INSPIRATION ?
L'Hôtel du Repos Éternel est un lieu insolite. Un havre de paix pour qui recherche l’inspiration. Quelques centimètres séparent les vivants de ceux qui ont fait le Grand Voyage et connaissent le Mystère.
Un corbeau, perché sur une branche, ne me quitte pas des yeux depuis que je me suis installé sur le banc avec mon ordinateur. Guette-t-il les fourmis, les mouches, les moucherons, les araignées et autres insectes qui grimpent sur l’ordinateur et parcourent l’écran avides de savoir ?
Le corbeau croasse et croasse. J’interprète alors « ses paroles » de la manière suivante : Les cimetières regorgent de poètes en quête d’inspiration comme toâ. Toâ. Toâ. Toâ…
Un couple de personnes âgées apparait au fond de l’allée. Ils marchent avec la lenteur de la vieillesse, marquent des pauses, désignent d’une main tremblante, un mausolée de marbre noir : chambre de luxe pour fortunés. Le joli couple disparait dans les méandres du cimetière.
Je me tourne vers l’oiseau noir qui n’a d’yeux que pour moi. Dans un acte insensé, que je ne comprends pas moi-même, je m’adresse à lui.
— Dîtes-moi, Maître Corbeau, je cherche en ces lieux de quoi nourrir mon esprit si fertile hier, si sec aujourd'hui. Auriez-vous la bonté de me croasser quelques vers de votre inspiration ?
L’oiseau me fixe de ses billes noires. Je poursuis :
–– Ô phœnix du cimetière, aidez-moi, vous qui avez vu défiler en ces lieux les plus grands poètes .
Le corbeau dodeline de la tête et s’exécute. Il pousse un long croa-croa aussitôt suivi d’une mélodie croassesque.
« Oh purée ! me dis-je. Je suis tombé sur un corbeau d’opéra. »
–– J’ai besoin de votre inspiration pas de votre chant, maître corbeau.
Le corvidé n’a que faire de ma demande. Il continue de « s’écroasiller ». Il a trouvé un public en ma personne.
Je comprends soudain à quel point je suis démuni et fragile. En arriver à parler à un corbeau et à lui demander son aide, il y a de quoi s’inquiéter. Heureusement, personne n'assiste à ma folle déchéance.
Monsieur le corbeau, heureux, arrive à la fin de son chant. Il dodeline de nouveau de la tête sans jamais me quitter des yeux. Il ouvre plusieurs fois le bec et le claque sans croasser., Je l’applaudis, par réflexe. Je ne suis pas le seul à être intéressé. Des pigeons et des moineaux s’approchent de ma loge en sautillant.
Allez ! Puisque je suis dans un conte de fées… j’ose. Je tends le bras, ouvre la main dans l'espoir qu’un moineau se pose dessus. Surtout pas un pigeon, je les déteste. Mon geste les effraie et ils s’envolent dans un concert de battements d’ailes.
Le corbeau "croasse" de rire. Il ne s’arrête plus. À ce rythme-là, il ne va pas tarder à réveiller les locataires du cimetière.
Je ferme mon ordinateur, le range dans mon sac sans comprendre ce que j’ai déclenché chez le corbeau. Je repars comme je suis venu, sans inspiration. Pas même une misérable idée à grignoter.
Et à ce propos, les insectes que j’avais pris pour des intellectuels faisaient diversion. Ils couvraient l’intervention des forces spéciales arachnides sur mes jambes. Le corbeau le savait. Ses croassements étaient des avertissements avant de devenir des éclats de rires devant le film qui se déroulait sous ses yeux et dont j'étais l'acteur principal.
Je recherchais l’inspiration. Je cours chercher un baume contre les piqûres d’insectes.
Quand je retournerai au cimetière de Montmartre, je serai armé d’une crème et d’un gros fromage pour clouer le bec à ce corbeau d'opérette !
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