crois en l’impossible !

Harold.

Sans un mot, je fermai l’ouvrage et le rendis à mon extraordinaire ami. Sans plus de parole, il tourna les talons et disparut me laissant l’autre exemplaire en cadeau.

J’étais tellement troublé que la fin d’après-midi arriva sans que je m’en sois aperçu. Lorsque je pris l’ouvrage apporté par mon ex-compagnon d’odyssée, une petite carte s’en échappa. J’y découvris :

Agence de voyage de l’inconcevable. Organisation de périples inouïs.

Suivi d’une adresse pas trop loin de chez moi.

FIN