L'attaque - 4

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Lorsque Jehanne vint trouver Camille, elle s’attendait à la voir encore entourée de la nuée de servantes la préparant pour les noces. Mais en réalité, elle était déjà prête, dans sa splendide cotte violine resserrée à la taille par une ceinture dorée. Elle avait manifestement renvoyé les domestiques et recevait seule la comtesse.

– Tu es superbe, la complimenta celle-ci.

– Merci, répondit l’épousée avec un sourire figé.

Le manque de chaleur dans sa voix n’échappa pas à Jehanne.

– Je pensais te trouver plus heureuse, Camille.

– Je… pardonnez mon ingratitude, ma dame comtesse. Je suis très heureuse d’épouser sire Aubin, croyez-le bien.

– Pourquoi cette mine chagrine, alors ?

Camille hésita, mais la franchise de son caractère l’emporta.

– Je ne peux m’empêcher de penser aux hommes qui sont morts lors du siège, ma dame. J’en connaissais la plupart. Il me semble que mon bonheur est acheté du sang de ses hommes.

Malgré sa bravoure, elle n’avait pu empêcher les larmes de mouiller ces derniers mots. Le visage de Jehanne se fit grave.

– Camille, la folle obstination de ton père seule est source de ces morts. Il m’était hostile et infidèle. Sans même tes fiançailles avec Aubin, j’aurais dû tôt ou tard lui rappeler sa place et mon autorité. La différence…

Jehanne vint d’un geste caressant rectifier la coiffure élaborée de la jeune mariée qui n’en avait nul besoin.

– … C’est que grâce à toi, le fief de Miron reste aux Miron. Et puisse cette union réconcilier nos deux lignées. Me seras-tu aussi fidèle en étant ma vassale que tu l’as été comme suivante ?

Camille prit la main de Jehanne et l’éleva à ses lèvres.

– Ma dame, je vous le jure.

***

Victor revint enfin en la demeure ducale peu avant Pâques. Il était d’une humeur exécrable : aucune trace des deux fugitifs n’avait été relevée sur le chemin de Compostelle – il avait presque été jusqu’aux Pyrénées. A peine fut-il descendu de cheval qu’il fut abordé par Edouard qui chassa d’un mot les palefreniers. Le chancelier déclara en guise de salutations :

– Tu as été trop longtemps absent, Victor.

– Un plaisir de te revoir également, Edouard.

– Je suis sérieux. Viens me trouver au plus tôt dans mon cabinet, j’ai des nouvelles graves.

– Je suis resté trop longtemps absent, en vérité, répliqua Victor avec humeur, que tu crois à présent être le maître et donner des ordres.

– Victor ! L’heure n’est pas aux vétilles d’étiquette !

Edouard passa la main sur son front. Il se sentait épuisé. Pourquoi ne rentrait-il pas à Pondor en laissant le duc se débrouiller seul dans ce nid de vipères ? Pourtant il savait qu’il n’en ferait rien. De façon surprenante, ce geste, aveu de fatigue, sembla adoucir le duc.

– Soit, Edouard, allons-y dès à présent. J’ai moi aussi beaucoup à t’entretenir.

– Si ce diable d’écuyer avait su plus tôt utiliser sa cervelle ! Il y a longtemps que ce fils de sorcière serait entre mes mains !

– Tu ne pouvais le trouver vers Compostelle.

Victor interrompit ses acrimonies pour lever un sourcil suspicieux aux paroles de son chancelier.

– Comment cela ?

– Qui t’a mis sur cette voie ?

– La paysanne qui l’a employé pendant deux ans.

– Je pense qu’elle t’a menti, mais qu’elle a dû dire la vérité aux envoyés de Jehanne.

– Oh ! Quant à cela, elle n’a pas pu en avoir l’occasion.

Ce fut au tour d’Edouard de se troubler.

– Que veux-tu dire ?

– Passons. Comment sais-tu qu’elle a pu me mentir ?

– Tu disais vrai quand tu affirmais qu’on œuvrait à ta perte en ce château même. Je n’aurais pas dû me gausser de tes paroles.

Edouard lui exposa la lettre et conclut :

– Tes geôles sont occupées, mais ton épouse s’est enfuie. Je doute qu’elle soit partie chercher refuge auprès de son père ; je la soupçonne d’être allée chercher asile à Beljour. Peut-être peux-tu la réclamer en échange de Stéphane.

– J’ai donné ma parole de rendre Stéphane à Jehanne…

– Une parole trop hâtivement donnée. Stéphane est un atout précieux.

– Jehanne ne se soucie pas réellement de récupérer son frère, pas plus que je ne me soucie de ma garce d’épouse. Si elle pouvait m’en débarrasser ! Assez parlé de cette traîtresse. Tu as fait le ménage, je présume ?

– Je n’ai pu arrêter que les membres les plus évidents de cette cabale.

– Et pour Daniel ?

Edouard n’hésita qu’une seconde, suffisamment pour impatienter le duc.

– Ne me dis pas que tu as perdu tout ce temps ?

– J’ai envoyé des hommes, Victor, mais…

– Quoi, enfin ?

– Pourquoi une telle obsession ? Tout le monde sait à présent qu’Amelina n’a pas péri avec sa mère. Tu te compromets en la poursuivant, car sa disparition définitive, si on l’apprend, te serait facilement imputée. Le mieux que tu puisses faire pour renforcer ta légitimité est de te doter d’une descendance, si possible mâle. Ta priorité devrait être de récupérer ton épouse.

– Une épouse qui complote contre moi !

– Je pense qu’elle n’a été que l’instrument des comploteurs.

– J’essaie de faire annuler ce mariage depuis des mois !

– C’est là ton tort, Victor. Tu poursuis une chimère. Dame Jehanne ne consentira jamais à s’unir à toi. Fais un enfant à l’épouse qu’on t’a donné – qu’importe la mère au fond ! Il te faut un héritier ! Si Amelina réapparaissait pour réclamer son héritage, tu seras en position de force pour défendre celui de ton fils.

– Ce n’est pas réellement Amelina que je poursuis.

Edouard contint un soupir désespéré. Il connaissait Victor depuis des années : il lui avait toujours semblé être une tête brûlée prête à suivre impulsivement les élans de son cœur. Mais autrefois il lui était encore possible d’entrevoir la raison une fois ces élans passés. Jamais auparavant il ne s’obstinait si longtemps dans de si folles pensées. La maladie qui étreignait parfois son corps grangrénait-elle aussi son esprit ?

– Tu es comme les autres, Edouard. Tu ne me prends pas au sérieux. Personne ne prend au sérieux le mal que cet enfant de démon m’a fait.

– Victor…

– Où est Daniel ? Où as-tu envoyé tes hommes ?

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