Siwa s'approche à pas lent du balcon où Myesyats et elle s'enlaçaient encore quelques nuits plus tôt. L'horizon nimbé de rouge, d'orange et de rose se reflète sur la ville de Shamsiel. Avant cet endroit était son refuge, son havre de paix, mais ce n'était plus vrai maintenant. Elle allait devoir bientôt abandonner tout cela au profit de l'avidité d'un seul homme. Alors que son regard porte au loin une douleur indescriptible la submerge. Son amant, son amour, le seul homme de sa vie s'est éteint la laissant au désespoir.

Tombé en embuscade, l'Alpha de la meute des Aurores a été assassiné par Vecernja son propre frère. Une trahison possible, dont Siwa a toujours averti Myesyats vu la profonde animosité qui régnait entre les deux hommes. Or, son mari lui a toujours assuré que Vecernja n'en arriverait pas à cette extrémité. Pour lui son frère bien que jaloux de sa position respectait l'oracle du svyashchennik*(1), les lois et les traditions de leur peuple. De fait, il n'a jamais fait grand cas des inquiétudes de sa femme. Sauf qu'aujourd'hui, les derniers événements ont révélé clairement les ambitions cachés de Vecernja.

Entouré d'opposants, il se dirigeait vers le ray*(2) afin de se faire oindre Alpha de la meute par le grand svyashchennik. Le cœur de Siwa se serre de tristesse et d'amertume au souvenir du corps de son époux baignant dans son propre sang. Malgré la rage qui l'envahie à cause de ses sombres pensées, elle sourit. Vecernja ne sait pas qu'elle porte l'héritier ou l'héritière de la meute. Elle étreint son ventre avec tendresse sachant que sur Dnieca fille ou garçon cela ne fait aucune différence. La descendance de l'Alpha désigné par l'oracle de la lune fera de son fils ou de sa fille le successeur légitime de la horde.

Dire que Vecernja a toujours été amoureux d'elle et caresse le sombre projet de l'épouser, lui donne la nausée. Comme si elle peut décemment se tenir en sa présence sans ressentir une haine féroce lui picorer l'âme. Siwa à cet instant n'a qu'un unique objectif en tête, la vengeance. Peu importe le temps que cela prendra, elle n'aura de repos que le jour où elle l'obtiendra pour que l'âme de Myesyats repose en paix.

En attendant, il était impératif pour elle de trouver un refuge afin qu'elle puisse préserver le fruit de ses entrailles de la soif de pouvoir de son beau-frère. Peu de membres de meute la lui resteraient fidèles puisse qu'elle était veuve et maintenant sans protection, mais elle espérait trouver de l'aide près de sa famille maternelle. Ceux-ci vivant à l'extérieur de Shamsiel capital de Dnieca loin de toute intrigue politique.

En adéquation avec son humeur, le vent se lève. Les faibles rayons du soleil disparaissent au profit de gros nuages noirs qui assombrissent le ciel. Comme si la nature comprend le tourment qui l'agite, la douce chaleur laisse place à une humidité glaciale. Shamsiel tremble, le vent déjà violent gonfle d'intensité criant sa colère. L'éther gris et maussade est noir et rend invisible le paysage d'habitude enchanteur. L'orage gronde de fureur au loin submergeant les craquements extérieurs. Puis vient la pluie qui prends la forme du vent, réduisant la vue à quelque chose de flou.

Comme possédée, Siwa s'avance davantage au-dehors, laissant l'eau froide tremper ses vêtements. Ses heureux souvenirs avec Myesyats débordent par vagues successives. Et sa peine étreint son âme au point de tuer petit à petit sa joie de vivre. Si elle le pouvait, elle rejoindrait volontiers son mari dans l'ode, mais elle devait vivre. Vivre pour le dernier cadeau que son époux lui avait donné. Perdue, la souffrance l'étouffe au point de la laisser anéantie de chagrin. La louve en elle hurle de désolation et de deuil, réclamant justice.

Éperdue, ses vêtements se déchirent lentement alors que sa chevelure blonde se transforme en une toison dorée presque enchanteresse. Ses yeux verts eau brillent et ne deviennent plus que de belles fentes brillantes. Son nez fin et effilé se métamorphose en un museau pointu. Et progressivement la magnifique femme remplie d'affliction devient une somptueuse louve qui saute par-dessus la loggia.

Sans son alpha, elle n'était plus la déesse de la meute des Aurores. Elle n'était plus la gardienne de Dnieca, l'étoile du matin, du berger et de minuit. Il ne restait plus que Siwa la malheureuse. En un seul geste, Vecernja l'avait réduit à l'état de fugitive. Déterminée, à rejoindre le village maternel avant deux jours, elle s'en va sans un seul regard en arrière. Il ne faut qu'elle ait peur, un jour, elle reviendra. Un jour, son fils ou sa fille lavera le sang de Myesyats.

Village d'Efir (Dnieca)

Le svyashchennik touche le ventre de Siwa ému de joie et de reconnaissance. Une nouvelle boyinga*(3) est sur le point de voir le jour. Les dieux de la meute sacrée des Aurores ont enfin répondu à leurs prières. Leur vœux le plus cher a enfin été exaucé. L'héritière de la prophétie désignée par l'Oracle a été engendrée. Le prêtre regarde cependant la mère avec prudence, car il ne lui a pas tout dit sur l'avenir de sa fille. Siwa espère qu'elle sera l'instrument de sa vengeance, mais il ne peut pas lui dire qu'il n'en sera pas exactement ainsi.

Comment dire à une femme dont le mari a été assassiné que sa fille épousera sans doute son cousin ? Le fils de celui-là même qui l'avait rendu veuve. La boyinga devait absolument connaître l'amour. Car il n'avait rien de pire que la vengeance d'une fille, si l'amour n'adoucissait pas l'amertume de n'avoir connu l'amour paternelle. De toute façon, il n'était pas question d’exposer la mère et l’enfant. Tant que Siwa serait sur Dnieca, elle et son enfant à naître seraient toutes deux en danger.

Le prêtre ne voyait qu'une solution à ce problème et cette issue se trouvait à l'abri dans le monde des humains.

prêtre*(1)

paradis*(2)

déesse*(3)